Pour 100 milliards t’as plus rien !

 

« Pour 100 briques t’as plus rien ! » Tel était le titre d’une comédie d’Edouard Molinaro de 1982. A l’époque, 100 briques signifiaient généralement 100 millions d’anciens francs, donc un million de nouveaux francs, soit environ 150 000 euros d’aujourd’hui. Et effectivement, avec une telle somme, on n’a pas grande chose, du moins on ne peut pas se permettre d’arrêter de travailler. Comme quoi, avec le temps et un peu d’inflation, les richesses fondent comme neige au soleil. De quoi rappeler qu’il ne sert pas à grand-chose de thésauriser, mais que la seule véritable création de richesses réside dans le travail, l’investissement et l’épanouissement personnel.

Toujours est-il que, trente ans plus tard, cette même phrase est toujours d’actualité, si ce n’est que les briques sont devenues des milliards d’euros. C’est du moins ce qui ressort de la dernière tentative des dirigeants européens pour sortir l’Espagne de la crise. En effet, en permettant aux banques espagnoles de se recapitaliser à hauteur de 100 milliards d’euros, ceux-ci estimaient, une fois encore, que la crise était résolue. Les marchés et les investisseurs devaient applaudir des deux mains et l’Espagne devait retrouver son aplomb d’antan en quelques jours. Sans véritable surprise, il n’en a évidemment rien été. Et pour cause : les marchés sont repartis à la baisse, les taux d’intérêt des obligations de l’Etat espagnol ont encore flambé pour flirter avec les 7 %. Autrement dit, la crise est non seulement loin d’être terminée, mais elle s’est même aggravée. La raison en est simple : après avoir tout misé sur l’immobilier et oublié l’essentiel, c’est-à-dire l’innovation et l’industrie de pointe, l’Espagne ne dispose pas de relais de croissance. Or, tant que cette dernière restera atone, il sera impossible de sortir de la crise de la dette publique.

Cela commence à devenir lassant : depuis le début de la crise grecque, c’est-à-dire depuis bientôt trois ans et demi, les dirigeants eurolandais ne cessent de répéter les mêmes erreurs. Du haut de leur tour d’ivoire, ils sont persuadés qu’en dilapidant les milliards d’euros, ils vont résoudre tous les problèmes.

Comme nous cessons de le répéter depuis trois ans, cette stratégie est par définition vaine, voire dangereuse. En effet, elle ne consiste qu’à colmater les brèches et à essayer de calmer le jeu temporairement sans résoudre les origines du mal, à savoir l’absence de croissance économique. Ainsi, tant que la zone euro ne sera pas dotée d’une véritable gouvernance économique efficace tant en matière de croissance que de réduction des déficits publics, la crise ne pourra prendre fin. Pis, elle s’intensifiera et se généralisera à tous les pays de l’UEM.

A cet égard, il est frappant, pour ne pas dire triste, de rappeler que, dans leur grande majorité, les économistes et les politiques n’ont cessé de défendre qu’il n’y aurait pas d’effet domino, que la crise grecque serait très locale et qu’elle ne pourrait pas faire tâche d’huile. Quelle naïveté, ou plutôt, que de manipulations !

Encore plus dramatique, les déclarations des dirigeants des pays menacés sont quasiment toujours les mêmes et suivent les mêmes étapes. Au début, tout va bien, ceux-ci promettent qu’ils ne creuseront pas les déficits publics. Dès lors, ils n’hésitent pas à accroître les dépenses de l’Etat en pensant qu’en augmentant les impôts, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils oublient donc que l’aggravation de la pression fiscale réduit l’activité économique, donc l’assiette fiscale, ce qui finit par abaisser les recettes de l’Etat et donc par creuser les déficits. Très logiquement, la dette publique augmente, les taux d’intérêt également et le cercle pernicieux de la bulle de la dette commence à s’installer.

Qu’à cela ne tienne, les dirigeants politiques continuent de vendre la même soupe : tout ira bien, nous n’avons pas besoin de l’aide de l’UEM, etc… Seulement voilà, devant l’aggravation de la récession et des déficits, ils sont finalement obligés d’appeler au secours, pensant ainsi avoir fait le plus difficile. Mais, il n’en est rien pour la bonne et simple raison que la croissance ne revient toujours pas et que la tentation de ne pas réduire les dépenses publiques est forte.

Ainsi, lorsque l’on écoute les dirigeants italiens déclarer qu’ils n’auront pas besoin de l’aide européenne, on croit entendre leurs homologues grecs, irlandais, portugais et espagnols qui faisaient de même quelques trimestres plus tôt.

Mais, attention, n’imaginons pas que ce manque de clairvoyance soit l’apanage des « pays du club Med », comme aiment le souligner nos amis allemands. Ainsi, lorsque les dirigeants français actuels nous disent qu’ils vont réduire les déficits publics, mais annoncent qu’ils vont créer des postes de fonctionnaires, accroître les emplois aidés…, le tout financé par une hausse des impôts, on croirait écouter M. Papandréou en 2009, après son élection, qui nous promettait qu’il allait sortir la Grèce de la crise grâce à la puissance publique…

A l’évidence, toutes ces similitudes ont de quoi faire peur. Et ce d’autant que le dogmatisme et la manque d’efficacité des décisions eurolandaises continuent de plus belle.

Il faut donc être clair : le seul moyen de sortir de cette crise réside dans la restauration de la croissance grâce à une meilleure gouvernance économique et monétaire. Tant que la BCE n’achètera pas en direct de la dette publique, tant que le taux refi ne sera pas abaissé à 0,5 %, tant que l’euro ne passera pas sous les 1,18 dollar et tant qu’un budget fédéral n’aura pas vu le jour, la crise continuera.

Pour parvenir à ces réalisations, il faut également réconcilier le couple franco-allemand, ce qui ne pourra passer que par une réduction des dépenses publiques dans l’Hexagone. Si, après les législatives, les dirigeants français font le choix inverse, il faut se préparer à une phase de très forte instabilité.

Et les milliards de l’UEM ne serviront pas à grand-chose. Si ce n’est à colmater certaines brèches pendant quelques mois. Il est donc urgent d’arrêter cette fuite en avant et de transformer la zone euro en une véritable Zone Monétaire Optimale, dotée d’une croissance durablement forte, d’une gouvernance économique et monétaire fiable et d’un budget fédéral digne de ce nom. Il n’y a pas d’autre issue, sinon ce sera le chaos.

Marc Touati