A l’instar de Valéry Giscard D’Estaing qui, au lendemain de sa défaite du 10 mai 1981, avait terminé son allocution télévisée par un laconique « Au revoir… », laissant une chaise vide devant les caméras, nous sommes peut-être sur le point d’en faire autant avec la zone euro. Qui l’eut cru ? Nous-même, qui n’avons pourtant cessé de mettre en garde contre un retour en force de la crise, ne pouvions imaginer une dégradation aussi rapide de la situation européenne.
Certes, lors de la parution de « Quand la zone euro explosera… » le 8 mars 2012, nous étions parmi les rares à rappeler qu’en dépit des cadeaux de la BCE aux banques eurolandaises et de la suppression de la moitié de la dette grecque détenue par des agents privés, l’UEM était toujours en danger.
A l’époque, la campagne électorale commençait à battre son plein et Nicolas Sarkozy claironnait que la crise était finie. Il n’était évidemment pas le seul. Dans leur grande majorité, les observateurs économiques en faisaient autant. Quant à François Hollande, trop content de pouvoir espérer un retour rapide de la croissance pour financer son programme, il joignait sa voix à ce consensus erroné.
Malheureusement, la crise est non seulement loin d’être terminée, mais elle est surtout sur le point d’entrer dans une phase encore plus dramatique. Et pour cause : Après la Grèce et le Portugal, c’est au tour de l’Espagne de sombrer dans la spirale infernale. Le film est malheureusement toujours le même : récession, augmentation des déficits et de la dette, forte hausse des taux d’intérêt, qui aggrave encore l’atonie économique, plan de rigueur qui ne résout rien et alimente la récession, crise bancaire, mouvement de défiance, puis nouvelle remontée des taux d’intérêt, et ainsi de suite…
Ce qui est « fou » c’est qu’habituellement, l’être humain réussit à tirer les leçons de ses erreurs passées pour ne pas les réitérer. Mais, dans le cas eurolandais, il n’en est rien. Ainsi, après avoir laissé la crise grecque dégénérer et mis trois ans à comprendre qu’elle reflétait un malaise bien plus grave qui concernait toute la zone euro, les dirigeants eurolandais ont fait exactement la même erreur avec le Portugal et aujourd’hui avec l’Espagne. Le problème est que si la Grèce ne représente qu’environ 2,5 % du PIB eurolandais, la part de l’Espagne atteint 13 %.
Autrement dit, une répétition de la crise grecque à la sauce espagnole causera forcément l’effondrement de la zone euro. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, nous estimons que la probabilité d’explosion de l’UEM est d’au moins 40 % aujourd’hui, contre 30 % il y a trois mois.
Plus le temps passe, plus cette probabilité augmente. Le drame est qu’en dépit de ce cauchemar, les dirigeants eurolandais restent cois. En effet, ni Monsieur Hollande, ni Madame Merkel, ni même Monsieur Draghi n’ont esquissé la moindre réponse crédible à cette nouvelle crise. Pis, dans l’Hexagone, le Président et le gouvernement s’obstinent à annoncer une nette augmentation des dépenses publiques. Ils déclarent même qu’ils réussiront forcément à trouver les moyens de financer cette nouvelle gabegie. Faut-il rappeler qu’en France, les dépenses publiques atteignent 56 % du PIB. Jusqu’où allons-nous monter ? En tant qu’« hommes normaux », MM. Hollande et Ayrault devraient pourtant savoir que les arbres ne montent pas au ciel, surtout lorsque leurs racines sont fragiles.
Autrement dit, si, après les législatives, ces dépenses progressent encore, la sanction sera immédiate : forte dégradation de la note française, donc flambée des taux d’intérêt et nouvel écroulement de l’activité économique. Et quand bien même, les impôts seraient augmentés, cette aggravation de la pression fiscale ne ferait que freiner davantage la marche des affaires, d’où une nouvelle hausse du chômage, du déficit public, puis de la dette. Après la sauce grecque, puis espagnole, la crise connaîtra alors sa variante française. Et, comme nous sommes les champions du monde de la gastronomie, il y a fort à parier qu’elle ira encore « bien » plus loin que ses versions précédentes.
Que fera alors le gouvernement ? Déclarera-t-il la guerre à la finance ? Nos jours sont-ils donc comptés ? Monsieur Hollande a été très clair : son grand ennemi c’est le monde de la finance. Aussi, devant une telle détermination, je dois vous annoncer que j’ai décidé de quitter cet univers impitoyable et destructeur pour prendre ma retraite à… Tahiti.
Rassurez-vous, il s’agit bien sûr d’une blague, du moins d’une demi-blague. En effet, compte tenu de l’activité croissante de mon cabinet ACDEFI, je quitte Global Equities/Assya Compagnie Financière à partir du 5 juin en tant que salarié. En revanche, je continuerai de leur donner des conférences et des conseils en tant que prestataire de services via mon cabinet. En fait, en dépit de nombreuses et régulières propositions dans ce fameux « monde de la finance », je vais désormais me consacrer au développement d’ACDEFI (qui compte d’ores et déjà plus de 1 000 clients entreprises et institutionnels). L’indépendance n’a pas de prix, en particulier dans le contexte troublé actuel et à venir. C’est grâce à elle que mon départ de Natixis en 2007 a été source de réussite et j’espère qu’il en sera encore de même dans l’avenir.
Je continuerai donc à analyser et à prévoir les évolutions économiques et financières sans langue de bois et sans complaisance, mais uniquement en tant que Président du cabinet ACDEFI. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour vous remercier de votre fidélité, certains même depuis le début de ma carrière (il y a déjà 17 ans). Sachez que vous pourrez toujours compter sur moi pour essayer de démocratiser l’économie.
D’ailleurs, une meilleure compréhension non-dogmatique des mécanismes économiques et financiers par le grand public et aussi par les dirigeants politiques sera certainement le vecteur principal qui permettra de surmonter la crise et de sauver la zone euro. Si tel n’est pas le cas, alors peut-être que l’option « Tahiti » deviendra réalité…
A très bientôt. Amicalement.
Marc Touati