Euro, marchés : la Grèce c’est nous… (E&S n°213)

 

Humeur :

La Grèce c’est nous…

Et nous voilà reparti dans la crise grecque, avec ses faux semblants, ses dangers et ses « vraies fausses » solutions. En effet, comme nous n’avons cessé de le répéter, alors que la majorité des économistes et des politiciens bien-pensants se répandaient un peu partout pour annoncer que la crise grecque et celle de la zone euro étaient terminées, rien n’a jamais été réglé. Bien au contraire. En fait, les dirigeants eurolandais ont simplement posé un gros pansement sur une plaie béante sans la cautériser. Si bien que lorsque le pansement s’effiloche, puis disparaît (comme c’est le cas aujourd’hui), la plaie est non seulement toujours là, mais elle s’est, de surcroît, infectée.

Bref, en supprimant la moitié de la dette grecque détenue par des agents privés, les européens n’ont fait que gagner du temps. Aussi, dans la mesure où l’euro est resté trop fort et où rien n’a été fait pour soutenir la croissance, la Grèce a continué de sombrer dans la récession et dans le malaise social. Depuis le début de la crise (c’est-à-dire depuis le quatrième trimestre 2007), le PIB hellène a plongé de 25,9 %. Conséquence logique de ce marasme, le taux de chômage atteint désormais 21,7 % et 52,7 % pour les moins de 25 ans. Quant à la bourse d’Athènes, son indice phare a chuté de 90 % depuis le début 2008. De quoi peut-être rappeler à certains que l’augmentation du chômage et la baisse boursière vont souvent de pair.

Pour « couronner » le tout, la Grèce s’est engagée dans une crise politique qui rappelle de bien mauvais souvenirs, avec, qui plus est, une extrême gauche à deux doigts de prendre le pouvoir et un parti néo-nazi qui entre au Parlement. Cela confirme que, sans union politique, la zone euro reste menacée par un pays qui ne représente que 2,5 % de son PIB.

Face à ce chaos, certains n’hésitent pas à ressortir les vieilles rengaines d’une sortie de la Grèce de la zone euro, qui, selon eux, permettrait de sauver l’UEM, la Grèce et tutti quanti. Soyons clairs : une telle option serait tout simplement catastrophique pour la Grèce, pour la zone euro et pour la stabilité économico-financière de la planète.

Avant toute chose, il faut rappeler qu’il n’est pas possible aux membres de la zone euro de « sortir » un des leurs. Le choix appartient à chacun des pays. Or, quand bien même la Grèce accepterait de s’exclure de la zone (en vertu de la clause « d’opting out »), elle ne bénéficierait plus « de la protection » de cette dernière et devrait alors payer des taux d’intérêt à dix ans d’au minimum 30 % pour financer sa dette publique. Ce renchérissement se répercuterait à l’ensemble des crédits à l’économie et entraînerait un nouvel effondrement de l’investissement, donc de la croissance et de l’emploi. La récession redoublerait d’intensité et les déficits publics s’envoleraient de nouveau.

Parallèlement, le remplacement de l’euro par la drachme susciterait une flambée inflationniste, une dépréciation notable de l’épargne et une réduction massive du pouvoir d’achat des ménages, d’où un nouvel effondrement de la consommation, donc de la croissance…

Pris à la gorge, les Grecs n’auraient alors d’autres choix que de fermer leurs frontières financières et d’annuler la totalité de leur dette. C’est à ce moment-là que l’effet de contagion se répandrait à l’ensemble des pays de l’UEM. Et pour cause : les pays européens détiennent pour plus de 290 milliards d’euros de dette grecque, dont 80 milliards pour l’Allemagne et 60 milliards pour la France. Si la Grèce supprime sa dette, ses actuels partenaires vont donc « devoir s’assoir » sur une partie significative de leurs créances. Pour la France, cela représenterait environ 3 % de son PIB. Dans ce cadre, les notes des obligations d’Etat seraient fortement dégradées (de deux à trois crans), ce qui susciterait une importante augmentation des taux d’intérêt dans tous les pays de la zone euro (au-dessus des 4 % pour le taux dix ans français) et finirait par aggraver la récession qui est déjà de retour dans l’UEM. Les déficits flamberaient encore et la dette publique avec…

Au total, la facture des 290 milliards d’euros de suppression de la dette grecque pourraient être triplée, voire plus.

En outre, la sortie de la Grèce de la zone euro créerait un précédent et pourrait donner de mauvaises idées à d’autres, entraînant l’UEM dans une vaste dérive irrécupérable qui se traduirait immanquablement par l’explosion de la zone.

Face à ce désastre, certains pays pourraient alors être tentés ou contraints de trouver un protecteur, également appelé « chevalier blanc » dans la théorie des jeux. Comme lors de la chute de l’Empire romain, l’Europe deviendrait alors le théâtre d’invasions de toutes parts, d’abord sur le front financier et ensuite d’un point de vue capitalistique.

Devant cette menace, les Etats-Unis ne resteront alors certainement pas les bras croisés, ce qui transformera la crise économique en tempête géopolitique majeure.

A l’évidence, il est urgent de tout faire pour éviter ce cauchemar. Cela commencera par la restauration du couple franco-allemand en faveur d’une croissance plus forte sans dérapage des dépenses publiques. Autrement dit, pour que les Allemands acceptent de mettre de l’eau dans leur vin sur le front de la croissance, et notamment de l’action de la BCE, il faudra que les Français fassent de même et se décident enfin à réduire significativement leurs dépenses publiques. Cela ne signifie pas forcément plus de rigueur, mais plus d’efficacité.

La question reste donc de savoir si les dirigeants eurolandais et notamment les Français et les Allemands auront le courage, la volonté et l’intelligence de se mettre d’accord. La construction européenne ayant constamment avancé par chocs, souvent le dos au mur, il est encore possible d’espérer que l’on sortira de cette crise par le haut.

Après les sourires de façade, les crispations à peine voilées et les désaccords franco-allemands du dernier dîner européen, nous aurons la vraie réponse à cette question lors du sommet du 28-29 juin… D’ici là, la volatilité restera extrêmement forte sur les marchés boursiers et sur l’euro/dollar. Bon courage à tous…

Marc Touati


Quid des marchés cette semaine ?

L’euro baisse, tant mieux pour la croissance.


C’est certainement le seul point positif de la nouvelle crise grecque : l’euro baisse.

En effet, comme cela s’est déjà observé à quatre reprises depuis 2008, la dernière tempête qui secoue l’Euroland rappelle que l’UEM ne peut supporter un euro trop fort.

Le drame c’est qu’il faille à chaque fois passer par la case « crise » pour que les investisseurs comprennent cette évidence. Certes, il faut reconnaître que la politique de la BCE a tout fait pour favoriser un euro surévalué. Ainsi, à chaque fois que l’UEM pouvait apparaître « sauvée » et capable de retrouver le chemin de la croissance, la BCE a agité le chiffon rouge de l’inflation et n’a pas tardé à augmenter son taux refi ou à refuser de le baisser, relançant par là même l’euro/dollar à la hausse et préparant ainsi la crise suivante.

Ce fut tout d’abord le cas au second semestre 2007 et au premier de 2008, au cours desquels en dépit de la crise financière mondiale qui commençait, puis de la récession qui s’installait en Europe, la BCE a resserré fortement son étreinte monétaire, portant l’euro sur des sommets de 1,60 dollar.

Face à l’effondrement des marchés et de la croissance de la seconde partie de 2008, la BCE a été alors contrainte de faire machine arrière (sans cependant reconnaître ses erreurs des mois précédents), permettant à l’euro de revenir vers les 1,25 dollar.

Mais, au moment où la dépréciation de la monnaie unique était sur le point de relancer la croissance, la BCE a refusé de suivre la Fed dans son assouplissement monétaire massif, s’obstinant à maintenir un taux refi à 1 %, contre 0-0,25 % pour le taux objectif des federal funds. L’euro est alors reparti à la hausse (jusqu’à 1,50 dollar), limitant la reprise de fin 2009-début 2010, et maintenant certains pays de l’UEM dans la récession, à commencer par la Grèce.

C’est à ce moment-là que la crise grecque a explosé, permettant d’engager une nouvelle dépréciation de l’euro qui est même tombé à 1,22 dollar.

Mais, une fois encore, alors que la tempête semblait se calmer, la BCE s’est à nouveau illustrée en annonçant que l’inflation était de retour et qu’il fallait augmenter le taux refi, ce qu’elle fit à deux reprises en 2011 (avril et juillet). Il n’en a pas fallu plus pour apprécier l’euro au-delà de 1,40 dollar, ravivant la crise grecque lors de l’été 2011 et préparant le retour de la récession dans de nombreux pays européens dès la fin 2011.

L’euro est alors reparti à la baisse, laissant imaginer que la rechute économique serait sans gravité et de courte de durée. Malheureusement, en laissant croire que la zone euro était définitivement sauvée et que la crise était terminée, les dirigeants eurolandais ont maintenu l’euro au-delà des 1,30 dollar et ont empêché le retour de la croissance. Pis, ils ont réveillé l’hydre grecque et rappelé que la zone euro était toujours en danger.

C’est pourquoi, depuis quelques semaines, la devise européenne s’est nettement dépréciée, se rapprochant de ses niveaux normaux.

Il ne faut effectivement pas oublier que le niveau normal de l’euro/dollar est de 1,15 dollar selon la parité des pouvoirs d’achat (PPA) et de 1,18 dollar selon le taux de change naturel (dit Natrex). Tant que nous n’y sommes pas, la zone euro ne peut pas retrouver le chemin de la croissance et est donc dans l’incapacité de sortir de la crise. Et ce a fortiori pour les pays les plus fragiles, pour qui le niveau de PPA de l’euro est bien plus bas : par exemple 0,70 dollar pour la Grèce, 0,90 dollar pour l’Italie et 1,03 dollar pour la France

La baisse de l’euro est tout à fait justifiée.

Sources : Natrex, Datastream

En fait, le mouvement de dépréciation justifiée de l’euro sera bien plus bénéfique à la croissance qu’une énième augmentation des dépenses publiques, qui serait in fine inefficace, dans la mesure où elle coûterait bien plus cher (en termes de dette et d’augmentation des impôts futurs) que ce qu’elle rapporterait à court terme.

C’est peut-être là que réside le point de réconciliation entre les Allemands et les Français. En effet, en continuant d’afficher leurs divergences, ceux-ci vont accroître les craintes sur l’avenir de l’UEM, alimentant la baisse de l’euro et préparant par là même le retour de la croissance.

Pas de retour de la croissance sans euro plus fort.

Sources : Eurostat, Bloomberg

Il ne reste plus qu’à espérer un petit coup de pouce de la BCE, qui serait bien inspirée de baisser encore son taux refi.

Mais attention, si la France s’obstine et engage, seule contre tous, une augmentation de ses dépenses publiques, la crise pourrait prendre une tournure bien plus grave. La baisse mesurée de l’euro deviendrait alors un plongeon, qui pourrait nuire à la crédibilité de la zone et effrayer les investisseurs. Une augmentation des taux longs s’en suivrait, avec effondrement de l’activité économique à la clé. Entre le paradis et l’enfer, la frontière est parfois mince…


Espérons simplement que les nouveaux dirigeants français sauront prendre la mesure de ces dangers et comprendront rapidement que l’efficacité de la politique économique réclame du doigté et abhorre le dogmatisme. S’ils n’en sont pas encore conscients, ils vont vite le découvrir avec fracas…

 

Marc Touati

 


La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


 


 


 


 

Les évènements à suivre du 28 mai au 1er juin :


Léger mieux sur le front de l’emploi outre-Atlantique.

 


L’actualité économico-statistique sera particulièrement dense cette semaine outre-Atlantique. Nous suivrons l’indice de confiance des consommateurs du Conference Board (mardi) ainsi que la deuxième estimation du PIB pour le premier trimestre (jeudi). Enfin nous prendrons connaissance vendredi du rapport sur l’emploi pour le mois de mai, suivi des revenus des ménages américains pour finir par l’indice ISM manufacturier.

De ce côté de l’Atlantique, nous connaîtrons l’indice de sentiment économique ainsi que l’inflation dans la zone euro (respectivement mercredi et jeudi).

 

Mardi 29 mai, 16h (heure de Paris) : petite hausse de l’indice de confiance des consommateurs du Conference Board outre-Atlantique.<