Et c’est parti ! Sans véritable surprise, François Hollande a été élu Président de la République française. La thématique de « l’homme normal » a donc été payante. Seulement voilà, la situation économique hexagonale et européenne actuelle est loin d’être « normale ». Avant même d’avoir pris ses fonctions, le nouveau Président a d’ailleurs pu se rendre compte que l’euphorie de la victoire allait être de courte durée. Et pour cause : les élections grecques ont rappelé qu’à l’inverse de ce que n’a cessé de clamer Monsieur Sarkozy depuis des mois, la crise de la zone euro est loin d’être terminée.
Cette triste situation confirme que l’UEM ne peut perdurer sans un minimum d’union politique. En effet, tant que celle-ci n’est pas complétée par une institution politique supranationale, elle reste menacée par la moindre crise d’un de ses membres, quand bien même celui-ci serait le plus petit. Cette nécessité n’est pas nouvelle, elle est écrite noir sur blanc dans le Traité de Maastricht, qui souligne que l’UEM n’est qu’une étape de la construction européenne vers une Union politique et fédérale. Que l’on soit pour ou contre, il est clair que sans cette dernière, la zone euro ne pourra survivre.
Quant à ceux qui pensent qu’une sortie de la Grèce de l’UEM résoudrait la question, ils doivent savoir qu’il n’est pas possible juridiquement d’exclure un pays de la zone. Cette décision ne peut être prise que par la Nation en question. Or, les Grecs n’ont aucun intérêt à quitter l’euro. En effet, grâce à l’UEM, la Grèce n’a pas à s’endetter sur les marchés pour financer son déficit. Ce sont les autres pays eurolandais qui s’endettent à sa place et lui prêtent ensuite à un taux de 4,5 %. Si les Grecs sortent de la zone, ils ne pourront plus bénéficier de cette « facilité de caisse » et devront payer leur dette publique aux taux de marchés, qui avoisinent les 22 % pour le taux à dix ans et les 220 % pour le deux ans. De tels niveaux ne manqueront évidemment pas d’aggraver la récession, donc d’augmenter les déficits, puis la dette. Le cercle pernicieux continuera alors jusqu’à ce qu’un Chevalier blanc se présente pour prendre la Grèce sous son aile, annuler sa dette passée et à venir, tout en prenant le contrôle de ses principaux actifs. Et si la Chine réussit à jouer ce rôle, il y a fort à parier que les Etats-Unis ne resteront pas les bras croisés. De là à imaginer un conflit militaire, il n’y a malheureusement qu’un pas. En outre, avant d’en arriver là, il paraît clair que si la Grèce ouvre la boîte de Pandore de la sortie de la zone euro, d’autres pays pourront être tentés de les suivre, détruisant définitivement l’UEM telle que nous la connaissons aujourd’hui. A l’évidence, la sortie de la Grèce de l’UEM est une « vraie fausse bonne idée ».
Elle l’est d’autant plus que la récession s’installe, non seulement en Grèce, mais également dans la grande majorité des pays eurolandais. Après la crise grecque, c’est là le deuxième grand défi qui attend le nouveau Président français. Hasard du calendrier, le 15 mai, jour de l’arrivée officielle de François Hollande à l’Elysée, l’INSEE publiera les comptes nationaux hexagonaux du premier trimestre 2012. En guise de cadeau (empoisonné) de bienvenue, une baisse du PIB français devrait être annoncée. Dans le même temps, Eurostat devrait confirmer le deuxième trimestre consécutif de recul du PIB de la zone euro, et, par là même, la rechute officielle de cette dernière en récession.
L’équation de sortie de la crise de la dette publique va donc encore se compliquer. En effet, depuis désormais cinq ans, la France et la quasi-totalité des pays de l’UEM (à l’exception notable de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Finlande) ne parviennent plus à réaliser une croissance économique suffisamment forte ne serait-ce que pour rembourser la charge annuelle des intérêts de la dette publique. A présent que la récession s’impose à nouveau, la tâche va devenir encore plus ardue, entraînant inévitablement une nouvelle phase de dégradation des notes des dettes publiques européennes et française. Certes, Standard & Poor’s a annoncé qu’il ne dégraderait pas la France au lendemain de la victoire de François Hollande. Encore heureux ! Agir différemment, avant même les premières mesures du nouveau Président aurait constitué un « délit de faciès ». En revanche, si, dans un contexte de baisse du PIB, les premières mesures de ce dernier vont dans le sens d’une augmentation des dépenses publiques, la note de la France sera immanquablement dégradée d’au moins deux crans. De quoi faire progresser les taux longs à plus de 4 % et aggraver par là même la situation économique de l’Hexagone.
Pour éviter d’en arriver là, il n’y a finalement qu’une seule solution : restaurer la capacité de la France et de la zone euro à générer une croissance forte. De ce point de vue, on peut dire que tout le monde est d’accord. Le seul problème est que les moyens de parvenir à cette croissance diffèrent que l’on soit d’un côté du Rhin ou de l’autre. Pour les Allemands, le retour du dynamisme économique ne peut passer que par des réformes structurelles majeures, notamment sur la flexibilité du marché du travail, sur la réduction des dépenses publiques et sur la compétitivité des entreprises. C’est d’ailleurs cette stratégie qui a été mise en pratique outre-Rhin avec succès depuis plus de dix ans.
Seulement voilà, tous les Européens ne sont pas des Allemands et ne sont pas forcément prêts à supporter la cure germanique des années 2000. En outre, comme nous l’avons souvent souligné, il ne sert à rien de « mourir guéri ». Autrement dit, à quoi bon pratiquer la rigueur, si cela doit provoquer un marasme social et, in fine, l’explosion de la zone euro.
C’est pour toutes ces raisons que s’ils veulent éviter le pire, les Français et les Allemands sont obligés de s’entendre. Mais ne soyons pas dupes. Comme elle n’a cessé de le répéter depuis une semaine, Mme. Merkel n’acceptera pas de signer un chèque en blanc aux Français et encore moins aux Grecs. En d’autres termes, l’Allemagne finira certainement par mettre de l’eau dans son vin, mais si et seulement si, elle obtient des garanties de ses partenaires, et en particulier de la France, en matière de réduction des dépenses publiques.
Si nous parvenons à ce compromis, alors la zone euro sera sauvée. Sinon, il faut se préparer à un véritable clash franco-allemand qui entraînera une crise politique, économique et sociale sans précédent à l’échelle de la zone euro et certainement de la planète. A l’évidence, pour sortir de l’ornière, il ne suffira pas d’être « normal ».
Marc Touati