Draghi, Hollande, Obama : même combat ? (E&S n°211)

 

Humeur :

Victoire ?!

Il est encore trop tôt pour en être sûr, mais le 25 avril 2012 constituera peut-être un tournant dans l’histoire de la zone euro. En effet, après treize ans de dogmatisme, la Banque Centrale Européenne a enfin décidé de prendre le chemin du bon sens et du pragmatisme. Ainsi, après avoir constamment sacrifié la croissance sur l’autel de l’inflation, lorsqu’elle était dirigée par Jean-Claude Trichet, la BCE, présidée par Monsieur Mario Draghi, souhaite désormais accorder une part plus importante à la progression de l’activité économique.

Ne cachons pas notre plaisir : ce revirement constitue une vraie victoire, en particulier pour votre serviteur qui n’a cessé de demander un tel changement depuis plus de dix ans envers et contre tous. Cette position a souvent été vilipendée par les tenants de la pensée unique, et ils étaient malheureusement nombreux, notamment dans l’Hexagone.

Mais, tout ceci est du passé. Ce qui compte réside dans le fait que la zone euro et la BCE avancent dans la bonne direction. Face à cette nouvelle donne, certains observateurs se sont logiquement posé plusieurs questions, en particulier dans notre douce France : pourquoi Mario Draghi a-t-il choisi ce « timing » pour faire une telle déclaration ? Y-a-t-il un lien avec la campagne présidentielle française ? François Hollande entre-t-il ainsi par la grande porte dans le concert eurolandais ? L’Allemagne est-elle désormais isolée et devra-t-elle se plier aux exigences de ses partenaires pour réformer les traités eurolandais vers une plus grande prise en compte de la croissance ?

Autant de questions dont les réponses conditionneront notre avenir et pourront ainsi sauver ou détruire la zone euro. Tout d’abord, pourquoi maintenant ? N’en déplaise à Monsieur Hollande et plus globalement à l’orgueil national, les déclarations de Mario Draghi ne sont pas adressées aux seuls Français. Elles font simplement écho au fait que les derniers indicateurs de conjoncture dans la zone euro ont confirmé que cette dernière s’était de nouveau engoncée dans la récession. En effet, qu’il s’agisse des enquêtes des directeurs d’achat dans l’industrie ou les services ou encore de l’enquête de la Commission Européenne, tous les indicateurs avancés du PIB eurolandais indiquent que ce dernier va encore reculer au premier, voire au deuxième trimestre 2012. Sur l’ensemble de l’année, sa variation pourrait même repasser en territoire négatif.

Dans ce cadre, il est clair que la crise de la dette publique et plus globalement celle de la zone euro sont loin d’être terminées. Et pour cause : pour sortir de l’ornière, il faudra générer une croissance économique suffisamment forte ne serait-ce que pour rembourser la charge annuelle des intérêts de la dette publique. Or, non seulement ce n’est pas le cas depuis cinq ans dans la quasi-totalité des pays de l’UEM (à l’exception du Luxembourg, de la Finlande et de l’Allemagne), mais, en plus, l’écart entre la variation du PIB et le niveau des taux d’intérêt ne cesse de se tendre. Cela signifie donc que les déficits publics vont encore se tendre, que le chômage va continuer d’augmenter et que la dette va encore progresser.

C’est face à ce marasme passé et à venir que Mario Draghi a pris enfin le taureau par les cornes et a simplement rappelé le bon sens : comme nous ne cessons de le répéter depuis des mois, il ne sert à rien de mourir guéri. Autrement dit, si l’assainissement des dépenses publiques est indispensable, le retour de la croissance l’est encore plus.

Malheureusement, s’il a réalisé un grand pas en avant, le Président de la BCE n’a pas encore été assez loin. En effet, il s’est contenté de rappeler que, pour soutenir la croissance, les pays eurolandais devaient engager des réformes structurelles, notamment sur le marché du travail. C’est en cela que les propos de Draghi ne donnent absolument pas de blanc-seing à Monsieur Hollande et à sa volonté d’augmenter encore les dépenses publiques après le 6 mai s’il est élu. Sur ce point, il faut enfoncer le clou : depuis plus de vingt ans, la France n’a cessé d’accroître ses dépenses publiques, si bien qu’elles représentent aujourd’hui 56 % du PIB, l’un des niveaux les plus élevés du monde. Pourtant, en dépit de cette gabegie, la croissance annuelle moyenne de la France n’a pas arrêté de s’effondrer. De 2,5 % en 1990, elle est passée à 1,2 % dans les années 2000, puis à 0,5 % depuis cinq ans.

Si François Hollande a raison de souligner qu’il faut restaurer une croissance française forte, il a tort de laisser croire que c’est en augmentant encore les dépenses publiques que l’on y parviendra. De même, Monsieur Draghi a, pour l’instant, oublié de dire que la restauration de la croissance dans la zone euro devait aussi passer par une refonte des traités européens, notamment en permettant à la BCE d’acheter en direct de la dette publique, en s’appliquant à garantir un euro « normal » autour des 1,15 dollar et en créant un budget fédéral digne de ce nom, financé par des Eurobonds.

En attendant, « Super Mario » pourra joindre le geste à la parole dès la réunion de politique monétaire du 3 mai, en abaissant une nouvelle fois le taux refi de la BCE. Malheureusement, rien n’est moins sûr. C’est d’ailleurs là que se situe l’un des principaux problèmes de la zone euro et de ses dirigeants : ces derniers sont généralement très forts sur les effets d’annonce, mais très mauvais sur les actes. Espérons que cela changera dans les prochaines semaines.

Et ce, tant au niveau de la BCE que des gouvernements, en particulier dans l’Hexagone. Après le 6 mai, il faudra donc très vite rassurer les Français, les Européens et l’ensemble de la planète sur la volonté de la zone euro de restaurer sa crédibilité et sa capacité à générer de la croissance. Si le couple franco-allemand va au « clash », la zone euro ne résistera pas. Si les Français et les Allemands se mettent d’accord sur la réduction des dépenses publiques hexagonales et la refonte des traités européens vers plus de croissance, alors l’UEM sera sauvée et nous sortirons progressivement de la crise. Nous allons donc vivre des mois historiques. Espérons simplement que nos dirigeants feront enfin les bons choix.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Récession dans la zone euro, progression aux Etats-Unis.


Alors que les Etats-Unis sont bien sortis de la crise, la récession s’installe durablement dans une zone euro déjà durement frappée par la crise de la dette. C’est du moins ce que nous signalent les statistiques publiées cette semaine.

Aux Etats-Unis tout d’abord, les comptes nationaux du premier trimestre 2012 indiquent une progression du PIB de 2,2 % en rythme annualisé contre +2,5 % attendu par le consensus.

Le détail statistique nous montre la consommation des ménages reste le premier moteur de la croissance outre -Atlantique avec une hausse de 2,9 % contre +2,1 % au quatrième trimestre 2011. Par ailleurs, les exportations qui bénéficient de la faiblesse du dollar restent solides (+5,4 %) alors que les importations n’augmentent « que de » 4,3 %.

La petite contre-performance du PIB au premier trimestre provient de l’investissement des entreprises qui n’augmente que de 6 % contre +22,1 % au trimestre précédent. Particulièrement touché, l’investissement en équipements et logiciels ne progresse que de 1,7 % contre +7,5 % et +16,2 % pour les quatrième et troisième trimestres 2011. De même, les dépenses publiques reculent de 3 % après avoir déjà régressées de 4.2 % au  quatrième trimestre. Ces dernières impactent négativement le PIB de 0.60 %.

En revanche, l’investissement des ménages conserve de belles couleurs puisqu’il croît de 19,1 % après +11,6 % au quatrième trimestre 2011.

La consommation progresse encore mais l’investissement des entreprises ralentit.

Sources : Bureau of Economic Analysis, Datastream

Enfin, il faut noter que le mouvement de restockage se poursuit. Ainsi les stocks passent de 52 milliards de dollars au quatrième trimestre à 69,5 milliards de dollars au premier trimestre 2012. Hors stocks, la croissance américaine n’augmente que de 1,6 % en rythme annualisé.

Il faut cependant noter qu’à l’inverse de la zone euro, le cercle vertueux investissement-emploi- consommation est bien en place outre-Atlantique. En effet, en glissement annuel le PIB affiche tout de même un niveau de +2,1 % au premier trimestre.


De l’autre côté de l’Atlantique, les indices PMI des directeurs d’achat pour le mois d’avril dans la zone euro nous confirment que la récession eurolandaise va se prolonger. C’est même une véritable « douche froide ». En effet, alors que le consensus attendait une petite hausse de ces indices, ces derniers ont tous régressé significativement en avril.

A commencer par l’indice PMI manufacturier qui évolue sous la barre des 50 (marquant la frontière entre la contraction et l’expansion de l’activité) depuis août 2011, qui chute de près de deux points. Ce dernier est en effet passé de 47,7 en mars à 46,0 en avril, tombant à son plus faible niveau depuis juin 2009.

Dans les services ensuite, l’indice PMI passe sous les 48 pour afficher un niveau de 47,9 en avril. Il s’agit d’un plus bas depuis juillet 2009, soit en pleine récession eurolandaise. Enfin, logiquement l’indice PMI composite recule de près de deux points pour tomber à 47,4 un plus bas également depuis juillet 2009.

Pour compléter ce sombre tableau, l’indice de sentiment économique eurolandais a lui aussi chuté significativement en avril. En effet, alors que le consensus attendait un statu quo à 94,2 ce dernier plonge à 92,8. Il faut remonter à novembre 2009 pour obtenir un niveau plus faible.

Ces indicateurs avancés de la croissance eurolandaise nous confirment donc que le repli de l’activité va se prolonger. Ainsi, après un recul de 0,3 % au quatrième trimestre 2011, le PIB eurolandais pourrait se contracter de 0,2 % au premier trimestre. En d’autres termes, la zone euro retombera officiellement en récession.

Les indices PMI eurolandais sont formels : la récession s’installe durablement.

Sources : Markit , Bloomberg

Les deux principales économies de la zone euro sont durement touchées.

A commencer par la France qui voit son indice PMI dans les services s’effondrer de 50,1 en mars à 46,4 en avril. Après être repassé au-dessus de la barre des 50 depuis décembre 2011, ce dernier connaît donc une chute brutale et sévère. De surcroit il est important de souligner que les services représentent 80 % de l’économie hexagonale.

Même si l’indice PMI manufacturier gagne 0,6 point, il se situe toujours à un niveau extrêmement faible (47,3), reflétant la désindustrialisation chronique qui frappe la France.

Au regard de ces indicateurs économiques avancés, le PIB français qui avait miraculeusement échappé à la récession au quatrième trimestre 2011 (+0.2%) devrait se contracter de 0,2 % au premier trimestre.

Nos voisins allemands qui ont bien souvent sacrifié la croissance sur l’autel de l’inflation ne sont pas épargnés.

Ainsi le PMI manufacturier recule pour un troisième mois consécutif pour tomber à un niveau de 46,3. Il faut rappeler qu’il y a un an, ce dernier affichait un niveau de 62 dans un pays ou le secteur industriel représente environ 24 % du PIB.

L’Allemagne n’est pas épargnée…

Sources : Markit , Bloomberg

 


Enfin, malgré tout, l’indice PMI dans les services résiste bien avec un niveau de 52,6 correspondant à sa moyenne depuis le début de l’année.

En dépit d’un ralentissement, l’économie Outre-Rhin devrait toutefois parvenir à éviter de justesse la récession, puisqu’après une contraction de 0,2 % au quatrième trimestre 2011, le PIB pourrait afficher une croissance nulle au premier trimestre de cette année.

La tendance que nous évoquons depuis plusieurs mois se confirme donc, à savoir un découplage entre les Etats-Unis et la Zone euro. En effet, si les premiers pourraient voir leur PIB croître de 2,4 % cette année, celui de la zone euro ne devrait progresser que d’un très modeste 0,2 %.

 

 

Jérôme Boué


La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


 


 


 


 

Les évènements à suivre du 30 avril au 4 mai :


La job machine<