Les marchés attaqueront-ils la France après le 6 mai ?

 

C’est la question qui hante de plus en plus de Français depuis quelques jours : et si la France subissait le même sort que l’Espagne, le Portugal, voire la Grèce, au lendemain des élections présidentielles ? Au-delà des tactiques électoralistes traditionnelles et des rumeurs fumeuses, cette question est loin d’être anodine et encore moins exagérée.

En effet, la crise de la zone euro est loin d’être terminée, les taux d’intérêt obligataires repartent à la hausse dans les pays du Sud de l’Europe, notamment en Espagne, et la récession s’installe de nouveau sur le Vieux Continent. Autrement dit, le contexte est particulièrement propice à une recrudescence des craintes sur la stabilité de l’UEM. De plus, en dépit de ces dangers, les principaux candidats à la présidentielle française ont continué de nier l’essentiel, laissant croire que la France pourrait relancer sa croissance et réduire ses déficits sans aucune difficulté. La situation est devenue tellement grotesque que le magazine The Economist a consacré un dossier entier sur le déni français et le fait qu’après les élections, le réveil risque d’être particulièrement douloureux.

Le lancement d’un contrat à terme pour se couvrir contre une baisse du cours des obligations des OAT a complété ce sombre tableau, même si, pour le moment, cette stratégie n’a pas suscité d’engouement particulier.

En fait, avant de se décider, les investisseurs attendent simplement de pouvoir éclairer leur lanterne avec les résultats du premier tour, puis du second et surtout avec les premières mesures qui seront prises après le 6 mai.

Evidemment, certains ne manqueront pas de dénoncer une fois encore le dictat des marchés, les insupportables agissements des méchants spéculateurs et tutti quanti…

A ceux-là, il faut rappeler que ce ne sont pas les marchés, ni les spéculateurs qui ont demandé à l’Etat français d’augmenter démesurément ses dépenses, son déficit et sa dette. Non, si la France en est arrivée là, c’est parce que ses dirigeants politiques l’ont décidé. Bien sûr, l’Etat français est venu au secours des banques lors de la crise de l’automne 2008. Mais n’oublions pas que cela a été particulièrement lucratif. Et pour cause : alors qu’il s’endettait à un taux d’intérêt de 3 % sur les marchés, l’Etat français a prêté aux banques hexagonales à un taux de 8 %. Cet écart a permis de ramener plus de 12 milliards d’euros dans les caisses publiques.

Si la dette publique française a tant augmenté ce n’est pas à cause du sauvetage des banques, mais surtout de par la mauvaise allocation des dépenses publiques. L’augmentation de ces dernières ayant été incapable de restaurer une croissance suffisamment forte ne serait-ce que pour rembourser le paiement des intérêts de la dette publique. Ainsi, depuis cinq ans, alors que ces derniers avoisinent 2,5 % du PIB, la croissance annuelle moyenne française n’a été que de 0,5 % en volume et de 1,6 % en valeur.

Nous sommes donc très loin du compte. De plus, dans la mesure où plus de 65 % de la dette publique est détenue par des investisseurs étrangers, il est logique que ces derniers demandent des comptes à leur débiteur, en l’occurrence l’Etat français. Dans ce cadre, si, au lendemain des élections, rien n’est fait pour réduire les déficits publics et restaurer une croissance soutenue, il est inévitable que les taux d’intérêt des obligations du Trésor français se tendront significativement, au moins vers les 4 %.

Ce mouvement pèsera mécaniquement sur l’investissement et la consommation, donc sur la croissance et l’emploi. La récession refera surface et les craintes sur la faculté de la France à sortir de l’ornière s’intensifieront.

Pour éviter le pire, il faudra donc que l’Allemagne accepte de réformer la politique économique de la zone euro en faveur d’une croissance plus forte. Ce qu’elle n’acceptera de faire que si la France s’engage dans une baisse crédible des dépenses publiques. La question est alors de savoir si le gouvernement français qui sera alors en place aura le courage de le faire. Sinon, le clash sera inévitable.

En attendant, un premier clash pourrait avoir lieu dès le 22 avril si les partis extrémistes réussissent à avoisiner les 40 % des suffrages. Si tel est le cas, les investisseurs commenceront à se couvrir contre le risque « France » et il sera ensuite particulièrement difficile d’inverser la tendance.

Ce ne sont donc pas les marchés qui vont attaquer la France, mais les Français qui risquent de fabriquer le bâton pour qu’on leur tape sur la tête. Une chose est sûre : le printemps sera chaud dans l’Hexagone…

Marc Touati