L’année du « Draghi » ? (E&S n °202)

 

Humeur :

L’année du « Draghi » ?

Cela n’aura certainement échappé à personne : selon le calendrier chinois, nous sommes entrés dans l’année du Dragon, signe de puissance et de réussite. Si ces dernières caractéristiques incarnaient plutôt bien l’économie chinoise cette année encore et au moins jusqu’en 2013, il n’en sera certainement pas de même pour la zone euro. Et pour cause : pour la cinquième année consécutive, cette dernière restera l’une des lanternes rouges de la croissance mondiale. En d’autres termes : rien de nouveau sous le triste soleil de l’Union Economique et Monétaire.

Toutefois, au milieu de cet océan d’inquiétudes et de pessimisme, un changement positif s’est opéré il y a tout juste cent jours au sein de l’UEM. A savoir, le remplacement à la tête de la BCE du dogmatique Jean-Claude Trichet par le pragmatique (du moins en apparence) Mario Draghi.

En effet, depuis une vingtaine d’années, le premier n’a cessé de sacrifier la croissance sur l’autel de l’inflation. D’abord dans l’Hexagone, lorsqu’il était Gouverneur de la Banque de France, puis à l’échelle de la zone euro, en tant que Président de la BCE. « Par charité », nous ne remontrons pas à l’époque où celui-ci était directeur du Trésor, en charge notamment de mener le Crédit Lyonnais à la quasi-faillite. Comme quoi, l’impunité a la vie longue en France et en Europe, du moins pour certaines personnes. Car, comme si toutes ces erreurs ne suffisaient pas, le même Jean-Claude a été nommé administrateur d’EADS, dont les dirigeants n’ont pourtant cessé de se plaindre d’un euro trop fort notamment lié à une politique monétaire trop restrictive. Hasard ou coïncidence, depuis cette nomination, de nouvelles microfissures ont été découvertes sur la voilure de certains A380, ce qui a incité l’Agence européenne de sécurité aérienne (AESA) à recommander l’inspection de tous les Airbus de ce type en circulation. Espérons simplement que les problèmes à répétition des A380 ne finiront pas comme ceux de la Grèce et de la zone euro…

Toujours est-il que, fort heureusement, Monsieur Jean-Claude ne dirige plus la BCE et que son successeur a décidé de faire table rase du passé. Tout d’abord, ce dernier s’est employé à corriger les deux dernières erreurs de son prédécesseur, qui avait augmenté le taux refi de la BCE à deux reprises en 2011, en pleine crise grecque et sur fond de menaces quant à l’existence même de la zone euro. A peine nommé et alors que Monsieur Trichet avait annoncé un mois plus tôt qu’il était hors de question d’assouplir l’étreinte monétaire de la BCE, « Super Mario » a donc décidé d’abaisser le taux refi de 25 points de base et par deux fois.

Mieux, alors que les dangers redoublaient d’intensité et faisaient dire à certains que la zone euro ne passerait pas Noël, le « Dragon » Draghi a pris le taureau par les cornes le 23 décembre 2011 et a tout simplement sauvé l’UEM, du moins temporairement. Pour ce faire, il a permis aux banques eurolandaises de se financer à 1 % sur une durée de trois ans et ce sans limite de montant. En d’autres termes, c’est désormais « open bar ». Le principe de cette démarche est relativement simple : dans la mesure où le marché interbancaire reste très tendu et où les banques continuent de ne pas se faire confiance, la leur BCE créé pour ces dernières une facilité de caisse a priori infinie. Le but est double. D’une part, il permet de contourner les tensions et la défiance qui prévalent sur le marché interbancaire. D’autre part, il devrait également permettre aux banques européennes d’acheter plus facilement des bons du Trésor des pays de la zone euro. Effectivement, en se finançant à 1 % sur trois ans, les banques ont a priori toute latitude pour acheter des obligations d’Etat rémunérées avec un rendement à plus de 3 %, voire parfois à plus de 6 %.

Jusqu’à présent, ce sauvetage a d’ailleurs plutôt bien fonctionné. Ainsi, apaisées par leurs facilités de caisse, les banques européennes ont financé sans rechigner les Etats eurolandais, y compris ceux des pays du Sud, permettant par là même une légère détente des taux obligataires. Dans ce cadre, la crise de la dette publique pourrait progressivement s’estomper. Mieux encore, l’investissement des entreprises et plus globalement la croissance et l’emploi reprendraient prochainement des couleurs.

Malheureusement, nous en sommes encore très loin. Certes, la stratégie récente de la BCE est largement plus « appréciable » que celle qui prévalait au cours des huit années précédentes (il aurait d’ailleurs été difficile de faire pire). Pour autant, elle continue d’oublier l’essentiel : la croissance forte. En effet, en permettant aux banques de se financer à faible coût pour acheter des bons du Trésor, la BCE a favorisé « l’effet d’éviction », c’est-à-dire la favorisation du financement des dettes publiques au détriment de l’investissement des entreprises. Or, l’économie eurolandaise a justement besoin d’investissements, d’emplois et de consommation en provenance du secteur privé.

Il aurait donc été beaucoup plus judicieux d’autoriser la BCE à renflouer directement les Etats, de manière à permettre aux banques de financer les entreprises et les ménages. De même, tant que l’euro restera cher et supérieur à 1,18 dollar pour un euro (qui représente le niveau d’équilibre de l’euro/dollar selon le taux de change naturel dit Natrex), la croissance eurolandaise demeurera brimée et insuffisante pour créer des emplois et rembourser la charge annuelle des intérêt de la dette publique pour la grande majorité des pays de la zone euro.

Pour parvenir à ce taux de change idéal, la BCE devra encore abaisser son taux refi, pour réduire, voire annuler l’écart avec son homologue américain. Et si Mario Draghi a annoncé qu’il fera encore un geste, celui-ci tarde à venir, alimentant la cherté excessive de l’euro et décalant d’autant le redémarrage de la croissance.

La bonne nouvelle réside donc dans le fait que l’action de la BCE a évolué positivement. La mauvaise c’est que nous sommes toujours loin du but et que le dogmatisme reste encore dominant tant au sein de l’Institut francfortois qu’au niveau des dirigeants politiques de nombreux pays de l’UEM.

Espérons donc que cette année du Dragon sera aussi celle de Draghi, c’est-à-dire celle de la victoire du pragmatisme sur le dogmatisme qui, depuis plus de vingt ans, a fait tant de mal à notre vielle Europe et à notre douce France.

 

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?


En Allemagne aussi, tout n’est pas si rose !


Nos voisins allemands qui jusqu’à présent résistaient particulièrement bien face à la crise eurolandaise, commencent eux aussi à souffrir.

Certes, la semaine avait pourtant bien démarré pour l’économie allemande, puisque après avoir chuté de 4,9 % en novembre les commandes aux usines ont progressé de 1,7 % en décembre. Ces dernières ont bénéficié du rebond des biens d’équipements qui augmentent de 2,8 %, alors qu’ils avaient fortement baissé en novembre (-6,5 %). Par ailleurs, les commandes de biens de consommation repartent également à la hausse (+1,9 %) après un recul de 1,7 % en décembre.

Il faut cependant relativiser cette bonne performance car les commandes aux usines en décembre allemandes sont extrêmement volatiles depuis le mois de septembre.

En revanche, la forte chute de la production industrielle en décembre (-2,9 %) est particulièrement inquiétante. En effet, Il s’agit de la plus forte baisse depuis janvier 2009, et quasiment tous les secteurs sont dans le rouge.

A commencer par celui de la construction qui plonge de 6,4 % en décembre. Parallèlement, les biens d’équipement régressent de 3,6 % et la production d’énergie recule de 2,2 %. Enfin le secteur manufacturier & minier affiche une baisse de 2,7 %.

Si son glissement annuel reste solide en décembre (+1,3 %), la production industrielle allemande qui représente environ 24 % du PIB a reculé de 1,9 % au quatrième trimestre annonçant un net recul de l’activité.

La faiblesse de la production industrielle annonce un fort recul de l’activité au quatrième trimestre.

Sources :Bloomberg, Deutsche Bundesbank.

Le commerce extérieur fait également grise mine. Ainsi après avoir atteint 17,3 milliards d’euros en septembre 2011, l’excèdent commercial allemand est reparti depuis à la baisse pour se situer à 12,9 milliards d’euros en décembre.

Les exportations ont particulièrement souffert puisqu’elles ont chuté de 4,3 %.


Si ces dernières sont structurellement fortes du fait de leur bonne spécialisation sectorielle (environ 50 % de biens d’équipements contre 22 % pour la France) et géographique, elles ne sont pas immunisées contre les effets négatifs d’un euro fort.

L’euro fort touche aussi les exportations allemandes.

Sources :Bloomberg, German Federal Stastistic. .

D’autre part les importations ont reculé de 3,9 % en décembre confirmant le manque de dynamisme de la demande intérieure. C’est d’ailleurs l’une des principales faiblesses de l’économie allemande qui ne bénéficie pas du relais de croissance de son marché domestique lorsque les exportations faiblissent. Il est vrai, que comme le Japon, l’Allemagne doit faite face à un recul de sa population. De surcroit la consommation des ménages représente environ 50 % du PIB Outre-Rhin…

Et la demande intérieure reste faible…

Sources :Bloomberg, German Federal Stastistic

Dans ce cadre, après avoir progressé de 0,5 % au troisième trimestre, le PIB Allemand devrait reculer de 0,5 % au quatrième trimestre. La zone euro qui ne pourra pas compter sur sa principale locomotive et encore moins sur les pays du sud, devrait voir son PIB chuter de 0,6 % sur la période marquant ainsi son entrée en récession.

 

Jérôme Boué


.La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

 


 


Les évènements à suivre du 13 au 17 février :


Zone euro : le PIB repasse dans le rouge.


L’actualité économico-statistique sera particulièrement dense cette semaine outre-Atlantique. Nous suivrons les ventes au détail (mardi) puis la production industrielle (mercredi). Nous connaîtrons également les chiffres des mises en chantier et des permis de construire (jeudi) pour finir vendredi par la publication de l’inflation pour le mois de janvier et l’indicateur avancé du Conference Board.

De ce côté de l’Atlantique, nous prendrons connaissance des comptes nationaux eurolandais pour le quatrième trimestre.

 

Mardi 14 février, 14h30 (heure de Paris) : les ventes au détail américaines repartent à la hausse en janvier.

En perte de vitesse depuis le mois d’octobre, les ventes au détail américaines ont reculé de 0,2 % en décembre 2011. Pour le mois de janvier 2012, soutenues par 11 000 créations d’emplois dans le commerce de détail, ces dernières pourraient progresser de 0,6 %. Hors transport, nous anticipons une hausse de 0,5 %.

 

Mercredi 15 février, 11h : la zone euro entre en récession au quatrième trimestre.

Payant l’addition des erreurs de gouvernance de ses principaux dirigeants depuis dix ans et pénalisée par un euro trop fort, la zone euro va entrer en récession. En effet, la faiblesse de la consommation des ménages, de l’investissement des entreprises et de la production industrielle nous indiquent que la croissance eurolandaise pourrait chuter de 0,6 % au quatrième trimestre portant son glissement annuel à +0,4 %. La zone euro qui ne pouvait déjà plus compter sur les pays du Sud, subira également de plein fouet le fort ralentissement des économies françaises et allemandes dont les PIB respectifs pourraient reculer de 0,5 % au quatrième trimestre.


Mercredi 15 février, 15h15 : la production industrielle américaine reste solide en janvier.

Après avoir progressé de 0,9 % au quatrième trimestre 2011, la production industrielle américaine devrait bien démarrer l’année 2012. En effet, bénéficiant notamment de la reprise du secteur automobile, cette dernière pourrait augmenter de 0,8 % en janvier. Dans ce cadre, le taux d’utilisation des capacités de production devrait atteindre 78,7 %.