Triple A, Chine, Dollar : la vérité si je mens ! (E&S n°199)

 

Humeur :

Triple A : La vérité si je mens !

Triple A, AA+, Standard and Poor’s, Moody’s, Fitch, autant de noms et d’acronymes qui étaient quasiment inconnus du grand public il y a moins d’un an et qui sont aujourd’hui sur toutes les lèvres. Preuve incontestable de cette entrée en fanfare dans le quotidien des Français, un nombre incalculable de cartes et de mails de vœux ont été rédigés sous le sceau du triple A : Amour, Argent, Audace, Aventure, Ataraxie, j’en passe et des meilleurs… Ainsi, l’avenir de la France semblait conditionné par le maintien du fameux AAA. Face à l’inévitable perte de ce Graal, les dirigeants français s’étaient même employés à dédramatiser la situation depuis décembre dernier. Toujours est-il que l’inquiétude battait son plein et que la grande majorité des observateurs économiques attendaient fébrilement l’abaissement de la note de la France. Dans ce contexte de tension extrême, l’annonce de la dégradation par Standard and Poor’s le vendredi 13 janvier en fin d’après-midi a été présentée par certains comme une catastrophe sans nom.

Pour notre part, et comme nous l’avions écrit dès octobre dernier, le véritable enjeu ne résidait pas dans la perte du triple A français mais dans l’ampleur de cette dernière. Nous expliquions alors qu’une dégradation d’un cran à AA+ était déjà intégrée par les marchés et qu’elle n’aurait que peu d’impact sur les taux d’intérêt et sur les cours boursiers. Dans ce cadre, il est possible de dire qu’une fois encore, les agences de notations ont été conciliantes à l’égard de la France. En effet, non seulement, Standard and Poor’s n’a abaissé la note que d’un seul niveau, à AA+, mais les deux autres agences, en l’occurrence Moody’s et Fitch, ont maintenu leur AAA. Dès lors, la bérézina tant attendue, voire souhaitée par certains, n’a pas eu lieu. Mieux, la bonne tenue de la croissance chinoise et des indicateurs conjoncturels américains a permis aux marchés d’ignorer la dégradation de la note française et de retrouver rapidement le chemin de la hausse.

Face à cette cacophonie, une question s’impose : Qui croire ? Où est la vérité ? Pour répondre à ces questions, il faut tout d’abord souligner ou plutôt rappeler que les agences de notation ne sont pas des modèles de transparence. Loin s’en faut. Ainsi, les notes qu’elles « fabriquent » ne sont pas le produit d’un calcul objectif, mais d’une analyse subjective. Si elles devaient adopter une lecture stricte et objective des données économiques et financières de la France, il y a déjà bien longtemps qu’elles auraient dégradé nettement la note de la dette publique hexagonale.

La réalité de notre économie est effectivement sans appel : une dette publique de presque 90 % du PIB, une part des dépenses publiques de 57 %, un déficit annuel moyen de 4,3 % du PIB depuis dix ans et de 6 % depuis quatre ans. Autant de dépenses et de déficits pour obtenir une croissance économique annuelle moyenne de seulement 1,2 % au cours des dix dernières années et de 0,1 % de 2008 à 2011. Pis, la récession est déjà en train de faire son grand retour, ce qui devrait se traduire par une augmentation du PIB d’au mieux 0,5 % en 2012. Pour la cinquième année consécutive, la croissance française sera donc insuffisante pour simplement compenser le paiement des intérêts de la dette publique. Pour régler ces derniers, il va donc encore falloir s’endetter. Autrement dit, commencée il y a quatre ans, la bulle de la dette n’est pas près de se dégonfler. Enfin, pour couronner le tout, il faut savoir que, depuis environ six ans, l’actif net de l’Etat français est négatif. Cela signifie que, même en vendant tous ses actifs, ce dernier ne couvre pas l’ensemble de sa dette.

Dans ce contexte, comment est-il possible de maintenir le triple A de la France ou même de la dégrader d’un seul cran ? La réponse de Moody’s, de Fitch, voire de Standard and Poor’s est la même depuis une dizaine d’années : « Nous faisons confiance aux dirigeants français pour réduire les déficits publics ». Si cette réponse était à la rigueur acceptable il y a dix ans, elle est aujourd’hui particulièrement décalée face aux dérapages récurrents des déficits et de la dette. Elle correspond même à une certaine injustice, dans la mesure où, en dépit d’efforts conséquents et d’un excédent primaire de ses comptes publics (c’est-à-dire hors paiement des intérêts de la dette), l’Italie a vu sa dette dégradée de deux crans à BBB+, c’est-à-dire qu’elle est désormais considérée comme de qualité moyenne inférieure.

En conclusion, il n’est pas possible de faire confiance aux agences de notation. Comme nous l’avons souvent évoqué, ces dernières sont comparables à la cavalerie dans les westerns américains, c’est-à-dire qu’elles arrivent toujours après la bataille. Par exemple, avant 2007, elles n’avaient pas hésité à attribuer un triple A à des dettes titrisées sur des actifs subprimes, donc extrêmement dangereux. De même, avant la crise grecque, les dettes hellènes, portugaises et espagnoles étaient présentées comme de très bonne qualité. Ce n’est qu’après le début de la crise, que les agences de notation se sont précipitées pour annoncer de fortes dégradations.

Autrement dit, l’important ne réside pas dans les notes des agences de rating. Ces dernières ne constituent finalement qu’un thermomètre en mauvais état qui ne donne qu’une vague idée de la température ambiante. L’essentiel se situe plutôt dans la capacité de la France et des pays de la zone euro à réduire leurs dépenses publiques inefficaces, et notamment celles de fonctionnement, tout en restaurant une croissance économique durablement soutenue. Tant que ceux-ci n’y parviendront pas et préféreront faire preuve de dogmatisme, l’épée de Damoclès d’une forte dégradation et surtout d’une explosion de la zone euro restera au-dessus de nos têtes.

Le comportement des pays eurolandais s’apparente donc à celui de Gad Elmaleh dans « la vérité si je mens 2 », lorsqu’il présente sa société à des clients potentiels en leur faisant croire que cette dernière est solide, irréprochable et de haute technologie, alors qu’il ne s’agit que d’une coquille vide en plein désert. Jusqu’à présent, les agences de notation ont fait semblant de ne pas voir l’envers du décor, mais il est clair que cette indulgence ne sera pas éternelle. Tôt ou tard, il faudra affronter la réalité. C’est ce que nous devrons forcément faire après les échéances électorales du printemps prochain. L’heure de vérité approche à grands pas…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Chine : la croissance et l’inflation restent sous contrôle.


Alors que la Zone euro devrait retomber en récession au quatrième trimestre et que la reprise reste faible outre-Atlantique, la Chine continue de suivre le chemin de la croissance forte.

Ainsi le PIB a progressé de 2 % au quatrième trimestre portant son glissement annuel à un niveau de +8,9 % contre +8,7 % attendu par le consensus. Certes en glissement annuel la croissance chinoise a reculé pour un quatrième trimestre consécutif pour tomber à son plus bas niveau depuis le deuxième trimestre 2009, mais ce ralentissement est volontaire puisqu’il constitue un objectif de l’actuel plan quinquennal chinois.

Les principaux moteurs de la croissance chinoise jouent toujours leur rôle. A commencer par le premier d’entre eux : la demande intérieure. En effet, le glissement annuel des ventes au détail a atteint un niveau de +18,1 % en décembre, soit un plus haut depuis le mois de janvier 2011. Cette forte demande intérieure qui fait tant défaut à l’Allemagne notamment, permet à la Chine de faire face au ralentissement de la demande mondiale qui pénalise ses exportations.

La demande intérieure est toujours le principal moteur de la croissance Chinoise.

Source : Bloomberg

Autre moteur traditionnel de la croissance de l’Empire du milieu, les exportations. Bien que l’on constate un ralentissement, ces dernières qui bénéficient toujours d’un « yuan de combat » restent néanmoins vigoureuses. Ainsi en dépit d’un quatrième mois de recul consécutif les exportations chinoises ont affiché un glissement annuel conséquent de +13,4 % en décembre. Par ailleurs, les importations ont presque été divisées par deux sur un an avec un niveau de +11,8 % YoY contre +22.1 % YoY en novembre. L’excédent commercial qui avait reculé en novembre à 14,53 milliards de dollars est reparti à la hausse en décembre pour atteindre 16,5 milliards de dollars.

En d’autres termes, en dépit du ralentissement du commerce mondial du fait de la crise eurolandaise et de la faible reprise outre-Atlantique, le commerce extérieur demeure un soutien de taille à la croissance chinoise.


Les exportations restent solides.

Source : Bloomberg

Parallèlement, avec un niveau de +12,8 % en glissement annuel, la production industrielle chinoise affiche toujours une insolente santé.

Cerise sur le gâteau, l’inflation qui avait atteint +6,5 % en juillet régresse pour un cinquième mois consécutif pour tomber à +4,1 % en décembre. Ce recul s’explique par le repli des prix alimentaires qui constituent la principale source de hausse des prix en Chine (hors alimentation l’inflation n’est que de +1,9 %). Il faut également souligner que la maitrise de l’inflation fait partie des principales priorités de Pékin qui a procédé à un resserrement du crédit (relèvement des ratios de réserves imposées aux banques et cinq hausses des taux directeurs entre l’automne 2010 et l’été 2011). A noter également le glissement annuel des prix à la production qui est passé de +2,7 % en novembre à +1,7 % en décembre soit un plus bas depuis tout juste deux ans.

L’inflation régresse encore.

Source : Bloomberg

Enfin, il faut rappeler que l’Empire du Milieu bénéficie toujours de 3180 milliards de dollars de réserves de change dans lesquelles il peut puiser en cas de coup dur.

Comme en 2011, la Chine restera cette année le principal moteur de la croissance mondiale. En effet son PIB devrait avoisiner les 9 % cette année, toujours sans dérapage inflationniste. Qui dit mieux ?

Jérôme Boué


.La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

 


Les Marchés:

2012, l’année du dollar ?


Après avoir nettement baissé du début 2002 à l’été 2011 (avec une pause de l’automne 2008 au début 2009), le dollar a enfin repris des couleurs, en dépit d’une volatilité toujours très forte.

Ainsi, malgré la faiblesse historique du taux objectif des federal funds, qui a empêché le billet vert de s’apprécier fortement, ce dernier a retrouvé les faveurs des investisseurs.

Le dollar reprend enfin des couleurs.

Source : Datastream

En réalité, bien loin des prévisions consensuelles d’il y a encore quelques mois qui annonçaient l’écroulement de la devise américaine, le dollar a ou faire office de valeur refuge face à la crise de la zone euro.

En effet, s’il n’est pas sûr que l’euro sous sa forme actuelle existera encore d’ici trois ans, la pérennité du dollar ne fait aucun doute. Certes, selon toute vraisemblance, un jour viendra où la Chine sera tellement puissante qu’elle pourra imposer le yuan comme devise internationale concurrente du dollar. Une nouvelle crise historique en découlera alors, mais ce, pas avant une bonne dizaine d’années.

D’ici là, le billet vert et l’Oncle Sam ont encore de beaux jours devant eux. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de l’euro et de l’UEM.

Euro/dollar : le retour à la normale est inévitable

Sources : Bloomberg, Datastream

Ainsi, pour que cette dernière survive, l’euro devra forcément retrouver un niveau plus normal, c’est-à-dire entre 1,15 et 1,20 dollar pour un euro, niveaux qui correspondent respectivement à la parité des pouvoirs d’achat et au Natrex (taux de change naturel en fonction des fondamentaux économiques).

De facto, le comparatif des performances de croissance des deux côtés de l’Atlantique est sans appel : la zone euro est déjà retombée en récession et devrait réaliser une croissance d’au mieux 0,7 % cette année. Parallèlement, les États-Unis ont non seulement évité la rechute, mais devraient surtout enregistrer une croissance de 2,4 % en 2012.

Les écarts de croissance sont sans appels.

Sources : Bloomberg, prévisions Assya Compagnie