Marchés, France, Zone Euro, USA : pas de trêve des confiseurs ! (E&S n°196)

 

Humeur :

2011, une année gâchée !

Même si l’année 2011 n’est pas terminée et pourrait donc nous réserver encore quelques mauvaises surprises, il est d’ores et déjà possible d’en dresser un premier bilan. Ce dernier pourrait presque tenir en deux mots : Grand Gâchis. En effet, il y a un peu plus d’un an, la croissance mondiale était forte et atteignait la barre symbolique des 5 %, contre une moyenne annuelle de 3,3 % de 1980 à 2009. Dans le même temps, après une récession historique, l’économie de la zone euro commençait à retrouver des couleurs et semblait par là même capable de surmonter la crise grecque et de sortir définitivement de la crise de la dette publique. A l’époque, nous communiquions autour du thème « la reprise est là, ne la gâchons pas ! ». Notre crainte résidait principalement dans une remontée hâtive du taux refi de la BCE et dans une appréciation excessive de l’euro/dollar, deux évolutions qui casseraient inévitablement la croissance eurolandaise.

Et c’est malheureusement ce qui s’est produit. Ainsi, alors que la crise grecque s’étendait à l’ensemble des « pays du Sud », la Banque Centrale Européenne annonça qu’elle ne tarderait pas à remonter son taux refi, ce qu’elle fit dès le mois d’avril 2011. En dépit du ralentissement qui commençait déjà, l’euro s’apprécia, cassant davantage la petite croissance qui venait tout juste de s’installer. Cette appréciation excessive de la devise européenne s’est évidemment traduite par une baisse tout aussi excessive du dollar, suscitant un mouvement de défiance des investisseurs qui se sont « réfugiés » sur les marchés des matières premières. Une flambée intempestive des cours de ces dernières et notamment du pétrole s’est mécaniquement imposée, réduisant encore la croissance eurolandaise. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les dirigeants eurolandais ont ainsi réitéré la même erreur qu’en 2007-2008, à savoir un resserrement monétaire inapproprié, une hausse de l’euro tout aussi déplacée et au bout du compte une appréciation destructrice des cours des matières premières. Mais, si en 2008, ce furent les Etats-Unis qui mirent le feu aux poudres, en permettant la faillite sauvage de Lehman Brothers ; en 2011, ce sont les Eurolandais qui ont actionné le détonateur, en laissant la crise grecque dégénérer en crise de la zone euro.

En fait, à l’instar du sauvetage de Dubaï par Abu Dhabi en moins de quinze jours, les Eurolandais auraient pu en faire de même avec la Grèce dès début 2010. Il leur aurait suffi de prendre à leur charge une partie des intérêts de la dette publique grecque de l’époque, tout en imposant un monitoring des dépenses publiques hellènes. La spéculation aurait immédiatement pris fin et les taux d’intérêt auraient reculé, permettant à la croissance de redémarrer. Malheureusement, par excès de dogmatisme et manque de clairvoyance, les dirigeants eurolandais ont préféré fermer la porte à toute solution rapide, ce qui a suscité une flambée des taux longs, donc une augmentation de la charge d’intérêts de la dette et une aggravation de la récession. Deux évolutions qui n’ont pas manqué d’accroître le déficit public, enclenchant un cercle pernicieux qui n’a cessé de prendre de l’ampleur et de faire tâche d’huile dans l’ensemble de la zone.

Et comme si cette erreur stratégique ne suffisait pas, la BCE a alourdi la barque à deux reprises. Quant aux dirigeants politiques eurolandais, ils ont continué d’enfoncer le clou. En effet, plutôt que de relancer très vite la croissance, ils ont préféré multiplier les « sommets de la dernière chance », tous aussi vains les uns que les autres. Le dernier en date a même montré combien ceux-ci étaient simplement devenus des champions du marketing, capables de claironner qu’ils ont sauvé la zone euro, grâce à un nouveau traité qui ne sera peut-être jamais ratifié et qui se cantonne à automatiser des sanctions en cas de dérapage budgétaire. Et la croissance dans tout ça ? Rien. On nous laisse croire qu’en annonçant de telles sanctions, la confiance et la croissance vont revenir. Mais pendant combien de temps nos dirigeants vont-ils favoriser le dogmatisme et soutenir, quoiqu’il arrive, qu’ils ont raison ? En d’autres termes, jusqu’à quand vont-ils gâcher la zone euro ?

Car, c’est bien de cela dont il s’agit : la création de la monnaie unique était une réussite exceptionnelle capable de bousculer l’hégémonie du dollar et des Etats-Unis. Seulement voilà, nos dirigeants ont oublié que sans croissance forte et sans budget fédéral conséquent, la zone euro n’a pas d’avenir. Et, ne nous leurrons pas : même si l’ensemble de l’économie mondiale pâtira des difficultés de l’UEM, la crise actuelle est et restera avant tout européenne. D’ailleurs, alors que celle-ci replonge dans la récession, la croissance mondiale se stabilise autour des 3,5 % tant en 2011 qu’en 2012. Cette dynamique est notamment soutenue par les pays émergents, Chine en tête, et, dans une moindre mesure par les Etats-Unis, qui, en dépit des erreurs commises par l’Administration Obama, continuent de résister et de tourner le dos à la récession.

Face à ce nouveau découplage, les Européens auraient peut-être pu enfin se retrousser les manches et faire le mea culpa de leurs égarements stratégiques. Mais, non, cela est bien trop difficile pour des dirigeants pleins d’orgueil et qui refusent la critique, quand bien même cette dernière serait rendue incontestable par la simple observation des faits. Aussi, bien loin de ces aveux qui auraient été salutaires, les Européens, et en particulier les Français, préfèrent agiter le chiffon rouge du nationalisme et demander aux citoyens « d’acheter français », en nous laissant croire que c’est grâce à ce comportement que l’on pourra réindustrialiser le pays. Mais de qui se moque-t-on ? La désindustrialisation n’est pas due au manque de patriotisme des consommateurs et des entrepreneurs français. Elle est la conséquence logique d’une trop grande pression fiscale et réglementaire, d’un marché du travail trop rigide, d’une politique budgétaire et monétaire inefficace, d’un euro trop fort et, enfin, d’une politique d’innovation inappropriée. C’est à cause de ces errements que le poids de l’industrie dans le PIB français est passé de 34 % en 1990 à 17 % en 2002 et à 13 % aujourd’hui.

Une crise sans précédent, une dizaine de sommets « historiques » pour rien, des erreurs stratégiques impardonnables, un dogmatisme irreffréné et une démagogie insupportable… A l’évidence, 2011 est une année à oublier pour la France et pour la zone euro. A moins que 2012 ne soit encore pire…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

L’Oncle Sam garde le cap.


Alors que la zone euro plonge dans la récession, l’Oncle Sam garde le cap à l’image des statistiques publiées cette semaine.

A commencer par les ventes au détail qui en dépit d’une modeste progression de 0,2 % en novembre contre +0,6% attendue par le consensus, affichent un glissement annuel de 6,7 %. Ces dernières ont été essentiellement tirées par les ventes de matériel électronique (+2,1 %) mais également par les secteurs de l’automobile et de l’habillement qui progressent chacun de 0,5 %. Enfin, il faut noter la bonne résistance des ventes de meubles (+0,4%).

En d’autres termes même si elles ne font pas d’étincelles, les ventes au détail nous indiquent que les ménages américains vont continuer de soutenir significativement la croissance outre-Atlantique. S’il est encore loin de sa vitesse de croisière, le cercle vertueux investissement-emploi-consommation est donc bien présent et devrait progressivement s’intensifier.

La consommation des ménages américains va continuer de soutenir la croissance.

Sources : Dept of Commerce-Bureau of Census, BEA, Datastream

Par ailleurs, la production industrielle a été relativement décevante. En effet, après avoir progressé de 0,7 % en octobre, cette dernière a reculé de 0,2 % en novembre contre une hausse de 0,1 % attendue par le consensus. Cependant son glissement annuel reste conséquent puisqu’il affiche un niveau de 3,7 %.

Le détail statistique indique que la production manufacturière a reculé de 0,4 % essentiellement freinée par une chute de 3,4 % dans le secteur automobile. De même, les biens de consommation et les biens d’équipement ont respectivement régressé de 0,5 % et de 0,1 %. En revanche, le secteur défense & aérospatiale reste solide avec une progression de 1,4 %. Enfin, le taux d’utilisation des capacités de production recule légèrement à 77,8 % contre 78 % précédemment.

A l’inverse de la zone euro la production industrielle américaine résiste bien et continuera de soutenir la croissance.


La production industrielle résiste sans brio…

Sources : Federal Reserve, Datastream

Parallèlement l’inflation régresse pour un deuxième mois consécutif. Ainsi l’indice des prix à la consommation a affiché une croissance nulle en novembre portant son glissement annuel à un niveau de + 3,4 % en novembre contre +3,5 % en octobre, soit un plus bas depuis avril 2011. Ce repli reflète logiquement la baisse des coûts des matières premières et notamment énergétiques qui constituent la principale source de hausse des prix.

Hors énergie et alimentation, l’inflation a légèrement progressé en novembre pour atteindre un niveau de +2,2 % après +2,1 % en octobre. Plus globalement, les prix devraient continuer de baisser outre-Atlantique et l’inflation pourrait atteindre en moyenne +2,9 % cette année et +1,8 % en 2012. Alors que la question de la monétisation de la dette publique par la Banque Centrale Européenne divise la France et l’Allemagne, force est de constater que le « quantitative easing» n’a pas généré de dérapage inflationniste aux Etats-Unis.

L’inflation recule encore outre-Atlantique.

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream

Pour conclure, s’il n’a pas encore trouvé son rythme de croisière, l’Oncle Sam continue de résister. Ainsi le PIB devrait croître de 1,8 % cette année et de 2,4 % en 2012.

Jérôme Boué


.La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

 


Les Marchés:

Pas de trêve des confiseurs cette année.


Ceux qui comptent sur la traditionnelle trêve des confiseurs pour prendre quelques congés et se reposer du tumulte économique et financière de l’année écoulée risquent d’être déçus. En effet, à l’exception peut-être les 25 et 31 décembre, les prochains jours devraient réserver pas mal de mauvaises surprises et de turbulences : Confirmation de la récession en Europe, et notamment en France, dégradation des notes des dettes publiques de la quasi-totalité des pays eurolandais, sans oublier les risques géopolitiques, comme par exemple en Russie et au Moyen-Orient… Nous ne sommes donc certainement pas au bout de nos peines.

D’ores et déjà, les marchés ont intégré ces dangers et ont commencé à sous-pondérer l’Europe dans toutes les classes d’actifs.

Ainsi, l’évolution comparée des indices boursiers américains et européens montre que le découplage économique entre les deux côtés de l’Atlantique est déjà bien présent sur les marchés. L’écart de performances entre le Dow Jones et le Cac 40 depuis le début 2011 est d’ailleurs particulièrement évocateur.

Dow Jones-Cac 40 : un sacré découplage.

Sources : Bloomberg, calculs Assya Compagnie Financière

Ce fossé impressionnant confirme qu’à la différence de 2008-2009, la crise actuelle n’est pas mondiale, mais exclusivement européenne. Bien sûr, si la zone euro devait exploser, il est clair que ni les Etats-Unis, ni le monde émergent ne pourraient s’en sortir indemnes. En revanche, si ce scénario catastrophe est évité, c’est bien la zone euro qui devra assumer ses erreurs et payer la facture. L’Oncle Sam et le « Cousin Li » en sortiront donc grandis.

La récente baisse de l’euro face au dollar et à l’ensemble des devises de la planète confirme d’ailleurs qu’une sorte de « flight from bad quality » est en train de se produire. Les investisseurs délaissent en effet les placements en euros pour se focaliser sur leurs homologues internationaux et notamment américains.

 


L’euro bientôt à la « cave » ?

Sources : Eurostat, Bloomberg

La bonne nouvelle réside cependant dans le fait que cette dépréciation de l’euro permettra à la croissance eurolandaise de reprendre quelques couleurs dans six mois. En attendant, les dettes publiques des pays de l’UEM vont continuer à faire l’objet de toutes les inquiétudes. A commencer par celle de la Grèce. En dépit d’un gouvernement d’union nationale et de la volonté affichée de réduire drastiquement les déficits publics, les taux d’intérêt que devraient payer l’Etat grec pour rembourser sa dette s’il n’était pas soutenu par la zone euro ont continué de défier l’entendement. Un nouveau record de 156 % a même été atteint pour le taux à deux ans, tandis que le taux à dix ans se stabilise au-dessus des 30 %.

La dette grecque fait toujours aussi peur.

Source : Bloomberg