2011, une année gâchée !

 

Même si l’année 2011 n’est pas terminée et pourrait donc nous réserver encore quelques mauvaises surprises, il est d’ores et déjà possible d’en dresser un premier bilan. Ce dernier pourrait presque tenir en deux mots : Grand Gâchis. En effet, il y a un peu plus d’un an, la croissance mondiale était forte et atteignait la barre symbolique des 5 %, contre une moyenne annuelle de 3,3 % de 1980 à 2009. Dans le même temps, après une récession historique, l’économie de la zone euro commençait à retrouver des couleurs et semblait par là même capable de surmonter la crise grecque et de sortir définitivement de la crise de la dette publique. A l’époque, nous communiquions autour du thème « la reprise est là, ne la gâchons pas ! ». Notre crainte résidait principalement dans une remontée hâtive du taux refi de la BCE et dans une appréciation excessive de l’euro/dollar, deux évolutions qui casseraient inévitablement la croissance eurolandaise.

Et c’est malheureusement ce qui s’est produit. Ainsi, alors que la crise grecque s’étendait à l’ensemble des « pays du Sud », la Banque Centrale Européenne annonça qu’elle ne tarderait pas à remonter son taux refi, ce qu’elle fit dès le mois d’avril 2011. En dépit du ralentissement qui commençait déjà, l’euro s’apprécia, cassant davantage la petite croissance qui venait tout juste de s’installer. Cette appréciation excessive de la devise européenne s’est évidemment traduite par une baisse tout aussi excessive du dollar, suscitant un mouvement de défiance des investisseurs qui se sont « réfugiés » sur les marchés des matières premières. Une flambée intempestive des cours de ces dernières et notamment du pétrole s’est mécaniquement imposée, réduisant encore la croissance eurolandaise. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les dirigeants eurolandais ont ainsi réitéré la même erreur qu’en 2007-2008, à savoir un resserrement monétaire inapproprié, une hausse de l’euro tout aussi déplacée et au bout du compte une appréciation destructrice des cours des matières premières. Mais, si en 2008, ce furent les Etats-Unis qui mirent le feu aux poudres, en permettant la faillite sauvage de Lehman Brothers ; en 2011, ce sont les Eurolandais qui ont actionné le détonateur, en laissant la crise grecque dégénérer en crise de la zone euro.

En fait, à l’instar du sauvetage de Dubaï par Abu Dhabi en moins de quinze jours, les Eurolandais auraient pu en faire de même avec la Grèce dès début 2010. Il leur aurait suffi de prendre à leur charge une partie des intérêts de la dette publique grecque de l’époque, tout en imposant un monitoring des dépenses publiques hellènes. La spéculation aurait immédiatement pris fin et les taux d’intérêt auraient reculé, permettant à la croissance de redémarrer. Malheureusement, par excès de dogmatisme et manque de clairvoyance, les dirigeants eurolandais ont préféré fermer la porte à toute solution rapide, ce qui a suscité une flambée des taux longs, donc une augmentation de la charge d’intérêts de la dette et une aggravation de la récession. Deux évolutions qui n’ont pas manqué d’accroître le déficit public, enclenchant un cercle pernicieux qui n’a cessé de prendre de l’ampleur et de faire tâche d’huile dans l’ensemble de la zone.

Et comme si cette erreur stratégique ne suffisait pas, la BCE a alourdi la barque à deux reprises. Quant aux dirigeants politiques eurolandais, ils ont continué d’enfoncer le clou. En effet, plutôt que de relancer très vite la croissance, ils ont préféré multiplier les « sommets de la dernière chance », tous aussi vains les uns que les autres. Le dernier en date a même montré combien ceux-ci étaient simplement devenus des champions du marketing, capables de claironner qu’ils ont sauvé la zone euro, grâce à un nouveau traité qui ne sera peut-être jamais ratifié et qui se cantonne à automatiser des sanctions en cas de dérapage budgétaire. Et la croissance dans tout ça ? Rien. On nous laisse croire qu’en annonçant de telles sanctions, la confiance et la croissance vont revenir. Mais pendant combien de temps nos dirigeants vont-ils favoriser le dogmatisme et soutenir, quoiqu’il arrive, qu’ils ont raison ? En d’autres termes, jusqu’à quand vont-ils gâcher la zone euro ?

Car, c’est bien de cela dont il s’agit : la création de la monnaie unique était une réussite exceptionnelle capable de bousculer l’hégémonie du dollar et des Etats-Unis. Seulement voilà, nos dirigeants ont oublié que sans croissance forte et sans budget fédéral conséquent, la zone euro n’a pas d’avenir. Et, ne nous leurrons pas : même si l’ensemble de l’économie mondiale pâtira des difficultés de l’UEM, la crise actuelle est et restera avant tout européenne. D’ailleurs, alors que celle-ci replonge dans la récession, la croissance mondiale se stabilise autour des 3,5 % tant en 2011 qu’en 2012. Cette dynamique est notamment soutenue par les pays émergents, Chine en tête, et, dans une moindre mesure par les Etats-Unis, qui, en dépit des erreurs commises par l’Administration Obama, continuent de résister et de tourner le dos à la récession.

Face à ce nouveau découplage, les Européens auraient peut-être pu enfin se retrousser les manches et faire le mea culpa de leurs égarements stratégiques. Mais, non, cela est bien trop difficile pour des dirigeants pleins d’orgueil et qui refusent la critique, quand bien même cette dernière serait rendue incontestable par la simple observation des faits. Aussi, bien loin de ces aveux qui auraient été salutaires, les Européens, et en particulier les Français, préfèrent agiter le chiffon rouge du nationalisme et demander aux citoyens « d’acheter français », en nous laissant croire que c’est grâce à ce comportement que l’on pourra réindustrialiser le pays. Mais de qui se moque-t-on ? La désindustrialisation n’est pas due au manque de patriotisme des consommateurs et des entrepreneurs français. Elle est la conséquence logique d’une trop grande pression fiscale et réglementaire, d’un marché du travail trop rigide, d’une politique budgétaire et monétaire inefficace, d’un euro trop fort et, enfin, d’une politique d’innovation inappropriée. C’est à cause de ces errements que le poids de l’industrie dans le PIB français est passé de 34 % en 1990 à 17 % en 2002 et à 13 % aujourd’hui.

Une crise sans précédent, une dizaine de sommets « historiques » pour rien, des erreurs stratégiques impardonnables, un dogmatisme irreffréné et une démagogie insupportable… A l’évidence, 2011 est une année à oublier pour la France et pour la zone euro. A moins que 2012 ne soit encore pire…

Marc Touati