La zone euro est sauvée… pour l’instant.

 

Ouf ! Le énième sommet européen « de la dernière chance » a été couronné de succès. Ainsi, 50 % de la dette publique grecque détenue par des organismes privés va être effacée (soit environ 100 milliards d’euros sur une dette totale de 350 milliards). L’enveloppe du Fonds Européen de Stabilité Financière va être largement augmentée, à 1 000 milliards d’euros. Les banques vont devoir respecter un ratio de fonds propres de 9 %, ce qu’elles se sont engagées à faire par leurs propres moyens. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

D’ailleurs, accueillant avec enthousiasme l’ensemble de ces mesures, les bourses européennes ont flambé, retrouvant des plus hauts depuis début août 2011. Cette remontée s’explique principalement par un effet de correction de la baisse excessive des mois précédents. Cette dernière correspondait effectivement à des craintes de sortie de la Grèce de l’UEM, d’explosion de la zone euro et de faillites bancaires. A présent que ces risques ont été écartés, du moins temporairement, les cours boursiers et notamment ceux des banques n’ont aucune raison d’être aussi bas. D’où leur augmentation massive et rapide.

A contrario, il est clair que si le sommet européen avait débouché sur un échec, un nouveau krach boursier se serait produit, les taux d’intérêt auraient flambé et la récession, qui a déjà certainement commencé, aurait redoublé d’intensité. Autrement dit, un accord était indispensable. C’est pourquoi, il constitue forcément une bonne nouvelle. Cependant, ce succès de façade n’a fait qu’éteindre l’incendie qui menaçait la maison UEM. En revanche, il n’a absolument pas résolu les problèmes de fond de la zone euro. A commencer par l’absence de gouvernance économique efficace.

N’oublions effectivement pas que la crise eurolandaise n’est que la juste conséquence de dix ans d’erreurs de politiques monétaires et budgétaires. Une décennie au cours de laquelle la croissance annuelle de la zone euro n’a été que de 1,2 %. Pis, alors que la monnaie unique était censée nous protéger des chocs extérieurs, l’UEM a été la zone de la planète qui a le plus souffert de la crise de 2008. C’est également celle qui a subi la plus forte récession en 2009, qui a connu la plus faible reprise en 2010 et qui, pour couronner le tout, est déjà en train de retomber dans la récession. A l’évidence, il aurait été difficile de faire pire, sachant que ces piètres performances ont été obtenues malgré une gabegie historique de dépenses publiques.

Les satisfécits des dirigeants politiques eurolandais au lendemain du sommet ne font d’ailleurs que mettre en exergue les carences et les paradoxes de la zone euro. En effet, si cette dernière a bien été sauvée à court terme, le problème de fond, à savoir la faiblesse de la croissance, n’a absolument pas été résolu. Et pour cause : « grâce » à cet accord, l’euro est reparti à la hausse passant au-dessus de la barre des 1,41 dollar. Dèjà quasiment inexistante, la croissance va donc encore s’affaiblir, ce qui ne manquera pas d’augmenter le chômage, d’accroître les déficits publics et in fine les dettes des Etats.

En d’autres termes, les problèmes qui ne cessent de menacer l’UEM depuis deux ans resurgiront dans six mois. Qui plus est, pour obtenir cet accord aux forceps, les Eurolandais ont concédé aux Allemands qu’ils allaient s’engager clairement dans une véritable politique d’austérité, de manière à réduire significativement les déficits publics. Cette évolution pose trois problèmes principaux.

Primo, elle montre que l’Allemagne a retrouvé son leadership européen et que la France n’a d’autres choix que de la suivre. Cette évolution est, sommes toutes, logique dans la mesure où l’Allemagne est le seul grand pays eurolandais à avoir tenu ses engagements en matière d’assainissement budgétaire. Le « deal » est désormais clair : soit la France et ses homologues du Sud adoptent une politique « à l’allemande » de réduction des dépenses publiques et la zone euro est sauvée, soit ils continuent d’augmenter ces dernières et la zone euro finira par exploser…

Secundo, si, pour une fois, les dirigeants eurolandais respectent leurs engagements et se lancent dans une politique de rigueur, notamment en augmentant les impôts, la récession va s’intensifier, aggravant les déficits et la dette publique. De quoi susciter très rapidement une nouvelle crise.

Tertio, en adoptant une vision monétariste de l’avenir, les Eurolandais interdisent d’ores et déjà l’instauration d’une véritable politique de soutien à la croissance, tant en matière de taux directeurs de la BCE que de taux de change.

Et c’est bien là que réside le danger principal de ces nouveaux accords « de la dernière chance », car si la BCE ne baisse pas ses taux d’intérêt rapidement et fortement, si l’euro ne retourne pas vers les 1,15 dollar au plus vite et si aucune politique budgétaire fédérale de soutien à l’activité n’est engagée, la zone euro n’a aucune chance de retrouver le chemin de la croissance à court-moyen terme. Les pays qui la composent seront alors dans l’impossibilité de respecter leurs engagements budgétaires, ce qui entachera de nouveau leur crédibilité, suscitera une nouvelle crise financière et requerra un nouveau sommet de la « dernière chance », au plus tard en juin 2012.

La question est alors de savoir si, une fois encore, l’Allemagne acceptera de pactiser et finalement de se ridiculiser. La réponse risquant d’être négative, une nouvelle voie commence à se dessiner, celle du financement par les pays émergents et notamment par la Chine. Pour le moment, cet afflux de capitaux chinois vers la zone euro est présenté comme une bonne nouvelle, dans la mesure où il permettra à cette dernière de bénéficier d’un bol d’air conséquent. En revanche, à moyen terme, cette ingérence marquera forcément une perte d’indépendance et une obligation de satisfaire les désidératas chinois. Or, en matière de négociation, il est clair que la Chine risque d’être beaucoup moins conciliante que l’Allemagne…

Marc Touati