Perspectives 2012 : Après la crise, la re-crise ?

 

Nous ne le répéterons jamais assez : les crises font partie de la vie économique. Elles sont inévitables. Dès lors, en avoir peur ou refuser de les affronter est, par définition, voué à l’échec. Au contraire, celui qui ose réagir et investir n’est certes pas sûr de gagner, mais se donne au moins une chance d’y arriver. Autrement dit, face à l’adversité, la meilleure défense c’est l’attaque. C’est grâce à un tel comportement que la crise de 2009, qui, au dire du plus grand nombre, devait être pire que celle de 1929, a pu être surmontée. Si bien qu’une nette reprise s’est engagée dès la fin 2009 et s’est renforcée en 2010.

Pour parvenir à un tel résultat, la mobilisation des dirigeants de la planète a évidemment été nécessaire. Il s’agissait, en effet, d’éviter les erreurs commises en 1929 et notamment la faillite généralisée du système bancaire, le retour d’un protectionnisme massif et l’absence de politique de soutien à l’activité. Fort heureusement, en 2008-2009, les Etats ont sauvé la plupart des banques (à l’exception regrettable de Lehman Brothers), et ce, en engrangeant quelques profits notables. Parallèlement, le G20 de Londres en avril 2009 a tourné le dos au protectionnisme, permettant de trouver une solution à l’échelle mondiale. Enfin, des relances budgétaires et monétaires conséquentes ont été menées à travers le globe, de manière à éviter le chaos.

Malheureusement, chassez le naturel, il revient au galop. Car, si les dirigeants politiques et monétaires ont réussi à agir efficacement dans l’urgence en 2008-2009, faisant oublier en partie leurs erreurs passées, ils ont très vite retrouvé leurs vieux travers. Ainsi, après seulement un an et demi de reprise, l’économie internationale a déjà retrouvé les affres de la crise. Pis, elle semble désormais vouée à un avenir particulièrement terne. A tel point qu’après avoir disparu de la circulation faute de « résultats », les « tenants de l’apocalypse » refont dangereusement surface. Après avoir eu tort sur toute la ligne du printemps 2009 à la fin 2010, ils se sentent pousser des ailes et annoncent les plus funestes scénarios. Certains nous refont ainsi le coup de la « Grande dépression pire que 1929 ». D’autres prédisent l’explosion imminente de la zone euro. Enfin, les plus fantasques, qui décidément ne reculent devant rien pour faire parler d’eux, nous disent qu’il faut absolument retirer son argent des banques, parce qu’elles vont toutes tomber en faillite. Ah, décidément, la « fin du monde » est un bon filon ! Le drame c’est qu’à force de rabâcher les mêmes sornettes, ils pourraient finir par avoir raison. Rassurez-vous, nous n’avons pas « viré notre cuti ». Cependant, il faut reconnaître qu’avec les erreurs récurrentes et les déclarations irresponsables des dirigeants politiques et monétaires, il y a de quoi s’inquiéter.

Mais pourquoi sommes-nous passés si rapidement de la reprise à la « re-crise »? La réponse est tristement simple. Elle s’explique par le fait qu’après avoir relancé la machine, les pouvoirs publics doivent logiquement payer la facture. Or, dans la quasi-totalité des pays développés, la croissance générée par la relance est nettement insuffisante ne serait-ce que pour payer les intérêts de la dette publique. Dès lors, comme cela s’observe depuis quatre ans, la bulle de la dette s’installe et s’amplifie. Et ce notamment dans la zone euro, qui est, par ailleurs, structurellement menacée par l’absence d’une gouvernance fiable et crédible depuis sa création.

Pourtant, plutôt que d’éteindre l’incendie, les responsables eurolandais ne cessent de mettre de l’huile sur le feu. C’est bien là le problème : lors de la crise de 2009, c’est la sphère privée qui a dû faire preuve d’efforts et de sacrifices, réussissant par là même à sortir de l’ornière. Aujourd’hui, c’est au tour de la sphère publique de faire son aggiornamento, mais là, c’est bizarrement beaucoup plus difficile. Bien sûr, certains vont nous dire que c’est à cause de la spéculation, que les marchés ont trop de pouvoir et dictent leur loi… Ceux-là oublient simplement que si tel est le cas, c’est parce que les Etats se sont trop endettés auprès des marchés et qu’ensuite ils n’ont pas tenu leurs engagements de réduction des déficits publics. Dès lors, leurs créanciers leur demandent des comptes.

C’est pour cette raison que les prochains trimestres deviennent délicats. Car, la sortie de la crise grecque et plus globalement de celle de la zone euro dépend de décisions politiques, par définition non-maîtrisables. Pour ne rien arranger, 2012 sera une année d’élections présidentielles tant en France qu’aux Etats-Unis, ce qui ne manquera pas d’ajouter à la cacophonie et à l’attentisme ambiants. Aussi, nous sommes au regret de signaler qu’après avoir frôlé la récession en 2011, la zone euro restera sur le chemin de l’atonie en 2012, avec une croissance d’environ 1,6 % pour ces deux années. Quant aux Etats-Unis, leur PIB devrait croître de 1,7 % en 2011, puis 2,3 % l’an prochain.

Pendant ce temps, les pays dits « émergents », et notamment la Chine et l’Inde, continueront leur bonhomme de chemin, demeurant les locomotives de la croissance internationale. Mieux, dès 2012, ils devraient représenter plus de 50 % du PIB mondial en parités des pouvoirs d’achat. En outre, disposant de réserves de changes et de capacités d’investissements de plus en plus pléthoriques, ils deviendront des arbitres. Les récentes déclarations des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) faisant état de leur volonté d’aider les pays de la zone euro annoncent d’ailleurs la couleur. Au-delà de la provocation qu’elles représentent (les anciens PVD deviennent les « sauveurs » des anciens « maîtres du monde »), ces intentions montrent effectivement que la puissance économique, financière et politique est en train de changer de camp.

Le pire est que, compte tenu de la gravité de la situation et de l’incapacité des Eurolandais à se mettre d’accord, les propositions des BRICS pourraient bien constituer des alternatives crédibles, menaçant par là même l’indépendance des pays en difficulté et déstabilisant, in fine, la situation géopolitique internationale. De là à provoquer une troisième guerre mondiale, il n’y a qu’un pas que les Cassandre n’hésiteront évidemment pas à franchir… D’ici là, un seul mot d’ordre : Carpe Diem. Peut-être qu’en consommant et en investissant, nous éviterons, une nouvelle fois, le scénario du pire…

Marc Touati