« Ce que je sais c’est que je ne sais rien ». En ces temps troublés, il serait bon que chacun médite régulièrement cette phrase du philosophe Socrate. En effet, qu’ils soient dirigeants politiques, banquiers centraux, agents de notation, politologues, économistes, financiers, analystes en tous genres ou encore météorologues, il est frappant de voir avec quelle facilité et quelle rapidité, la grande majorité de ces soi-disant « sachants » ne cesse de se tromper et de lancer des contre-vérités, parfois lourdes de conséquences. L’été qui vient de s’écouler nous en a encore fourni des exemples flagrants.
Le plus récent réside dans les craintes sur le cyclone Irène qui, aux dires des experts américains, devait dévaster
Comme nous le rappelons régulièrement, les économistes ont été créés par solidarité avec les météorologues, afin que ces derniers ne soient pas les seuls à se tromper. Il existe donc un parallèle naturel entre les erreurs des « Monsieur Météo » autour du cyclone Irène et celles des économistes, analystes et autres financiers autour de la crise de cet été.. Et pour cause : tout et n’importe quoi a été dit sur les dettes publiques européennes et américaines, si bien que moins de trois ans après le cyclone de catégorie 5, Lehman Brothers, un nouvel ouragan était sur le point de détruire une bonne partie de la planète financière internationale. Tout ça pour quoi ? Parce que, dans un bureau new-yorkais, quelques professeurs Nimbus en puissance ont choisi de dégrader la note de la dette publique américaine de AAA à AA+ .
Dans un contexte estival de faibles volumes d’échanges sur les marchés boursiers internationaux, et après avoir été déjà largement alimentée par la crise grecque, la spéculation s’est alors emballée, si bien qu’il paraissait impossible de stopper l’hémorragie. Toutes les rumeurs les plus folles se répendaient, alimentant le plongeon des bourses mondiales. En quelques jours, des entreprises saines, affichant des profits élevés et n’ayant rien à voir, de près ou de loin avec la dette publique américaine, voyaient leurs cours s’effondrer dans des proportions démesurées.
Face à de tels mouvements excessifs, il faut constamment se demander « à qui profite le crime ? ». Et ce d’autant qu’au plus fort de la dégringolade boursière, les principaux ordres de vente ne venaient pas des Institutions financières traditionnelles, mais plutôt de fonds d’investissement très court-termistes ayant intérêt à alimenter
Car, ne l’oublions pas : la spéculation ne tombe pas du ciel. Elle commence toujours à cause d’un mobile objectif. Ainsi, si la crise de la dette publique a explosé dans la zone euro, ce n’est pas parce que l’Oncle Sam l’a décidé, mais parce que la politique économique menée dans l’UEM a été constamment inefficace, générant de plus en plus de dette publique et de moins en moins de croissance. Et, sauf à penser que Jean-Claude Trichet et les dirigeants politiques eurolandais soient des agents de la CIA, cela n’est pas de la faute des Etats-Unis. En outre, si la crise avait été commanditée par ces derniers, pourquoi auraient-ils demandé à une agence de notation de dégrader leur propre dette publique ? Si la manipulation financière existe, il faut donc arrêter de laisser croire qu’elle serait orchestrée par un grand complot international. Cela rappelle d’ailleurs de tristes moments de l’histoire du vingtième siècle et montre comment certaines dérives dangereuses peuvent revenir sans crier gare… Pour autant, il est clair que les conditions dans lesquelles l’abaissement de la note de la dette américaine a été décidé sont particulièrement opaques. Elles font d’ailleurs l’objet d’une enquête de la SEC, notamment parce que la chute des cours boursiers s’est bizarrement intensifiée quelques jours avant l’annonce de cette dégradation.
En fait, ces évolutions rappellent simplement que les risques de manipulations sont permanents et que le seul moyen de les éviter réside dans une meilleure connaissance des mécanismes économiques et surtout une grande prise de recul par rapport aux annonces des dirigeants politiques et des « experts ». La liste des « forfaitures » serait trop longue pour être dressée. Ne serait-ce que depuis le début d’année, que n’avons-nous pas entendu: « l’hyper-inflation va s’installer en Europe, le taux de chômage français va passer sous les 8 %, les déficits publics de la France et de l’ensemble de la zone vont se réduire fortement, la crise grecque n’est pas une crise de la zone euro, il n’y aura pas d’effet de contagion aux autres pays eurolandais, la croissance va dépasser les 2 % dans l’Hexagone et dans l’UEM en 2011… » Bref, tout était faux.
Pour notre part, si nous avons réussi à dénoncer ces contre-vérités, parfois seuls contre tous, nous avons également commis quelques erreurs, notamment sur la flambée des cours de l’or et le ralentissement de la croissance américaine, qui ont été plus forts que prévu. Plus que jamais et à l’instar de Socrate, il faut donc faire preuve d’humilité et de retenue, non seulement en matière de prévisions mais aussi de comportement global. Espérons que les dirigeants politiques et monétaires, ainsi que tous les soi-disant « sachants » de la planète sauront s’en souvenir. En attendant, et pour éviter d’être trop manipulés, rappelons-nous simplement que sur la plupart des annonces de ces derniers, il n’y a qu’environ 20 % de vrai…