Dans notre Humeur du 23 janvier 2009, nous faisions déjà un parallèle entre la crise du secteur bancaire et financier des années 2010 et celle de la sidérurgie des années 1980. Nous soulignions alors qu’après avoir été des fers de lance de la croissance, ces deux pans d’activité connaîtraient une descente aux enfers plus ou moins similaires. A l’époque, nous étions en plein marasme économico-financier et de nombreux prévisionnistes annonçaient que la crise de 2009 serait plus grave que celle de 1929. Même si tel n’était pas notre scénario, il nous paraissait néanmoins inévitable que le secteur bancaire et financier s’engagerait dans une longue période de vaches maigres.
Deux ans et demi plus tard et en dépit d’une reprise économique appréciable en 2010, cette déprime a malheureusement été confirmée. Certes, les banques réalisent encore des résultats très corrects. Et ce, notamment parce que, pour un bon nombre d’entre elles, la crise a aussi été une phase d’opportunités. Certaines ont même réussi à acheter des consœurs en difficulté à très bon compte, leur permettant de réaliser ensuite des profits confortables. Ainsi en a-t-il été de BNP Paribas avec Fortis ou encore de Barclays avec les activités américaines de Lehman Brothers.
Dans le même temps, après avoir été sauvées par les Etats (opération néanmoins rentable pour ces derniers), les banques de la planète ont bénéficié de taux d’intérêt monétaires extrêmement faibles. De la sorte, elles ont pu se livrer à leur métier de transformation (de financements courts en placements longs) avec une rentabilité très élevée. Enfin, malgré des marchés boursiers très difficiles, les banques et institutions financières ont réussi à réallouer leurs investissements vers des marchés plus « lucratifs », notamment ceux des obligations (d’Etat et d’entreprises) et surtout sur les marchés des matières premières, métaux précieux et produits alimentaires en particulier. Bref, après avoir frôlé la catastrophe, les banques ont su retomber sur leurs pattes, en retrouvant sans trop de difficultés le chemin du profit.
Pourtant, en dépit de ces succès, certes relatifs, de nombreuses grandes banques ont dernièrement annoncé d’importants plans de licenciements. Le plus impressionnant revenant à HSBC qui a fait état de 30 000 suppressions de postes. Autrement dit, après une première vague d’amaigrissement en 2009, principalement dans les métiers du « prop trading » (c’est-à-dire du trading pour comptes propres) ou encore dans ceux de la finance ultra-mathématique, une deuxième vague est sur le point d’être lancée.
Cette nouvelle cure connaît quatre justifications principales. La première est relative au fait que certaines grandes banques, en particulier anglo-saxonnes, avaient fortement embauché l’an passé, car elles pensaient que l’activité financière allait redémarrer comme avant
On comprend également par là même pourquoi les banques françaises n’ont pas annoncé d’importants licenciements pour les mois à venir. En effet, compte tenu d’un marché du travail rigide, elles ont limité les créations de postes lors de la reprise et n’ont donc pas à en détruire fortement aujourd’hui. En outre, dans l’Hexagone, les réductions d’effectifs sont de facto limitées par le « papy boom ». Et pour cause : après avoir embauché beaucoup d’enfants du « baby boom », puis réduit la voilure dans les années 1990, les banques françaises n’ont pas à diminuer leurs effectifs, puisque la retraite s’en charge automatiquement. A la rigueur, il y aurait même parfois des pénuries de main-d’œuvre dans certains domaines.
Malheureusement, cet avantage ne sera que de courte durée, dans la mesure où ses effets seront largement compensés par les trois autres évolutions qui inciteront le secteur bancaire et financier à tailler encore dans ses effectifs. Il s’agit d’abord du ralentissement économique qui s’annonce pour 2011 et 2012 principalement dans les pays dits développés et plus précisément en Europe, aux Etats-Unis et au Japon. A titre d’illustration, il faut d’ailleurs noter que l’essentiel des suppressions d’emplois annoncées dernièrement concerne justement ces trois régions, alors que des créations d’emplois sont prévues dans le monde dit émergent. Cette dichotomie ne fait finalement que refléter la nouvelle donne de l’économie mondiale qui veut que les locomotives de la planète soient désormais les pays émergents, tandis que les puissances occidentales restent à
Last but not least, le secteur bancaire va devoir composer avec une réglementation de plus en plus stricte, notamment en matière de ratio de fonds propres. Les fameuses règles dites de Bâle III vont ainsi imposer aux banques de réduire leur offre de crédit, diminuant d’autant les effectifs dans ce domaine. Pour faire simple, les banques vont de plus en plus prêter à des acteurs « faiblement risqués », qui ont donc moins besoin de faire appel à l’endettement. Dans ce cadre, les réussites d’entreprises innovantes et/ou risquées seront de plus en plus rares et les inégalités s’accroîtront non seulement entre les entreprises mais aussi entre les citoyens. Plus globalement, cette raréfaction des crédits affaiblira la croissance des pays occidentaux, qui est déjà particulièrement molle.
Après avoir constitué, du moins en apparence, la « crème » de la société, le secteur bancaire et financier ainsi que ses salariés s’apprêtent donc à entamer une longue traversée du désert. Cette évolution est finalement logique : on ne peut pas se plaindre de l’hégémonie des banques et regretter ensuite qu’elles détruisent des emplois. Dommage pour tous nos jeunes qui pensaient qu’en travaillant dans la Finance, ils allaient devenir les « maîtres du monde » en quelques mois. Ils vont simplement devoir redescendre sur terre et ce ne sera pas forcément plus mal…