Zone euro, France, placements : la crise est loin d’être finie… (E&S n°178)

 

Humeur :

Vos économies sont-elles en sécurité ?

A peine a-t-on entendu parler du mot « défaut » qu’un vent de panique a commencé à souffler : « et si l’argent des petits épargnants était en danger ? » se demandent de plus en plus d’observateurs. Le raisonnement qui sous-tend cette crainte est finalement assez simple : si un débiteur important, et a fortiori un pays, fait défaut, les créanciers de ce dernier devront inévitablement payer une facture salée et faire passer par « pertes et profits » tout ou partie de leurs avoirs sur ce mauvais payeur. Dès lors, si leur situation financière n’est pas suffisamment solide, ces créanciers risquent, à leur tour, de se retrouver en situation d’illiquidité, voire d’insolvabilité. Un cycle infernal pourrait alors se mettre en place. Face à ce risque, les déposants des banques créancières en difficulté seraient effectivement fortement incités à retirer leurs dépôts et petites économies en tout genre. Face à cet afflux massif de retraits, appelé « run » dans la théorie des crises financières, ces banques pourraient alors refuser de délivrer les espèces réclamées, ce qui aggraverait le phénomène de panique et provoquerait un mouvement de contagion à l’ensemble des autres banques.

Nous nous retrouverions alors dans une situation analogue à la psychose qui a suivi la faillite de Lehman Brothers. A une différence près : à l’automne 2008, les Etats avaient encore les moyens financiers de sauver les banques, en leur prêtant des liquidités à bon compte de manière à augmenter leur fonds propres et à éviter par là même la faillite. Aujourd’hui, compte tenu de l’explosion des dettes publiques depuis trois ans et du peu de croissance qui en a résulté, les Etats sont surendettés et n’auront certainement pas les moyens d’engager un plan de sauvetage du système bancaire. Un tel marasme ne manquerait évidemment pas d’alimenter la panique, avec tous les effets catastrophiques que cela engendrerait, tant d’un point de vue économique que social puis humanitaire… Dans ce cadre, la faillite systémique qui a pu être évitée en 2009 pourrait devenir inévitable en 2011-2012.

Que nos lecteurs soient cependant rassurés, nous n’en sommes pas là et tel n’est pas notre scénario à court terme. Bien entendu, si, demain, la zone euro devait exploser, si les Etats-Unis faisaient défaut et si, enfin, la troisième guerre mondiale éclatait, il est clair que les banques de la planète et le système capitaliste dans son ensemble ne résisteraient pas. Dans ce contexte, seuls les placements en métaux précieux, et en particulier en or, auraient encore un avenir. Cependant, même si certains souhaitent une telle issue, il est clair que, pour le moment, la probabilité de ce scénario catastrophe est proche de zéro. En effet, si de nombreux observateurs analysent le rééchelonnement de la dette grecque comme un défaut, il ne s’agit finalement que d’une modification des échéances et certainement pas d’une annulation de la dette. A l’évidence, si une telle solution avait été décidée au début de la crise il y a bientôt trois ans, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Une fois encore, nous payons là le manque de pragmatisme des « élites » dirigeantes européennes

A titre d’exemple, rappelons que la première crise de la dette publique, en l’occurrence celle de Dubaï, a été résolue en quinze jours grâce à l’intervention rapide d’Abu Dhabi, qui a préféré couper l’herbe sous le pied aux spéculateurs et à un éventuel défaut de son voisin en reprenant directement une partie de sa dette. Si la zone euro en avait fait autant en 2009, la crise grecque aurait été résolue immédiatement et l’existence de l’UEM n’aurait jamais été remise en question, comme cela est malheureusement le cas depuis quelques mois. Mais c’est ainsi : les Européens ont du mal à anticiper et préfèrent agir dans l’urgence, comme ils le font aujourd’hui. Dès lors, ils se contentent de colmater les brèches, sans résoudre le problème de fond, en l’occurrence une croissance trop faible et une gouvernance économique inefficace. La faillite de la zone euro devrait donc être évitée à court terme, mais son existence restera fragile. 2012 sera, selon nous, l’année déterminante, car, nous saurons alors si la France choisit d’engager sérieusement ou non une nette réduction des déficits publics. Dans le premier cas l’UEM sera sauvée, dans le second elle s’engagera dans une crise sans précédent. En attendant, les investisseurs et les petits porteurs restent inquiétés par un autre risque, celui d’une éventuelle dégradation de la dette publique américaine. Et si le plafond de cette dernière n’était pas augmenté, que se passera-t-il ? Et si les Républicains et Obama ne se mettaient pas d’accord ? Et si, et si… Une fois de plus, nous n’en sommes pas encore là. En effet, les négociations autour de la dette publique américaine tiennent davantage de la joute politique que de la réalité économique. Autrement dit, les Républicains savent qu’une partie de la réélection ou de la défaite d’Obama en 2012 se joue aujourd’hui. Pour autant, ils n’ont pas intérêt à casser trop fortement la crédibilité américaine, car, en cas de victoire aux élections présidentielles de l’an prochain, ils devront en payer les pots cassés. Voilà pourquoi, comme en Europe, un accord devrait être trouvé.

Et nos économies dans tout ça ? Il est clair que, compte tenu du flou environnant, le plus sûr est de ne rien faire et de rester liquides. De même, il serait dangereux de rester trop exposé aux obligations d’Etat. Dans la mesure où les taux longs vont encore augmenter, des moins-values notables devraient être enregistrées. Il faut donc s’alléger en la matière. Pour autant, il ne faut pas oublier que les crises sont aussi des phases d’opportunités. En d’autres termes, compte tenu de la dégringolade boursière excessive des dernières semaines, de nombreuses actions sont devenues particulièrement peu onéreuses, notamment pour celles qui vont servir des dividendes intéressant. Parallèlement, les obligations « corporates » à deux ans pour des entreprises solides ne présentant pas de risques importants, sont également à conseiller à l’achat. Quant à l’or et aux matières premières, elles restent très chères et, sauf dans le scénario catastrophe évoqué plus haut, pourraient réserver de mauvaises surprises au cours des prochains moins.

En conclusion, la peur n’évite pas le danger et il nous paraît contre-productif de rejeter en bloc les marchés boursiers. Ces derniers recèlent encore de belles pépites. Mais, comme en 2009, seuls les plus courageux oseront les acheter pendant la crise. Quant aux autres, ils achèteront au plus haut et vendront au plus bas comme cela s’observe malheureusement trop souvent. Ne l’oublions jamais, lorsque les marchés dévissent massivement, il faut toujours se demander « à qui profite le crime ? », en l’occurrence à ceux qui ont alimenté la psychose et à ceux qui achètent au plus fort de la crise. Et ce sont souvent les mêmes…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

 

Zone euro : la crise est loin d’être finie…

 


A l’évidence, la zone euro n’avait pas besoin de ça. Essayant péniblement de sortir de la crise de la dette publique, elle risque désormais de rechuter dans la récession. C’est du moins ce qu’indiquent les dernières enquêtes de conjoncture menées auprès des directeurs d’achat et des chefs d’entreprises.

En fait, pendant que la France et ses partenaires tentent de sauver la zone euro, leur croissance économique est en train de s’effondrer. On se croirait presque face à l’équipage du Titanic qui essait de sauver l’argenterie alors que le bateau est en train de couler…

En effet, après avoir déjà chuté de 4,9 points en quatre mois, l’indice composite de l’enquête PMI des directeurs d’achat en a encore perdu 2,5 sur le seul mois de juillet. Avec un niveau de 50,8, il se situe dorénavant à un plus bas depuis août 2009, c’est-à-dire depuis la dernière récession qu’ait connue la zone euro. Il faut d’ailleurs se souvenir que la barre des 50 marque la frontière entre la progression et le recul de l’activité. En d’autres termes, si, comme nous l’annonçons depuis trois mois, une croissance proche de zéro paraît fort probable dès le deuxième trimestre (les comptes nationaux de ce dernier seront connus le 12 août), une baisse du PIB commence à devenir envisageable pour le troisième.

La croissance dévisse…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources : Eurostat, European Commission, Datastream

 

Ce repli prévisible est d’ailleurs encore plus probable dans le secteur manufacturier, puisque l’indice PMI correspondant a atteint un niveau de 50,4, un plus bas depuis septembre 2009.

De plus, si jusqu’à présent, l’Allemagne paraissait épargnée par la forte décélération, elle commence aujourd’hui à souffrir également. L’indice PMI dans le secteur manufacturier est ainsi passé de 62,7 en février dernier à 52,1 en juillet. Plus de dix points de baisse en cinq mois, cela laissera des traces… De même, l’indice PMI des services a chuté de 3,8 points sur le seul mois de juillet, atteignant un plus bas depuis décembre 2009.

Autrement dit, la vigueur excessive de l’euro et le ralentissement économique eurolandais commencent à produire des effets négatifs sur l’Allemagne, qui n’est donc plus immunisée contre le hard landing. Cette nouvelle donne est d’ailleurs confirmée par le net repli de l’indice IFO. Ainsi, au-delà de la baisse de l’indice global, le plus inquiétant réside dans le nouveau repli de l’indicateur des perspectives d’activité, qui atteint désormais un plus bas depuis janvier 2010.

L’Allemagne commence aussi à souffrir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Sources : IFO, Datastream.

La situation de la France n’est guère plus réjouissante. Et pour cause : avec un niveau de 50,1 en juillet, l’indice PMI dans le secteur manufacturier n’est plus qu’à une marche de la récession. Et même si avec un niveau de 54,2, l’indice PMI des services fait de la résistance, sa baisse de 8,7 points en trois mois apparaît très inquiétante. D’autant qu’il atteint à présent un plancher depuis septembre 2009.

Ces craintes sont confirmées par l’évolution des enquêtes INSEE du mois de juillet. Ainsi, que ce soit dans l’industrie, les services ou le commerce de détail, les indices du climat des affaires chutent massivement.

Dans l’industrie tout d’abord, l’indicateur du climat des affaires s’effondre de cinq points sur le seul mois de juillet, soit sa plus forte baisse mensuelle depuis décembre 2008. Nous étions alors en pleine récession.

De plus, si avec un niveau de 105, il demeure supérieur à sa moyenne de long terme (à savoir 100), les sous-indicateurs de l’enquête apparaissent particulièrement menaçants. C’est notamment le cas de l’indice des perspectives générales de production, qui est passé de 13 à 3 en un mois et atteint désormais un plus bas depuis septembre 2010. De même, après un sursaut en juin, les indices de production passée et de perspectives personnelles de production ont chuté de respectivement 13 et 8 points. Encore plus inquiétant, les carnets de commandes globaux et étrangers ont également subi une baisse sévère en juillet et retrouvent leurs points bas de début 2011.

 

France : la décélération s’annonce sévère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Sources : INSEE, Datastream.

Mais ce n’est malheureusement pas tout. En effet, si jusqu’à présent les services avaient plutôt bien résisté, ils semblent lâcher prise à leur tour. Ainsi, le climat des affaires de ce secteur d’activité a perdu quatre points en juillet, se situant à un niveau de 103, soit seulement trois points au-dessus de sa moyenne de long terme.

Au total, dans tous les secteurs d’activité, le climat des affaires est désormais proche de la barre des 100, ce qui indique qu’un net ralentissement est déjà en marche et qu’il devrait s’aggraver au cours des prochains mois.

Autrement dit, même si la récession n’est pas encore de retour, elle se rapproche dangereusement.

C’est en cela que les accords obtenus au forceps pour sauver la Grèce et a priori la zone euro ont oublié le point clé : la faiblesse structurelle de la croissance des pays de l’UEM, et notamment de la France. Or, si la croissance reste molle et a fortiori si elle se rapproche de zéro (comme les dernières enquêtes de conjoncture le montrent), le chômage et les déficits publics resteront élevés, alimentant une dette publique déjà pléthorique. Dès lors, en 2011 et pour la quatrième année consécutive, aucun pays de la zone euro (à l’exception de l’Allemagne, du Luxembourg et des Pays-Bas) ne réussira à générer une croissance suffisamment forte, ne serait-ce que pour payer les intérêts de la dette publique. La bulle de la dette continuera donc. Il faut se rendre à l’évidence : les Européens ont éteint pour le moment l’incendie grec, mais ils sont loin d’avoir résolu la crise de la dette publique, qui refera donc parler d’elle bien plus vite que prévu…

Marc Touati

 



                 La météo économique de la semaine écoulée :