A peine a-t-on entendu parler du mot « défaut » qu’un vent de panique a commencé à souffler : « et si l’argent des petits épargnants était en danger ? » se demandent de plus en plus d’observateurs. Le raisonnement qui sous-tend cette crainte est finalement assez simple : si un débiteur important, et a fortiori un pays, fait défaut, les créanciers de ce dernier devront inévitablement payer une facture salée et faire passer par « pertes et profits » tout ou partie de leurs avoirs sur ce mauvais payeur. Dès lors, si leur situation financière n’est pas suffisamment solide, ces créanciers risquent, à leur tour, de se retrouver en situation d’illiquidité, voire d’insolvabilité. Un cycle infernal pourrait alors se mettre en place. Face à ce risque, les déposants des banques créancières en difficulté seraient effectivement fortement incités à retirer leurs dépôts et petites économies en tout genre. Face à cet afflux massif de retraits, appelé « run » dans la théorie des crises financières, ces banques pourraient alors refuser de délivrer les espèces réclamées, ce qui aggraverait le phénomène de panique et provoquerait un mouvement de contagion à l’ensemble des autres banques.
Nous nous retrouverions alors dans une situation analogue à la psychose qui a suivi la faillite de Lehman Brothers. A une différence près : à l’automne 2008, les Etats avaient encore les moyens financiers de sauver les banques, en leur prêtant des liquidités à bon compte de manière à augmenter leur fonds propres et à éviter par là même la faillite. Aujourd’hui, compte tenu de l’explosion des dettes publiques depuis trois ans et du peu de croissance qui en a résulté, les Etats sont surendettés et n’auront certainement pas les moyens d’engager un plan de sauvetage du système bancaire. Un tel marasme ne manquerait évidemment pas d’alimenter la panique, avec tous les effets catastrophiques que cela engendrerait, tant d’un point de vue économique que social puis humanitaire… Dans ce cadre, la faillite systémique qui a pu être évitée en 2009 pourrait devenir inévitable en 2011-2012.
Que nos lecteurs soient cependant rassurés, nous n’en sommes pas là et tel n’est pas notre scénario à court terme. Bien entendu, si, demain, la zone euro devait exploser, si les Etats-Unis faisaient défaut et si, enfin, la troisième guerre mondiale éclatait, il est clair que les banques de la planète et le système capitaliste dans son ensemble ne résisteraient pas. Dans ce contexte, seuls les placements en métaux précieux, et en particulier en or, auraient encore un avenir. Cependant, même si certains souhaitent une telle issue, il est clair que, pour le moment, la probabilité de ce scénario catastrophe est proche de zéro. En effet, si de nombreux observateurs analysent le rééchelonnement de la dette grecque comme un défaut, il ne s’agit finalement que d’une modification des échéances et certainement pas d’une annulation de la dette. A l’évidence, si une telle solution avait été décidée au début de la crise il y a bientôt trois ans, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Une fois encore, nous payons là le manque de pragmatisme des « élites » dirigeantes européennes
A titre d’exemple, rappelons que la première crise de la dette publique, en l’occurrence celle de Dubaï, a été résolue en quinze jours grâce à l’intervention rapide d’Abu Dhabi, qui a préféré couper l’herbe sous le pied aux spéculateurs et à un éventuel défaut de son voisin en reprenant directement une partie de sa dette. Si la zone euro en avait fait autant en 2009, la crise grecque aurait été résolue immédiatement et l’existence de l’UEM n’aurait jamais été remise en question, comme cela est malheureusement le cas depuis quelques mois. Mais c’est ainsi : les Européens ont du mal à anticiper et préfèrent agir dans l’urgence, comme ils le font aujourd’hui. Dès lors, ils se contentent de colmater les brèches, sans résoudre le problème de fond, en l’occurrence une croissance trop faible et une gouvernance économique inefficace. La faillite de la zone euro devrait donc être évitée à court terme, mais son existence restera fragile. 2012 sera, selon nous, l’année déterminante, car, nous saurons alors si la France choisit d’engager sérieusement ou non une nette réduction des déficits publics. Dans le premier cas l’UEM sera sauvée, dans le second elle s’engagera dans une crise sans précédent. En attendant, les investisseurs et les petits porteurs restent inquiétés par un autre risque, celui d’une éventuelle dégradation de la dette publique américaine. Et si le plafond de cette dernière n’était pas augmenté, que se passera-t-il ? Et si les Républicains et Obama ne se mettaient pas d’accord ? Et si, et si… Une fois de plus, nous n’en sommes pas encore là. En effet, les négociations autour de la dette publique américaine tiennent davantage de la joute politique que de la réalité économique. Autrement dit, les Républicains savent qu’une partie de la réélection ou de la défaite d’Obama en 2012 se joue aujourd’hui. Pour autant, ils n’ont pas intérêt à casser trop fortement la crédibilité américaine, car, en cas de victoire aux élections présidentielles de l’an prochain, ils devront en payer les pots cassés. Voilà pourquoi, comme en Europe, un accord devrait être trouvé.
Et nos économies dans tout ça ? Il est clair que, compte tenu du flou environnant, le plus sûr est de ne rien faire et de rester liquides. De même, il serait dangereux de rester trop exposé aux obligations d’Etat. Dans la mesure où les taux longs vont encore augmenter, des moins-values notables devraient être enregistrées. Il faut donc s’alléger en la matière. Pour autant, il ne faut pas oublier que les crises sont aussi des phases d’opportunités. En d’autres termes, compte tenu de la dégringolade boursière excessive des dernières semaines, de nombreuses actions sont devenues particulièrement peu onéreuses, notamment pour celles qui vont servir des dividendes intéressant. Parallèlement, les obligations « corporates » à deux ans pour des entreprises solides ne présentant pas de risques importants, sont également à conseiller à l’achat. Quant à l’or et aux matières premières, elles restent très chères et, sauf dans le scénario catastrophe évoqué plus haut, pourraient réserver de mauvaises surprises au cours des prochains moins.
En conclusion, la peur n’évite pas le danger et il nous paraît contre-productif de rejeter en bloc les marchés boursiers. Ces derniers recèlent encore de belles pépites. Mais, comme en 2009, seuls les plus courageux oseront les acheter pendant la crise. Quant aux autres, ils achèteront au plus haut et vendront au plus bas comme cela s’observe malheureusement trop souvent. Ne l’oublions jamais, lorsque les marchés dévissent massivement, il faut toujours se demander « à qui profite le crime ? », en l’occurrence à ceux qui ont alimenté la psychose et à ceux qui achètent au plus fort de la crise. Et ce sont souvent les mêmes…
Marc Touati