Volte-face…

 

Chère à Honoré de Balzac, la “Comédie Humaine” est décidément un éternel recommencement. L’affaire DSK vient une nouvelle fois de le démontrer. En effet cette triste histoire rappelle comment le déchaînement des  passions (notamment médiatiques) peut faire des ravages. Ainsi, tout d’abord adulé et présenté par beaucoup comme le futur Président de la République française, Dominique Strauss Khan est devenu, en quelques heures, le pire des monstres. Pis, face à ces violences présumées, les langues commençaient à se délier pour rappeler que l’ex-Directeur Général du FMI n’en était pas à ses premiers égarements. Le plus inquiétant est alors de savoir pourquoi une telle « omerta » a pu durer si longtemps.

Parallèlement, d’aucuns s’employaient à souligner que, sans DSK, le FMI, la France et le PS ne seraient plus les mêmes dans le mauvais sens du terme. Dans notre Humeur du 20 mai, nous rappelions alors qu’il n’en serait rien et que le départ de DSK était loin d’être une catastrophe internationale. Qu’à cela ne tienne, les passions continuaient de se déchaîner et l’actualité économico-politique nationale semblait se résumer aux frasques d’un seul homme. Pendant que la crise grecque redevenait dangereuse, que la conjoncture française rechutait et que la croissance internationale ralentissait de nouveau, la question la plus déterminante du moment était de savoir ce qui s’était passé dans une suite d’un hôtel de Manhattan le samedi 14 mai entre 11h et 13h. C’est dire l’ampleur de la pauvreté du débat économico-politique français et international. Une fois encore, dans un monde du paraître où le pouvoir appartient à la communication, les affaires de mœurs ont prédominé sur les vrais enjeux économiques et sociaux.

Mais, alors que l’affaire semblait bouclée et que le prisme médiatique revenait progressivement vers des sujets plus essentiels tels que la crise de la zone euro, la guerre civile en Lybie et en Syrie ou encore la maternité de Carla Bruni-Sarkozy (it’s a joke of course…), l’impensable se produisit. Ainsi, eu égard à la piètre crédibilité de la victime présumée, DSK était mis en liberté et quasiment réhabilité. En quelques heures et de la même façon qu’il était passé du paradis à l’enfer quelques semaines plus tôt, l’ancien maire de Sarcelles est redevenu l’homme fort et respectable d’avant-crise. Il était alors amusant d’observer comment les encenseurs devenus censeurs sont redevenus flatteurs à la vitesse de l’éclair. Mais, attention, le vaudeville est loin d’être terminé, comme en témoigne la plainte déposée contre DSK pour des faits remontant à 2003. Autrement dit, que les médias soient rassurés, ils pourront encore augmenter leurs ventes grâce à l’affaire DSK. Ce dernier continuera donc de faire les gros titres, mais pas en tant que favori à l’élection présidentielle. Comme dit la chanson : « dans la vie, on fait ce qu’on peut, pas ce qu’on veut… »

Face à ce va-et-vient incessant, on se croirait presque devant le ballet des économistes qui annonçaient une croissance durablement forte en 2007-2008, puis l’écroulement du système en 2009 et enfin le retour de la croissance en 2010. Comme quoi, le « volte-face » n’est pas l’apanage des prévisionnistes économiques. Il est tout aussi présent chez les politologues et analystes en tous genres. C’est bien là que réside d’ailleurs l’une des grandes leçons de cette sombre affaire : la volatilité des jugements et des prévisions est la pire des pratiques aussi bien pour un politologue que pour un économiste.

Bien loin de cette inconstance, il est indispensable de garder le cap et de ne pas changer d’avis comme de chemise, en suivant bêtement le consensus. Ainsi, il est instructif et surtout agaçant, d’observer avec quelle désinvolture les dirigeants européens, les agences de notation ou encore de nombreux économistes qui avaient défendu bec et ongles la création d’une large zone euro, faire aujourd’hui machine arrière. A les entendre, il suffirait que la Grèce et le Portugal sortent de l’UEM pour restaurer la crédibilité de cette dernière. Ils oublient vite que la dette publique grecque représentait déjà plus de 100 % du PIB en 2001, lors de son entrée dans la zone euro, et qu’en dépit de ce résultat, les taux dix ans grecs ont été quasiment identiques à ceux de l’Allemagne jusqu’en 2008. Pendant presque dix ans, il n’y a donc eu personne pour tirer la sonnette d’alarme. De même, ces donneurs de leçon omettent de rappeler qu’en dépit de certaines erreurs, le Portugal n’a cessé de pratiquer une politique de rigueur et qu’il s’est ainsi englué dans la mollesse économique.

D’où une deuxième erreur fondamentale des dirigeants eurolandais et de nombreux observateurs économico-financiers. Car s’il est erroné de changer d’avis tous les quatre matins, il est tout aussi fallacieux et surtout dangereux, de s’obstiner dans l’erreur. Ainsi, en dépit de la réalité d’une croissance durablement faible au sein de la zone euro et notamment dans les pays du Sud, le FMI, la BCE et les gouvernements européens continuent de pratiquer les mêmes recettes qui aboutissent aux mêmes échecs depuis au moins dix ans. En l’occurrence, une politique monétaire orthodoxe, un euro trop fort, une politique budgétaire inefficace, une rigueur stérile, le tout couronné par un dogmatisme maladif. En refusant obstinément de soigner sa pathologie, c’est-à-dire son addiction à l’inefficacité économique (cela nous rappelle étrangement quelqu’un…), la zone euro court donc à sa perte.

Pour éviter le pire, elle ne dispose que d’une dernière chance : favoriser un euro sous les 1,20 dollar, engager une politique monétaire et budgétaire socialement efficace, rééchelonner les dettes publiques des pays en difficulté, réduire les dépenses publiques de ces derniers, tout en augmentant leur privatisation et, last but not least, créer une zone monétaire optimale, c’est-à-dire avec une harmonisation des conditions fiscales, réglementaires, des marchés du travail et un budget fédéral digne de ce nom.

Si nous n’y parvenons pas, la zone euro finira inévitablement par exploser. Les anciens eurosceptiques devenus europhiles d’un temps pourront alors, une nouvelle fois, retourner leur veste et soutenir que la fin de l’UEM sera une bonne chose. FMI ne signifiera donc plus Femme de Ménage Incluse, comme le souligne la blague du moment, mais Faillite Mutuelle Inévitable. Et là ce ne sera plus drôle…

Marc Touati