Croissance en perte de vitesse, faibles créations d’emplois, chômage repartant à la hausse, aggravation des déficits extérieur et public, faiblesse de la confiance des ménages et des entreprises… A l’évidence, le dynamisme économique américain n’est plus ce qu’il était. L’observation du PIB des Etats-Unis au cours des quatre derniers cycles est d’ailleurs sans appel. En effet, entre le début de la dernière récession (c’est-à-dire au quatrième trimestre 2007) et le premier trimestre 2011 (derniers comptes nationaux connus), le PIB américain n’a progressé que de 0,6 %. Or, à ce stade du cycle (en l’occurrence treize trimestres après le début de la récession), celui-ci avait progressé de 3 % à la suite de la récession de 1980 et de quasiment 8 % après les récessions de 1990 et 2000.
Bien entendu, il est possible de lire ce comparatif avec optimisme, en soulignant l’ampleur du rattrapage, donc de la vigueur, qui attend l’économie américaine au cours des prochains trimestres. Pour autant, compte tenu du repli de la plupart des indicateurs avancés de la conjoncture outre-Atlantique depuis quelques mois, il n’est malheureusement pas possible d’anticiper un retour rapide d’une croissance forte et durable. Ainsi, même s’il reste encore au-dessus de la barre des 50 (qui représente la frontière entre la progression et le recul de l’activité), l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie a chuté de 7,9 points en trois mois, pour atteindre un niveau de 53,5 en mai, un plus bas depuis septembre 2009. De même, après avoir rebondi en avril, certainement en réaction à la mort de Ben Laden, l’indice de confiance des ménages du Conference Board a rechuté de 5,2 points en mai à 60,8. Si ce niveau demeure correct et largement supérieur aux planchers de la dernière crise (avec par exemple un plus bas de 25,3 en février 2009), il reste néanmoins toujours très loin de l’optimisme habituel des Américains en phase de croissance forte, à savoir entre 100 et 110 de 2005 à début 2007 et même des plus hauts à 140 début 2000… C’est dire combien l’Oncle Sam est toujours loin de son dynamisme légendaire.
Certes, la remontée de l’indice ISM des directeurs d’achat dans les services en mai a de quoi rassurer et permet d’éliminer le scénario d’une rechute du PIB. Pour autant, avec un niveau de 54,3, cet indicateur avancé demeure toujours largement en-deçà de ses sommets habituels en phase de reprise, c’est-à-dire entre 58 et 61. De même, l’atonie durable des mises en chantier et des permis de construire confirme que la crise immobilière n’est toujours pas digérée. Avec un niveau annualisé d’environ 500 000 (523 000 précisément en avril), les mises en chantier demeurent effectivement à des années lumières de leurs niveaux normaux (autour de 1,2 million), sans parler des sommets de plus de 2 millions atteints en 2005-2006. Or, même si l’investissement logement ne représente que 4,5 % du PIB américain, il revêt un caractère psychologique déterminant, notamment en matière d’effet de richesse. Autrement dit, tant que l’immobilier ne redémarre pas, les ménages se sentent appauvris et ne parviennent pas à retrouver leur « fièvre acheteuse » habituelle, ce qui limite par là même la progression du PIB.
Enfin, couronnant ce contexte de mollesse économique, la forte rechute des créations d’emplois et la remontée du taux de chômage en mai confirment que la croissance américaine n’arrive plus à retrouver son panache d’antan et que, ce faisant, elle ne dépassera pas les 3 % cette année C’est principalement sur ces deux fronts que l’Oncle Sam déçoit. En effet, habituellement, les phases de reprise sont marquées par des taux de progression du PIB de 4 à 5 % et des augmentations annuelles de l’emploi d’au moins 2 %. Depuis le printemps 2009 et le début de l’actuelle reprise, le glissement annuel du PIB n’est pas parvenu à franchir significativement et durablement la barre des 3 %. Quant à celui de l’emploi, il a plafonné à 1 %. A ce sujet, il faut d’ailleurs souligner que le niveau actuel de l’emploi est toujours inférieur de 5 % à celui d’avant crise, soit 6,9 millions de personnes. Ces résultats sont d’autant plus décevants qu’ils ont été réalisés en dépit d’une relance budgétaire et monétaire historiquement accommodante. Si bien qu’aujourd’hui le gouvernement américain et la Réserve fédérale se retrouvent coincés entre le marteau et l’enclume. Soit ils durcissent leur politique, de manière à retrouver une certaine crédibilité, mais ils risquent alors de compromettre
En d’autres termes, en élisant Barack Obama à leur tête, les Américains ont réussi en partie à changer leur image d’un point de vue social et diplomatique. Néanmoins, ils ont également cassé leur principal atout : le dynamisme économique. Pour faire simple, ils se sont « européanisés » en devenant une terre de croissance molle, de chômage élevé et de rigidités sociales prohibitives. Dès lors, si l’Administration Obama ne change pas son fusil d’épaule, le chômage ne baissera pas significativement d’ici 2012. Or, l’histoire économico-politique des Etats-Unis a montré qu’un Président en place est toujours réélu en phase de chômage faible (par exemple sous Ronald Reagan, Bill Clinton ou George W Bush), mais est systématiquement battu lorsque le chômage reste élevé (comme cela s’est observé avec Jimmy Carter et George Bush Père). A ce stade, et si la croissance demeure faible, il paraît donc clair qu’Obama ne sera pas réélu en 2012 et que les Etats-Unis s’apprêtent à vivre des moments difficiles.
Que les « aficionados » de l’Oncle Sam soient cependant rassurés. Celui-ci dispose encore d’un potentiel de réaction conséquent. C’est d’ailleurs souvent dans l’adversité que les Américains donnent le meilleur d’eux-mêmes. C’est notamment ce qui s’était observé dans les années 1980, c’est-à-dire lors de la dernière grave crise économique comparable à celle que nous venons de vivre. A l’époque, la prévision consensuelle annonçait la fin imminente de la puissance économique américaine, notamment au profit du Japon. Et ce d’autant que les Etats-Unis venaient d’élire comme Président un ancien acteur de série B qui semblait loin d’être compétent. Et pourtant, contre toute attente, celui-ci a réussi à prendre le taureau par les cornes et à remettre l’Oncle Sam sur les bons rails, lui permettant de retrouver un dynamisme économique sans précédent. La seule question reste donc de savoir qui sera le prochain Ronald Reagan…
Marc Touatit