Crise grecque, PIB eurolandais, Chine : au-delà des apparences… (E&S n°170)

 

Humeur :

Grèce : ne tirez plus sur l’ambulance…

Sans surprise et comme nous l’avions annoncé à plusieurs reprises dans ces mêmes colonnes, la crise de la dette publique grecque est revenue sur le devant de la scène. Est-ce la faute aux « méchants spéculateurs » ? Comme le prétendent certains. Si cette réponse est évidemment pratique, elle n’en est pas moins erronée. Certes, la spéculation existe, mais elle n’a fait que s’engouffrer dans une brèche ouverte par les erreurs récurrentes des politiques économiques menées en Grèce et surtout à l’échelle de la zone euro.

En effet, il faut arrêter de laisser croire que les errements de l’économie hellène sont dus aux seuls comportements délétères de la population grecque. Bien sûr, l’économie parallèle représente environ 30 % du PIB de la Grèce, grevant d’autant les recettes fiscales et aggravant par là même les déficits publics. Peut-on pour autant en déduire qu’il suffirait de supprimer l’économie souterraine et d’augmenter les impôts pour résoudre la crise actuelle ? Certainement pas. Evidemment, lutter contre la fraude fiscale est indispensable. Encore faudrait-il utiliser les bons moyens. Car, il est clair que ce n’est pas en relevant le taux de TVA que la Grèce va y parvenir. Bien au contraire, cette mesure risque même d’encourager « l’évasion » fiscale. Plus globalement, ce n’est pas en augmentant les impôts, quels qu’ils soient, que l’on relancera une économie grecque déjà exsangue. C’est même l’inverse qui est en train de se produire. Et pour cause : si, déjà avec une pression fiscale relativement modérée, les ménages et les entreprises sont à la peine, leur situation risque de s’aggraver avec un alourdissement des taxes en tous genres.

Autrement dit, la récession historique que subit la Grèce depuis deux ans n’est pas près de s’estomper. Et c’est là que le bât blesse. Car, si la baisse du PIB persiste, le chômage restera élevé, et les déficits publics abyssaux. D’où une dette publique augmentée et le cercle pernicieux continuera. Pis, avant même d’évoquer le problème du remboursement de la dette publique grecque, qui avoisine actuellement les 150 % du PIB, la Grèce doit faire face à un danger immédiat : depuis quatre ans, la charge annuelle des intérêts de la dette publique dépasse la croissance du PIB en valeur. Cela signifie donc que, même si, par un coup de baguette magique, on consacrait toute la création de richesse annuelle au seul paiement des intérêts de la dette, la Grèce devrait encore s’endetter pour rembourser ces derniers. C’est ce que l’on appelle la bulle de la dette, dans laquelle nos amis Hellènes sont engoncés depuis quatre ans et qui ne cesse de s’envenimer. Ainsi, en 2010, l’écart entre la variation du PIB en valeur et la charge d’intérêts de la dette a atteint 9 %de ce dernier ! Quant à 2011, avec une croissance nulle (et ce, dans le meilleur des cas), il n’y a pas grand chose à espérer.

Face à ce drame, deux solutions semblent aujourd’hui s’imposer. La première est présentée comme la plus raisonnable par « l’establishment » européen. Elle consiste à aider la Grèce en lui imposant une rigueur de plus en plus sévère. Si cette stratégie peut satisfaire l’ensemble de la classe politique européenne, de Paris à Athènes en passant par Berlin, elle est cependant loin d’être optimale. En effet, permettre à la Grèce de s’endetter à un taux d’intérêt inférieur à celui des marchés est certes salutaire, mais ne résout en rien la bulle de la dette. Cette dernière reste toujours aussi stratosphérique. En outre, après bientôt trois ans de récession et deux ans de rigueur, augmenter encore d’un ou plusieurs cran le degré d’austérité paraît difficilement acceptable. Non seulement parce que cela cassera encore un peu plus la croissance, qui est d’ailleurs toujours négative, mais aussi parce que cela intensifiera la crise sociale, qui pourrait alors déraper dangereusement.

D’où une deuxième solution, cette fois-ci extrême : la sortie de la zone euro, qui s’accompagnerait d’un moratoire sur la dette publique. Selon de plus en plus d’observateurs et de politiciens, en Grèce, mais aussi en Allemagne, cette issue serait inévitable et pourrait résoudre la crise de la dette publique en quelques trimestres. C’est d’ailleurs celle qui s’est imposée dans la plupart des pays proches d’une cessation de paiement et qui ont finalement pu redémarrer. Si cette stratégie peut donc apparaître très tentante, elle n’en demeure pas moins extrêmement risquée. Et pour cause : si la Grèce sort de la zone euro, les taux d’intérêt flamberont encore et une phase de décrédibilisation durable à l’échelle de la planète s’installera. Cela entraînera une crise économique et sociale d’au moins deux ans. Peut-être qu’ensuite, le retour d’une drachme dévaluée permettra à l’économie grecque de repartir. La question reste simplement de savoir comment la Grèce traversera et sortira de cette nouvelle crise. A l’évidence, compte tenu des dérapages sociaux passés et à venir, le pire est à craindre. Une dernière question s’impose alors : si ces deux solutions sont impraticables, que faire ? Fort heureusement, il existe une troisième alternative, qui nous paraît être la plus optimale. Elle consiste tout simplement à restaurer une croissance durablement soutenue de l’économie grecque. Et, pour y parvenir, il n’y a que deux possibilités : une forte baisse de l’euro, au moins vers des niveaux de 1,10 dollar pour un euro, et un plan d’aide à l’investissement de la part de l’Union Européenne. Dans le même temps, la Grèce pourra rééchelonner sa dette publique. De plus, elle devra également engager d’importantes privatisations pour permettre à l’Etat d’augmenter ses recettes, sans accroître la pression fiscale. Enfin, le pays devra réduire ses dépenses publiques non-indispensables, et notamment celles ayant trait au train de vie des administrations publiques et celles relatives à la puissance militaire.

Avec une croissance restaurée et des dépenses publiques diminuées, la Grèce pourra enfin réduire ses déficits publics, sortir progressivement de la crise de la dette publique et retrouver la confiance des investisseurs internationaux. Telle est, selon nous, la seule solution possible pour éviter un drame économique dans les prochaines années. Car, la Grèce n’est pas le seul pays menacé par un tel scénario catastrophe. En fait, à l’exclusion de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg, tous les autres pays eurolandais peuvent tomber dans le même gouffre. En outre, si la Grèce sort de la zone euro, cette dernière ne tardera pas par exploser. Une fois encore, la balle est dans le camp des dirigeants politiques et monétaires de l’UEM : soit, ils décident d’être pragmatiques, et la zone euro sera sauvée, soit, ils continuent de se cacher derrière leur dogmatisme idéologique et leurs faux-semblants, et l’UEM connaîtra une crise historiquement grave, qui sera aussi …la dernière.

Marc Touati

it
Quid de l’économie cette semaine ?

Croissance eurolandaise : ne crions pas victoire trop vite.


Enfin ! Après trois ans de crise et d’atonie économique, la croissance de la zone euro a dépasse les 2 %. Ainsi, grâce a une progression trimestrielle de 0,8 % au premier trimestre, le PIB eurolandais a atteint un glissement annuel de 2,5 %, un plus haut depuis septembre 2007.

Malheureusement, cette performance doit être prise avec des pincettes. D’abord, parce qu’elle masque de fortes disparités au sein de la zone. Sur ce même premier trimestre 2011, les variations du PIB vont ainsi de – 0,7% pour le Portugal à + 1,5 % pour l’Allemagne, en passant par + 0.3 % pour l’Espagne, + 0.1 % pour l’Italie et + 1.0 % pour la France. Autrement dit, la convergence est toujours loin d’être d’actualité dans la zone euro.

Zone euro : les disparités persistent.

Sources : Eurostat, Bloomberg

Mais surtout, les chiffres du PIB du premier trimestre doivent être relativisés car ils ne sont pas extrapolables. Et pour cause : ils n’intègrent pas la flambée récente des cours des matières premières et de l’euro. L’impact négatif de ces évolutions se produira aux deuxième et troisième trimestres, au cours de ce dernier, une baisse du PIB pourrait même se produire.

Dans ce cadre, la croissance annuelle de la zone euro ne dépassera pas significativement les 2 % cette année.

L’exemple de la France illustre parfaitement cette évolution en deux temps.

Sans surprise, la croissance française du premier trimestre 2011 est très satisfaisante. Ainsi, comme le laissaient déjà entendre les bonnes performances de la production industrielle et de la consommation en produits manufacturés sur la même période, le PIB a progressé de 1 %. Mieux, les deux principaux moteurs que sont la consommation des ménages et l’investissement des entreprises ont été au rendez-vous. Pour autant, il ne faudrait pas crier victoire trop vite.

En effet, comme l’ont également montré la baisse de la production industrielle et celle des dépenses en biens manufacturés en mars, l’économie française a déjà mangé son pain blanc. De même il faut noter que l’essentiel de la performance du premier trimestre s’explique par une formation de stocks extrêmement forte. Ainsi, hors stocks la croissance française n’a été que de 0,3 %. Dès lors, il faut se préparer à un deuxième et surtout à un troisième trimestre bien plus difficiles. L’explication de cette décélération inévitable est triple.

Primo, la reprise de 2010 et qui s’est étendue jusqu’au premier trimestre 2011 tient principalement à un effet de rattrapage de la faiblesse passée. Cette évolution corrective étant désormais derrière nous, la croissance va mécaniquement retrouver un rythme normal, en l’occurrence entre 1,2 % et 1,8 %. N’oublions effectivement pas que, depuis 2011, la progression annuelle moyenne du PIB français n’a été que de 1,2 %.

Secundo, à présent que la prime à la casse est terminée, la consommation des ménages va continuer de ralentir. Et ce, d’autant que la flambée des cours des matières premières et notamment du pétrole va grever encore un peu plus le pouvoir d’achat des Français. A ce sujet, il faut savoir que l’impact négatif de la hausse des cours du baril sur la croissance prend environ neuf mois pour se produire et apparaître dans les chiffres d’activité. Pour le moment, nous subissons donc un effet d’optique qui masque l’inévitable ralentissement à venir.

Tertio, en dépit d’un léger repli justifié et salutaire depuis quelques jours, l’appréciation excessive de l’euro va également déprécier la progression du PIB, notamment en réduisant les exportations, en augmentant les importations et en pénalisant l’investissement des entreprises. Comme l’a montré la dernière enquête de l’INSEE sur l’investissement, la reprise de ce dernier est d’ailleurs surtout liée à des dépenses de remplacement des équipements obsolètes et très peu à des investissements de capacité. Dans la mesure où ces derniers sont les plus déterminants en matière de créations d’emplois, il est à craindre que la baisse du chômage va rapidement s’essouffler.

Croissance en France : tout va bien… pour l’instant.

Sources : INSEE, Bloomberg


Mais là aussi, qu’il s’agisse de l’impact de l’euro trop fort sur l’activité ou de celui du ralentissement économique sur l’emploi, il existe un délai de six à neuf mois. Cela signifie donc que le véritable visage de l’économie française ne sera connu qu’au cours du troisième trimestre 2011. D’ici là, le gouvernement pourra encore se satisfaire de chiffres appréciables, mais il devra en profiter, car la donne s’inversera à partir de l’automne.


Dans ce cadre, en dépit d’un acquis de croissance confortable de 1,6 %, nous modifions notre prévision d’une progression annuelle moyenne du PIB français qui serait comprise entre 2 % et 2,5 % maximum cette année. Quant à l’an prochain nous maintenons notre prévision de 1,6 %.

 

Marc Touati

 

 


La météo économique de la semaine écoulée :

 

 



Les Marchés:

Chine : l’appréciation du yuan continue.


Les statistiques publiées cette semaine confirment une fois de plus que la locomotive chinoise continue sur sa lancée sans dérapage inflationniste.

Sur le front du commerce extérieur tout d’abord, la balance commerciale chinoise qui était tombée en déficit en février (-7,31 milliards de dollars), retrouve de belles couleurs.

En effet, après être timidement repartie «dans le vert» en mars (+140 millions d’euros) la balance commerciale a affiché un excédent de 11,42 milliards d’euros en avril, soit près de quatre fois plus que les attentes du consensus (+3,20 milliards de dollars).

Cette excellente performance tient essentiellement à la forte hausse des exportations dont le glissement annuel a atteint +29,9 % avril après un niveau de 35,8 % en mars.

Tirée par les exportations, la balance commerciale chinoise retrouve de belles couleurs.

Sources : China Economic Information Network, Bloomberg

La vigueur des exportations chinoises qui survient alors qu’un dialogue stratégique et économique s’est ouvert depuis lundi entre la Chine et les Etats-Unis accentue la pression américaine sur la sous évaluation chronique du yuan face au dollar.

Les autorités chinoises, conscientes des risques de surchauffe pesant sur l’économie, continuent d’apprécier progressivement de leur devise. Ainsi après être tombé à 6,8333 pour un dollar le 14 juin 2010, le renminbi s’est apprécié d’environ 5 % depuis pour atteindre 6.4918 mardi 10 mai et 6,4981 aujourd’hui.

Il est vrai que la marge de manœuvre de Pékin reste conséquente puisque selon la parité de pouvoir d’achat, le niveau d’équilibre du yuan est d’environ 3,50 pour un dollar.


Le yuan va continuer de s’apprécier, très progressivement …

Sources : National Bureau of Statistics of China, Bloomberg

La lutte contre l’inflation est en effet la priorité des autorités à l’image des banques qui ont subi six hausses de réserves obligatoires et quatre relèvement de taux d’intérêt depuis octobre dernier.