Note de la France, BCE, zone euro : tout peut basculer ! (E&S n°167)

 

Humeur :

Note de la France : vers une dégradation dès 2012 ?

C’est presque un secret de polichinelle : depuis une dizaine d’années, les indicateurs qui génèrent normalement la notation d’une dette souveraine ne permettent plus d’octroyer un AAA à la France. Pourtant, en dépit de ces évidences et dans la mesure où cette dernière reste l’une des premières puissances mondiales (la deuxième de la zone euro), les agences de notation maintiennent l’Hexagone dans ce club très fermé des pays « a priori » sans risque.

L’envolée de la dette publique française depuis trois ans a néanmoins éveillé les soupçons. Si bien que les Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch ont laissé entendre qu’ils ne maintiendraient leur statu quo qu’à deux conditions : la réforme du système de retraite par répartition et la limitation du « grand emprunt » annoncé en grande pompe il y a deux ans. Devant une telle menace, le gouvernement français n’a évidemment pas résisté. De 100 milliards d’euros, le grand emprunt est ainsi passé à… une vingtaine de milliards. Quant au système des retraites, il a été réformé, certes a minima, mais, dans un monde où les apparences comptent bien plus que la réalité, cette réforme a été jugée comme suffisante. Grâce à ces deux évolutions, le gouvernement français dispose donc de la garantie implicite que la notation de la dette publique nationale sera maintenue jusqu’aux élections présidentielles de 2012.

Pour la suite, tout dépendra de l’issue de ces dernières et surtout de la stratégie qui sera alors mise en place. La règle de décision est simple et binaire. Premier cas de figure : la France s’engage dans une réforme profonde de ses structures économiques « à l’allemande », notamment en réduisant ses dépenses publiques et les déséquilibres des comptes des administrations, tout en modernisant le fonctionnement de son marché du travail. Dans ce cadre, les agences de notation n’auront d’autres choix que de maintenir le AAA de la dette souveraine hexagonale. Deuxième possibilité : la France refuse ces réformes structurelles et s’emploie au contraire à augmenter encore les dépenses publiques. La sanction tombera alors immédiatement et la notation de la dette publique sera dégradée plus ou moins fortement.

C’est dans ce contexte et indépendamment de toute préoccupation partisane qu’il va falloir analyser les programmes des différents partis politiques susceptibles de diriger la France après 2012. Pour le moment, seul un d’entre eux a annoncé la couleur, en l’occurrence le Parti Socialiste. Eu égard à notre volonté de ne pas nous immiscer dans des querelles politiciennes, nous avons tout d’abord hésité à commenter les mesures annoncées. Néanmoins, en tant qu’économistes soucieux de l’avenir de leur pays, il est également de notre devoir de détailler les conséquences économiques et financières de la mise en œuvre d’un tel programme. Dans ce cadre, nous sommes contraints de dire que si le programme du PS est appliqué en l’état à partir de 2012, la note de la dette publique française sera dégradée quelques mois, voire quelques semaines plus tard. En effet, si un virage à gauche peut se défendre (surtout pour un parti de gauche), la situation réelle de l’économie française ne doit pas être occultée. Ainsi, il faut se rappeler que lors des deux derniers virages à gauche qu’a connue la France, en l’occurrence en 1981 et en 1998, sa dette publique ne représentait que respectivement 20 % et 59 % de son PIB. Aujourd’hui, elle frôle déjà les 82 % (81,7 % précisément en 2009) et atteindra sans difficulté les 85 % dès cette année, puis les 90 % en 2012. Dès lors, augmenter encore les déficits publics serait tout simplement suicidaire.

Or, même si ses concepteurs s’en défendent, le programme du PS engagera forcément la France dans une nouvelle phase de dérapage budgétaire. Et pour cause : il prévoit de nombreuses nouvelles dépenses et peu de recettes supplémentaires. Ainsi, le retour des emplois jeunes (comme quoi les années passent, mais les recettes ne changent pas…) coûteront aux alentours de 10 milliards d’euros par an pour 300 000 postes créés. Si le flou persiste quant au chiffrage des autres engagements, il est clair qu’au total, les dépenses publiques augmenteront d’au moins 20 milliards d’euros par an. Et ce, sans compter l’arrêt du « tout nucléaire » dont le coût se chiffrerait à plusieurs dizaines voire centaines de milliards d’euros sur cinq ans. Le plus beau c’est que le PS balaie ces dépenses d’un revers de main en affirmant qu’elles seront compensées par la suppression des « cadeaux fiscaux » décidés par le gouvernement actuel. Petit problème : le bouclier fiscal ne représente que 600 millions d’euros par an. De même, le coût de la TVA à 5,5 % dans la restauration n’est « que » de 2,4 milliards d’euros…

Parallèlement, le PS prévoit de ramener l’âge légal de la retraite à soixante ans. Ce qui est certes « très sympathique », mais viendra encore aggraver le trou des comptes sociaux. Faut-il d’ailleurs rappeler que le FMI, dirigé par un certain DSK, préconise un âge légal de 65 ans ? Certes, pour contourner toutes ces difficultés, il pourrait être décidé d’augmenter purement et simplement la pression fiscale qui est pourtant déjà l’une des plus élevées du monde. Mais là aussi, danger, car si l’on accroît les impôts et taxes en France, cela cassera instantanément la croissance économique, suscitant plus de chômage et plus de déficit.

Ce qui nous amène à évoquer l’un des autres problèmes majeurs du programme du PS : sa prévision de croissance à 2,5 % par an. A la décharge de celui-ci, il faut reconnaître que, depuis dix ans, tous les partis politiques et les dirigeants du pays ont établi cette même prévision, alors que, depuis dix ans, la croissance annuelle moyenne du PIB français n’a été que de 1,2 %. C’est malheureusement une triste réalité que « l’élite française » (de droite comme de gauche) refuse d’admettre : la croissance structurelle française est comprise entre 1,5 % et 1,8 % par an. Baser un programme économique sur un niveau de 2,5 % est donc par construction erroné et par là même voué à l’échec.

Pourtant, si tel est le choix des Français en 2012, il faut d’ores et déjà se préparer à la dégradation de la note de la dette publique française dès l’an prochain qui passerait d’un AAA à A. Une forte hausse des taux d’intérêt obligataires s’en suivra, ce qui affaiblira la croissance économique, alimentera le chômage, fera encore flamber les déficits et la dette publics, d’où une nouvelle hausse des taux d’intérêt… En trois mots : attention les secousses !

Marc Touati


La météo économique de la semaine écoulée :

 



Les Marchés:

La BCE tire, la zone euro coule…


Conformément à l’annonce d’un resserrement monétaire modéré il y a un mois, la BCE a, sans surprise, augmenté son taux refi de 0,25 point. Après avoir été la Banque Centrale occidentale qui a le moins assoupli sa politique monétaire pendant la crise, la BCE est donc aussi la première à resserrer son étreinte au-delà de 1 %.

Ainsi, alors que les taux directeurs centraux restent à 0,5 % au Royaume-Uni, à 0,25 % aux Etats-Unis et en Suisse, ou encore à 0,1 % au Japon et tandis que la Banque du Canada a certes relevé son taux de base depuis 2010 mais le maintient à 1 %, la BCE a, une fois encore, décidé de se faire remarquer.

La BCE tire la première…

Sources : Bloomberg, Datastream

Certes, ce n’est pas en augmentant le taux refi de 25 points de base que l’Institut francfortois va révolutionner l’économie de la zone euro. Et ce, d’autant que, depuis l’annonce faite il y a un mois, les marchés ont eu le temps d’intégrer cette décision. Voilà pourquoi, alors qu’il valait 1,35 dollar mi-février, l’euro a flambé jusqu’à 1,43 dollar hier.

De même, dans la mesure où la BCE a « tenu ses promesses » et n’a pas été au-delà, les investisseurs ont pu être rassurés temporairement et ont favorisé une légère baisse de l’euro jeudi après-midi.

Ce répit a cependant été de courte durée, car dès le lendemain, l’euro a rebondi à 1,44 dollar.

C’est bien là le problème, car si Jean-Claude Trichet s’est contenté de souligner qu’il n’était pas possible de dire si la hausse du 7 avril était la première d’une série de resserrements, le doute persiste.

Pourtant, il faut souligner que l’augmentation récente de l’inflation (2,6 % en glissement annuel en mars) reste exclusivement due à une flambée des cours des matières premières et notamment énergétiques. A l’inverse, l’inflation sous-jacente reste des plus sages à 1 %. De quoi calmer les velléités restrictives des « faucons » de la BCE.


L’inflation sous-jacente reste particulièrement faible.

Sources : Eurostat, Datastream

En outre, la tension inflationniste de février-mars s’explique aussi par un effet de base défavorable, lié à des augmentations mensuelles bien plus fortes qu’il y a un an.

A présent que ce biais statistique va s’estomper, le glissement annuel des prix à la consommation devrait mécaniquement se réduire. D’abord vers les 2,2 % dès avril, puis à 1,8 % d’ici la fin 2011. Il ne sert donc à rien de s’affoler pour un regain d’inflation temporaire.

L’inflation eurolandaise terminera l’année 2011 sous les 2 %

Sources : Eurostat, Datastream, Prévisions Assya Compagnie Financière

Enfin, à 1,44 dollar, l’euro continue d’être beaucoup trop cher et menace la croissance de la zone, en particulier dans les pays du Sud qui demeurent affectés par une grave crise de la dette publique. Rappelons effectivement qu’à chaque fois que l’euro s’apprécie de 10 % en moyenne annuelle, la croissance eurolandaise perd 0,4 point.


Un resserrement monétaire logique mais trop hâtif.

Sources : Eurostat, Datastream, Prévisions Assya Compagnie Financière

C’est là tout le paradoxe de la politique économique de la zone euro : d’un côté, elle s’emploie à aider les pays en difficulté à financer leur dette publique « à bon coût », de l’autre, elle favorise un euro trop fort, ce qui casse la croissance de ces mêmes pays, donc accroît le chômage et par là même les déficits et la dette des administrations publiques.

L’appréciation excessive de l’euro finira par coûter cher…

Sources : Eurostat et Datastream

Autrement dit, la zone euro continue sa fuite en avant, tentant de colmater les brèches de la dette publique ici et là, mais sans résoudre le problème de fond, en l’occurrence, la faiblesse de la croissance économique.


Les taux dix ans font toujours aussi peur en Grèce, en Irlande et au Portugal…

Sources : Bloomberg, Datastream

Dans ce cadre, après la Grèce et l’Irlande hier, puis le Portugal aujourd’hui, d’autres pays suivront sur la liste de la crise de la dette publique. A commencer par l’Espagne, l’Italie mais aussi la France (cf. l’Humeur).

…et deviennent de plus en plus inquiétant en Espagne, en Italie et… en France.

Sources : Bloomberg, Datastream

Espérons simplement que la BCE en restera là et ne remontera plus ses taux directeurs jusqu’à ce que la Fed le fasse, c’est-à-dire d’ici la fin de l’été 2011. Si tel est le cas, l’appréciation de l’euro restera limitée et la croissance eurolandaise ne baissera que d’environ 0,5 point, vers 1,5 % fin 2011.

Sinon, la sanction pourrait être beaucoup plus lourde, relançant durablement une crise de la dette qui pourrait bien s’avérer fatale pour de nombreux pays, voire pour la zone euro dans son ensemble.

Marc Touati