Note de la France : vers une dégradation dès 2012 ?

 

C’est presque un secret de polichinelle : depuis une dizaine d’années, les indicateurs qui génèrent normalement la notation d’une dette souveraine ne permettent plus d’octroyer un AAA à la France. Pourtant, en dépit de ces évidences et dans la mesure où cette dernière reste l’une des premières puissances mondiales (la deuxième de la zone euro), les agences de notation maintiennent l’Hexagone dans ce club très fermé des pays « a priori » sans risque.

L’envolée de la dette publique française depuis trois ans a néanmoins éveillé les soupçons. Si bien que les Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch ont laissé entendre qu’ils ne maintiendraient leur statu quo qu’à deux conditions : la réforme du système de retraite par répartition et la limitation du « grand emprunt » annoncé en grande pompe il y a deux ans. Devant une telle menace, le gouvernement français n’a évidemment pas résisté. De 100 milliards d’euros, le grand emprunt est ainsi passé à… une vingtaine de milliards. Quant au système des retraites, il a été réformé, certes a minima, mais, dans un monde où les apparences comptent bien plus que la réalité, cette réforme a été jugée comme suffisante. Grâce à ces deux évolutions, le gouvernement français dispose donc de la garantie implicite que la notation de la dette publique nationale sera maintenue jusqu’aux élections présidentielles de 2012.

Pour la suite, tout dépendra de l’issue de ces dernières et surtout de la stratégie qui sera alors mise en place. La règle de décision est simple et binaire. Premier cas de figure : la France s’engage dans une réforme profonde de ses structures économiques « à l’allemande », notamment en réduisant ses dépenses publiques et les déséquilibres des comptes des administrations, tout en modernisant le fonctionnement de son marché du travail. Dans ce cadre, les agences de notation n’auront d’autres choix que de maintenir le AAA de la dette souveraine hexagonale. Deuxième possibilité : la France refuse ces réformes structurelles et s’emploie au contraire à augmenter encore les dépenses publiques. La sanction tombera alors immédiatement et la notation de la dette publique sera dégradée plus ou moins fortement.

C’est dans ce contexte et indépendamment de toute préoccupation partisane qu’il va falloir analyser les programmes des différents partis politiques susceptibles de diriger la France après 2012. Pour le moment, seul un d’entre eux a annoncé la couleur, en l’occurrence le Parti Socialiste. Eu égard à notre volonté de ne pas nous immiscer dans des querelles politiciennes, nous avons tout d’abord hésité à commenter les mesures annoncées. Néanmoins, en tant qu’économistes soucieux de l’avenir de leur pays, il est également de notre devoir de détailler les conséquences économiques et financières de la mise en œuvre d’un tel programme. Dans ce cadre, nous sommes contraints de dire que si le programme du PS est appliqué en l’état à partir de 2012, la note de la dette publique française sera dégradée quelques mois, voire quelques semaines plus tard. En effet, si un virage à gauche peut se défendre (surtout pour un parti de gauche), la situation réelle de l’économie française ne doit pas être occultée. Ainsi, il faut se rappeler que lors des deux derniers virages à gauche qu’a connue la France, en l’occurrence en 1981 et en 1998, sa dette publique ne représentait que respectivement 20 % et 59 % de son PIB. Aujourd’hui, elle frôle déjà les 82 % (81,7 % précisément en 2009) et atteindra sans difficulté les 85 % dès cette année, puis les 90 % en 2012. Dès lors, augmenter encore les déficits publics serait tout simplement suicidaire.

Or, même si ses concepteurs s’en défendent, le programme du PS engagera forcément la France dans une nouvelle phase de dérapage budgétaire. Et pour cause : il prévoit de nombreuses nouvelles dépenses et peu de recettes supplémentaires. Ainsi, le retour des emplois jeunes (comme quoi les années passent, mais les recettes ne changent pas…) coûteront aux alentours de 10 milliards d’euros par an pour 300 000 postes créés. Si le flou persiste quant au chiffrage des autres engagements, il est clair qu’au total, les dépenses publiques augmenteront d’au moins 20 milliards d’euros par an. Et ce, sans compter l’arrêt du « tout nucléaire » dont le coût se chiffrerait à plusieurs dizaines voire centaines de milliards d’euros sur cinq ans. Le plus beau c’est que le PS balaie ces dépenses d’un revers de main en affirmant qu’elles seront compensées par la suppression des « cadeaux fiscaux » décidés par le gouvernement actuel. Petit problème : le bouclier fiscal ne représente que 600 millions d’euros par an. De même, le coût de la TVA à 5,5 % dans la restauration n’est « que » de 2,4 milliards d’euros…

Parallèlement, le PS prévoit de ramener l’âge légal de la retraite à soixante ans. Ce qui est certes « très sympathique », mais viendra encore aggraver le trou des comptes sociaux. Faut-il d’ailleurs rappeler que le FMI, dirigé par un certain DSK, préconise un âge légal de 65 ans ? Certes, pour contourner toutes ces difficultés, il pourrait être décidé d’augmenter purement et simplement la pression fiscale qui est pourtant déjà l’une des plus élevées du monde. Mais là aussi, danger, car si l’on accroît les impôts et taxes en France, cela cassera instantanément la croissance économique, suscitant plus de chômage et plus de déficit.

Ce qui nous amène à évoquer l’un des autres problèmes majeurs du programme du PS : sa prévision de croissance à 2,5 % par an. A la décharge de celui-ci, il faut reconnaître que, depuis dix ans, tous les partis politiques et les dirigeants du pays ont établi cette même prévision, alors que, depuis dix ans, la croissance annuelle moyenne du PIB français n’a été que de 1,2 %. C’est malheureusement une triste réalité que « l’élite française » (de droite comme de gauche) refuse d’admettre : la croissance structurelle française est comprise entre 1,5 % et 1,8 % par an. Baser un programme économique sur un niveau de 2,5 % est donc par construction erroné et par là même voué à l’échec.

Pourtant, si tel est le choix des Français en 2012, il faut d’ores et déjà se préparer à la dégradation de la note de la dette publique française dès l’an prochain qui passerait d’un AAA à A. Une forte hausse des taux d’intérêt obligataires s’en suivra, ce qui affaiblira la croissance économique, alimentera le chômage, fera encore flamber les déficits et la dette publics, d’où une nouvelle hausse des taux d’intérêt… En trois mots : attention les secousses !

Marc Touati