Pourquoi les bourses résistent ?

 

C’est certainement l’un des grands mystères de la première partie de l’année 2011 : en dépit de toutes les tempêtes qui ont traversé la planète et auraient pu, à chaque fois, entraîner une nette baisse des cours, voire un krach, les marchés boursiers internationaux ont fait preuve d’une impressionnante résistance. Séisme, tsunami, puis catastrophe nucléaire au Japon, émeutes en Tunisie, puis en Egypte, guerre en Libye et risques de contagion dans de nombreux pays arabes… Rien n’a réussi à casser le moral des investisseurs boursiers, pourtant régulièrement attaqué par les sirènes récurrentes des Cassandre.

Face à ce dilemme apparent, il pourrait être tentant d’avancer que les boursiers font preuve d’un excès d’optimisme, qui ne tardera pas à s’effriter, voire à s’inverser. Selon nous, il n’en est rien. En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001, puis les guerres en Afghanistan et en Irak qui ont suivi, les investisseurs ont bien compris que le monde était devenu de plus en plus instable et, par là même, dangereux. Autrement dit, depuis lors, l’évolution des marchés actions intègre constamment une forte prime de risque géopolitique, qui peut bien entendu varier à la hausse ou à la baisse en fonction des catastrophes du moment. Ainsi, en dépit des guerres de 2002 et 2003, puis du SRAS en 2004 ou encore des dégâts humains, économiques et psychologiques causés par le cyclone Katrina, le Dow Jones a dépassé son sommet de 2000 dès l’année 2006. Ensuite, il y eut bien sûr la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers. Pourtant, là aussi, les marchés boursiers ont repris du poil de la bête. Et même s’il n’a pas encore retrouvé son pic de septembre 2007, l’indice phare de Wall Street s’en est rapproché à 10 % près début 2011. Mieux, malgré les craintes des dernières semaines, la bourse de New York a continué de résister, évitant le plongeon pourtant tant annoncé.

Cette résistance à toute épreuve rappelle simplement que les crises sont forcément des phases d’opportunités et qu’il ne sert à rien de « jeter le bébé avec l’eau du bain » sous prétexte que le monde est devenu de plus en plus dangereux. Ainsi, laisser croire que l’économie mondiale allait s’effondrer à la suite de la catastrophe japonaise consistait simplement à oublier que, depuis quinze ans, le Japon ne contribue plus qu’à hauteur de 0,1 point à la progression annuelle du PIB de la planète. De même, imaginer que les marchés boursiers pourraient s’effondrer à cause de la guerre en Libye revient à ignorer que la croissance mondiale se maintient sur un rythme de 4 % et que celle des Etats-Unis se stabilise autour des 3 à 3,5 %. En d’autres termes, en dépit des soubresauts géopolitiques internationaux, le socle des marchés boursiers, en l’occurrence l’économie mondiale, reste solide. D’autant plus que les résultats des entreprises demeurent florissants et que les opportunités d’OPA et de fusions-acquisitions se multiplient.

Mieux, à côté de la flambée excessive des matières premières, du métal jaune, du franc suisse, de l’immobilier (en particulier en France) et des autres valeurs soi-disant refuges, les actions apparaissent comme l’une des rares classes d’actifs non affectée par une bulle. A l’inverse, ce n’est pas parce qu’une valeur est dite « refuge » que son cours ne peut pas baisser. Rappelons-nous par exemple que ceux qui ont acheté de l’or début 1980 à 850 dollars l’once en pensant investir dans une valeur sûre n’ont ensuite retrouvé leur mise de départ qu’en 2006. Pis, si l’on raisonne à prix constants, les 850 dollars de 1980 correspondent à 2 000 dollars aujourd’hui. Cela signifie que les « passionnés » d’or de 1980 n’ont toujours pas récupéré leur investissement initial.

C’est ce que l’on oublie souvent lorsqu’on achète des matières premières pour spéculer : si l’augmentation probable de la demande constitue certes un argument de poids pour justifier une probable hausse des prix à moyen terme, les « commodities » créent peu de valeur ajoutée. Bien différemment et même si elles représentent un risque notable, les entreprises créent généralement de la richesse et, lorsqu’elles sont performantes, génèrent des bénéfices et distribuent des dividendes. En d’autres termes, l’investisseur en matières premières ne peut gagner que sur un effet « cours », alors que celui qui ose acheter des actions peut évidemment perdre, comme tout investisseur d’ailleurs, mais il peut gagner sur deux tableaux : les cours et les dividendes.

Bien sûr, les mauvaises langues diront que si la performance du Dow Jones est somme toute appréciable sur longue période, il n’en est pas de même du Nikkei ou encore du Cac 40. Et pour cause, le premier se situe 75 % en deçà de son sommet de 1990 et le second est encore inférieur de 40 % à son pic de septembre 2000. Une fois encore, ces deux évolutions rappellent que l’actif sous-jacent des marchés boursiers reste la réalité économique. Ainsi, la dégringolade du Nikkei, avant même les dramatiques évènements des dernières semaines, s’explique principalement par l’effondrement de l’Archipel dans une déflation sans précédent. Quant au Cac 40, si, jusqu’à présent, la France a fort heureusement évité la crise déflationniste, son économie n’en est pas moins condamnée à la croissance molle depuis plus d’une décennie.

Plus grave encore, depuis trois ans, un inquiétant écart se creuse entre le Cac 40 et le Dax. Si les différences de composition expliquent pour une petite partie ce décalage, ce dernier est surtout dû au différentiel qui se creuse dangereusement entre une Allemagne réformée et modernisée et une France qui refuse de modifier en profondeur ses structures économiques. Et ce n’est pas tout, car, compte tenu du malaise politique et social qui monte dans l’Hexagone, la défiance à l’égard de la France et de ses « entreprises leaders », quand bien même celles-ci consacrent l’essentiel de leur activité à l’étranger, risque de s’intensifier.

En conclusion, au-delà des soubresauts géopolitiques qui les secouent régulièrement, les marchés boursiers sont surtout corrélés à la réalité économique. Voilà pourquoi, après une phase de stagnation au cours des trois prochains mois, les indices occidentaux devraient encore bien performer en 2011 et croître d’environ 15 % sur l’année. Seul bémol et comme cela s’observe depuis trois ans, le Cac 40 restera vraisemblablement à la traîne de ses homologues.

Marc Touati