Et pendant ce temps, la grogne sociale monte…

 

Mais quelle mouche a encore piqué les dirigeants occidentaux ? Les lourdes pertes humaines causées par les conflits en Afghanistan et en Irak, ainsi que le peu de résultats concrets obtenus en échange ne les ont vraisemblablement pas vaccinés. Loin d’être échaudés par ces échecs, ils ont donc décidé de remettre ça en Libye. Bien entendu, le mobile des frappes aériennes réside officiellement dans la volonté d’étendre la démocratie et de protéger un peuple en détresse contre un tyran qui a dirigé ce dernier pendant quarante ans. Mais, comme le fait remarquer la sagesse populaire, les apparences sont souvent trompeuses…

Nous ne nous lancerons évidemment pas dans des spéculations pour essayer de trouver le véritable motif de cette intervention militaire, mais tout de même, il faut arrêter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Et ce, d’autant que l’on vient d’essayer de nous faire croire que le Japon allait disparaître sous la mer, que la planète serait touchée par un nuage radioactif dévastateur et que la sphère économico-financière allait être frappée par une récession sans précédent.

A ce sujet, il a été particulièrement frappant de voir comment certains « commentateurs économiques » ont cherché à masquer ce que nous signalions la semaine dernière dans cette même chronique, à savoir que le Japon ne contribuait plus qu’à hauteur de 0,1 point à la croissance mondiale depuis quinze ans. Que ce soit par appât du gain, par cynisme ou tout simplement par incompétence, ces « adeptes de la fin du monde » ont préféré noircir le tableau, utilisant une catastrophe humaine pour de vils motifs. Face à cette surenchère de pessimisme, de nombreux investisseurs ont alors choisi de se couvrir, voire de spéculer à la baisse sur les marchés boursiers. Qu’elle n’a donc pas été leur surprise lorsque les grands indices mondiaux ont repris plus de 5 % en deux jours !

Qu’à cela ne tienne, après avoir repris du poil de la bête depuis le début de la crise libyenne, le « Bear market » n’a pas l’intention de retourner dans sa caverne. Bien au contraire, il a l’intention de s’installer, grâce à toutes les catastrophes qui menacent et vont encore   menacer la stabilité géopolitique internationale. L’intervention militaire des pays occidentaux en Libye leur fournit d’ailleurs un alibi de poids, puisque, maintenant que ces derniers ont décidé de s’ingérer dans les affaires nationales des pays arabes, ils risquent de continuer sur leur lancée en Afrique et au Moyen-Orient, avec, pourquoi pas, une troisième guerre mondiale ? Autrement dit, les déclinologues ont encore de beaux jours devant eux…

Mais il y a pire, car, pendant que les forces aériennes anglo-américano-françaises tentent de neutraliser Kadhafi, la grogne sociale commence à enfler dangereusement au… Royaume-Uni, aux Etats-Unis et surtout dans la zone euro et en particulier en France. Les résultats du premier tour des élections cantonales dans l’Hexagone confirment d’ailleurs qu’à l’inverse de ce qu’ont voulu faire croire les éminents politologues nationaux, cette grogne ne transparaît pas seulement dans les sondages, mais est aussi bien présente sur le terrain.

Autrement dit, pendant que la France essaie d’œuvrer pour promouvoir la démocratie à travers le monde, elle subit une montée en puissance des forces anti-démocratiques sur son propre territoire. Cela ressemble étrangement aux années 1775-83 au cours desquelles la France était essentiellement préoccupée par l’indépendance de l’Amérique, de manière à affaiblir au maximum l’ennemi anglais, sans se soucier qu’en son sein, une révolution était en train de se cristalliser.

L’Histoire va-t-elle, une fois encore, bégayer ? Nous n’en savons rien. Néanmoins, ce que nous savons c’est que, compte tenu des erreurs stratégiques actuelles, la situation économique de la zone euro et de la France a de fortes chances de se dégrader significativement dans les prochains mois. En effet, dans la perspective d’une imminente remontée du taux refi de la BCE et face à une farouche volonté américaine de maintenir les taux directeurs de la Fed à zéro, l’euro s’est de nouveau fortement apprécié. Cette flambée est d’autant plus incongrue que la crise de la dette publique des pays du Sud de la zone est toujours présente. Les taux des obligations d’Etat à dix ans sont ainsi de près de 13 % en Grèce, de quasiment 10 % en Irlande et d’environ 7,5 % au Portugal.

Et cela n’est par terminé, car si, pour le moment, la dette publique française continue de bénéficier de taux d’intérêt bas grâce à un bienveillant triple A, un dérapage social, politique ou militaire et, a fortiori, les trois à la fois imposeront aux agences de notation de revoir leur position. Pis, le cavalier seul de la France dans la crise libyenne a encore dégradé les relations franco-allemandes, qui n’étaient déjà pas au beau fixe. Or, il est clair que, sans une solidité à toute épreuve du couple France-Allemagne, la zone euro est fragilisée, ce qui rendra mécaniquement plus difficile la gestion des prochaines crises de la dette publique.

Après avoir échappé au pire à trois reprises en moins d’un an (crise grecque début 2010, irlandaise fin 2010 et de la dette publique au sens large il y a deux mois), puis avoir été sauvée in extremis grâce aux concessions allemandes, la zone euro risque de ne pas résister à une quatrième secousse. C’est en cela que la nouvelle vague d’appréciation excessive de l’euro/dollar nous paraît extrêmement dangereuse, dans la mesure où elle peut faire replonger la plupart des pays eurolandais, y compris la France, dans la récession. Déjà latente, la crise sociale deviendra alors patente et redoublera très vite en intensité, avec toutes les conséquences dramatiques que cela peut engendrer sur la stabilité politique et la crédibilité internationale des pays en question.

S’il est évidemment louable d’aider les peuples à entrer dans l’univers de la démocratie, il est aussi indispensable de ne pas sous-estimer les problèmes nationaux et de tout mettre en œuvre pour restaurer au plus vite une croissance forte, de manière à réduire le chômage, à lutter contre les inégalités et à réactiver l’ascenseur social. Il en va de l’avenir de la zone euro et du bon fonctionnement des pays qui la constituent, à commencer par la France.

Marc Touati