Marchés, pétrole, croissance : quel “aLybie” ? (E&S n°161)

 

Humeur :

Les Cassandre ont enfin leur « aLybie »

Depuis quelques semaines, les pessimistes, Cassandre et autres « Bearish »se faisaient de plus en plus petits. Et pour cause : en dépit des sarcasmes et des craintes récurrentes répandues par ces « oiseaux de mauvais augure », les marchés boursiers reprenaient allégrement le chemin de la hausse, semblant faire fi des soubresauts géopolitiques qui se multipliaient à travers la planète. Ainsi, que ce soit la révolution tunisienne ou les émeutes égyptiennes, rien ne paraissait susceptible d’altérer le retour d’un certain optimisme sur les places boursières internationales. De même, que ce soient les craintes de forte inflation en Asie, la croissance molle de la zone euro ou encore les appels à la prudence de Ben Bernanke, les investisseurs restaient relativement sourds aux sirènes des défaitistes.

Il faut dire qu’à son actif, le « Bull market » disposait d’arguments de poids, en l’occurrence une croissance mondiale de 5 % en 2010 et d’au moins 4,2 % cette année, des résultats des entreprises particulièrement florissants, sans oublier la garantie d’une politique monétaire durablement accommodante des deux côtés de l’Atlantique. Dans ce cadre, l’augmentation des cours des matières premières paraissait logique et suffisamment contenue pour permettre à l’économie planétaire de ralentir en douceur.

Malheureusement, chassez le naturel et il revient au galop. Autrement dit malgré cinq trimestres de forte croissance mondiale, on n’efface pas quatre années de « Bear Market » et de pessimisme consensuel en quelques semaines. Ainsi, après Nouriel Roubini, Henri Paulson, ou encore Bernard Madoff, les Cassandre ont désormais trouvé leur nouvel héraut, en la personne de Mouammar Kadhafi. En effet, en choisissant la violence extrême pour répondre aux manifestations, ce dernier a réussi à se mettre à dos l’ensemble de la communauté internationale et à agiter le chiffon rouge d’un conflit mondial. Et ce, d’autant qu’après la Libye, de plus en plus de pays du Golfe persique semblent menacés par de futurs mouvements de contestation.

Dans ce contexte, la production mondiale d’or noir risque de ralentir fortement. Dans la mesure où la demande de pétrole est actuellement légèrement supérieure à l’offre, un tel cas de figure ne manquera pas d’accroître la spéculation sur les marchés pétroliers et d’accentuer la flambée des cours. Ce qui finira par entraîner l’ensemble de prix des matières premières vers une hausse excessive et très coûteuse en termes de croissance économique. Nous n’en sommes bien sûr pas encore là, mais ce simple risque a fait bondir le prix du baril, relançant les craintes d’un dérapage inflationniste et surtout du retour de la récession. Effectivement, n’oublions pas qu’avant d’être aggravée par la faillite de Lehman Brothers et la crise financière qui en a suivie, la récession de 2008 avait débuté par l’envolée des cours du baril à près de 150 dollars.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à chaque fois que le cours du baril augmente de 10 dollars en moyenne sur une année, cela enlève 0,4 point à la croissance mondiale. Dès lors, si celui-ci flambe puis s’installe durablement au-delà des 120 dollars, le PIB chutera fortement à l’échelle de la planète, et en particulier dans les pays les plus fragiles économiquement parlant. Les vieux réflexes laisseraient penser que ces derniers se situent dans le monde émergent… Pourtant, à l’exception des pays les plus pauvres, qui seront certainement les premiers touchés par une nouvelle crise, la plupart des pays émergents résisteront solidement à cette dernière. Non seulement parce qu’ils sont actuellement installés sur le chemin de la croissance forte, mais aussi parce qu’ils disposent de réserves de changes conséquentes, qui leur permettront de faire face à la tempête.

Avec ses 2 800 milliards de dollars, la Chine tiendra, une fois de plus, le haut du pavé sur ce front. Cependant, de nombreux autres pays émergents ne seront pas en reste : 500 milliards de dollars pour la Russie, presque 300 milliards pour la Corée du Sud, l’Inde et le Brésil, ou encore 230 milliards pour Singapour. A l’évidence, la crise sera, une fois encore, une source d’opportunités pour l’ensemble de ces Nations, qui consolideront leur nouveau rôle de locomotives de l’économie mondiale.

En revanche, les pays engoncés dans la croissance molle et/ou disposant de peu de réserves de changes seront, comme en 2008-2009, les grands perdants d’une nouvelle crise internationale. Voilà pourquoi, les pays émergents d’Europe centrale et orientale ainsi que ceux de la zone euro sont aujourd’hui les plus menacés par les dérapages géopolitiques internationaux. Pis, une nouvelle récession réactiverait de plus belle la crise de la dette publique, alimentant par là même la récession européenne, voire mondiale, et suscitant une nouvelle plongée des marchés boursiers.

Tel n’est évidemment pas notre scénario. Néanmoins, le simple fait que cette triste projection puisse se concevoir suffit pour relancer la « Cassandre attitude ». Il faut donc se préparer à une nouvelle phase de vache maigre sur les marchés actions à travers le monde. Mais attention, si le scénario du pire est évité (ce qui reste d’ailleurs notre conviction), la baisse actuelle des marchés constituera un tremplin de choix pour une reprise boursière lors des trimestres à venir.

C’est la raison pour laquelle, en dépit des tensions internationales, qui généreront forcément une période d’intense volatilité, nous maintenons notre objectif d’un Cac 40 à 4 500 points et d’un Dow Jones à plus de 13 000 points d’ici la fin 2011. En attendant, la seule incertitude, certes de taille, réside dans l’issue du conflit libyen, qui focalise toutes les attentions. M. Kadhafi a donc de quoi jubiler puisqu’il est en train de réaliser l’un des rêves les plus chers de la plupart des dictateurs, en l’occurrence peser sur l’avenir du monde… Espérons simplement que cela ne durera pas trop longtemps.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

France : Les ménages sont fatigués.


Ce qui devait arriver arriva : après avoir soutenu la croissance française à bout de bras pendant toute la dernière crise, la consommation des ménages commence désormais à fatiguer. Ainsi, après avoir progressé de 2,6 % en novembre et de 0,4 % en décembre (chiffre révisé en baisse), notamment grâce au dernier baroud d’honneur de la prime à la casse, la consommation en produits manufacturés a baissé de 0,5 % en janvier. Certes, compte tenu de la vigueur des deux mois précédents, la facture aurait pu être plus lourde.

Pour autant, le détail des chiffres apparaît inquiétant. En effet, si les achats de biens d’équipement du logement ont tiré leur épingle du jeu, en progressant de 2,4 % en janvier, les deux autres grands postes de la consommation ont subi un net recul. A commencer par l’automobile qui affiche une baisse de 6,3 % sur un mois. Là aussi, eu égard à la flambée engendrée par la fin de la prime à la casse fin 2010, une correction baissière encore plus forte aurait pu se produire. Néanmoins, cette chute mensuelle apparaît comme le début d’une longue période de traversée du désert pour la consommation automobile dans l’Hexagone.

Mais le plus inquiétant ne se situe pas forcément là. En effet, ce mouvement baissier dans le secteur automobile est logique et ne vient que corriger les excès des deux dernières années en la matière. En revanche, la baisse de 1,8 % de la consommation de textile-cuir constitue la véritable déception des chiffres de janvier. Et pour cause : la période des soldes est généralement propice au développement de la « fièvre acheteuse » dans le secteur de l’habillement. Or, cette année, le thermomètre n’a pas monté. Cette évolution est d’autant plus inquiétante que la consommation de textile-cuir avait déjà baissé de 0,9 % en décembre 2010. Conséquence logique de cet accès de faiblesse, le glissement annuel de ce type de consommation s’effondre à – 2,9 %, un plus bas depuis juin 2010.

Les soldes n’ont pas engendré de fièvre acheteuse.

Source : Insee, Datastream

Autrement dit, en dépit des promotions, les ménages restent frileux et préfèrent vraisemblablement maintenir une épargne élevée plutôt que de « se laisser aller » en matière de dépenses. Cette tendance risque malheureusement de durer avec la nouvelle flambée des cours du pétrole et de l’ensemble des matières premières. En effet, les dépenses énergétiques et alimentaires étant difficilement compressibles, les ménages risquent d’être contraints de compenser l’augmentation de la valeur de ce type de dépenses en réduisant leurs achats dans les autres domaines.

La faiblesse durable de la confiance des ménages confirme cette parcimonie. Et ce d’autant que l’indicateur de faire des achats importants de l’enquête INSEE auprès des ménages demeure également très bas.

Les ménages restent inquiets.

Source : Insee, Bloomberg

Dans ce cadre, la consommation des ménages français devrait rester faible sur l’ensemble de l’année 2011 et progresser d’environ 1,2 % en moyenne annuelle. Après avoir été LE moteur de l’économie française depuis 1998, la consommation risque donc bien de limiter la croissance hexagonale en 2011, voire en 2012 si les incertitudes internationales ne se réduisent pas et si le climat pré-électoral national génère un mouvement d’attentisme massif.

Les industriels commencent à s’inquiéter

Source : Insee, Datastream

Il faut d’ailleurs noter qu’après une année de fort rebond, le climat des affaires dans l’industrie a retrouvé le chemin de la baisse en janvier. Si un point ne fait évidemment pas une tendance, cela montre néanmoins que la croissance française reste très fragile. Il serait donc malvenu de s’enorgueillir excessivement de la baisse du chômage en janvier. Non seulement parce que cette dernière résulte essentiellement d’un mouvement de correction de l’augmentation des mois précédents, mais surtout parce qu’avec une croissance annuelle d’au mieux 1,8 % en 2011, l’emploi restera moribond cette année.

 

Marc Touati



La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés:

Des marchés sous pression malgré une semaine statistique favorable.


Si les marchés sont toujours affectés par le contexte géopolitique, les statistiques publiées cette semaine des deux côtés de l’Atlantique ont été plutôt favorables.

 

Certes, la croissance du PIB américain du quatrième trimestre 2010 a été révisée en légère baisse (de 3,2 % à 2.8 % en rythme annualisé). Néanmoins cette relative déception s’explique principalement par la forte baisse de la formation de stocks. Ainsi hors stocks la croissance américaine ressort à 6,7 %.

Cette évolution porte donc en elle les germes d’une correction haussière et par la même d’une croissance plus forte dés le premier  trimestre 2011.

 

C’est d’ailleurs ce que confirment les autres statistiques publiées cette semaine. A commencer par l’indice de confiance des consommateurs du Conference Board qui a progressé de près de 6 points en février pour atteindre un niveau de 70,4 (contre 65,5 attendu par le consensus), soit un plus haut depuis tout juste trois ans.

 

Le détail statistique est particulièrement révélateur de l’optimisme des ménages outre-Atlantique. Ainsi, l’indice relatif aux attentes a progressé de 87,3 en janvier à 95,1 en février. En d’autres termes, les dépenses des ménages américains devraient augmenter significativement dans les mois à venir.

Par conséquent, si les ventes au détail de janvier furent relativement décevantes du fait de conditions climatiques difficiles, ces dernières devraient progresser significativement en février et mars.

 

Les consommateurs américains ont le moral.

 

Sources : Conference Board, Datastream

 

Alors que le cercle vertueux emploi-investissement-consommation s’installe de manière durable outre-Atlantique, l’indice de confiance des consommateurs du Conference Board qui reste encore inférieur à sa moyenne de long terme (93) dispose encore d’une marge de progression appréciable.

La consommation des ménages américains qui représente 70 % du PIB devrait soutenir la croissance américaine au premier trimestre et tout au long de l’année.

 

De l’autre côté de l’Atlantique, les statistiques publiées dans la zone euro affichent de belles couleurs.