Depuis quelques semaines, les pessimistes, Cassandre et autres « Bearish »se faisaient de plus en plus petits. Et pour cause : en dépit des sarcasmes et des craintes récurrentes répandues par ces « oiseaux de mauvais augure », les marchés boursiers reprenaient allégrement le chemin de la hausse, semblant faire fi des soubresauts géopolitiques qui se multipliaient à travers la planète. Ainsi, que ce soit la révolution tunisienne ou les émeutes égyptiennes, rien ne paraissait susceptible d’altérer le retour d’un certain optimisme sur les places boursières internationales. De même, que ce soient les craintes de forte inflation en Asie, la croissance molle de la zone euro ou encore les appels à la prudence de Ben Bernanke, les investisseurs restaient relativement sourds aux sirènes des défaitistes.
Il faut dire qu’à son actif, le « Bull market » disposait d’arguments de poids, en l’occurrence une croissance mondiale de 5 % en 2010 et d’au moins 4,2 % cette année, des résultats des entreprises particulièrement florissants, sans oublier la garantie d’une politique monétaire durablement accommodante des deux côtés de l’Atlantique. Dans ce cadre, l’augmentation des cours des matières premières paraissait logique et suffisamment contenue pour permettre à l’économie planétaire de ralentir en douceur.
Malheureusement, chassez le naturel et il revient au galop. Autrement dit malgré cinq trimestres de forte croissance mondiale, on n’efface pas quatre années de « Bear Market » et de pessimisme consensuel en quelques semaines. Ainsi, après Nouriel Roubini, Henri Paulson, ou encore Bernard Madoff, les Cassandre ont désormais trouvé leur nouvel héraut, en la personne de Mouammar Kadhafi. En effet, en choisissant la violence extrême pour répondre aux manifestations, ce dernier a réussi à se mettre à dos l’ensemble de la communauté internationale et à agiter le chiffon rouge d’un conflit mondial. Et ce, d’autant qu’après la Libye, de plus en plus de pays du Golfe persique semblent menacés par de futurs mouvements de contestation.
Dans ce contexte, la production mondiale d’or noir risque de ralentir fortement. Dans la mesure où la demande de pétrole est actuellement légèrement supérieure à l’offre, un tel cas de figure ne manquera pas d’accroître la spéculation sur les marchés pétroliers et d’accentuer la flambée des cours. Ce qui finira par entraîner l’ensemble de prix des matières premières vers une hausse excessive et très coûteuse en termes de croissance économique. Nous n’en sommes bien sûr pas encore là, mais ce simple risque a fait bondir le prix du baril, relançant les craintes d’un dérapage inflationniste et surtout du retour de la récession. Effectivement, n’oublions pas qu’avant d’être aggravée par la faillite de Lehman Brothers et la crise financière qui en a suivie, la récession de 2008 avait débuté par l’envolée des cours du baril à près de 150 dollars.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à chaque fois que le cours du baril augmente de 10 dollars en moyenne sur une année, cela enlève 0,4 point à la croissance mondiale. Dès lors, si celui-ci flambe puis s’installe durablement au-delà des 120 dollars, le PIB chutera fortement à l’échelle de la planète, et en particulier dans les pays les plus fragiles économiquement parlant. Les vieux réflexes laisseraient penser que ces derniers se situent dans le monde émergent… Pourtant, à l’exception des pays les plus pauvres, qui seront certainement les premiers touchés par une nouvelle crise, la plupart des pays émergents résisteront solidement à cette dernière. Non seulement parce qu’ils sont actuellement installés sur le chemin de la croissance forte, mais aussi parce qu’ils disposent de réserves de changes conséquentes, qui leur permettront de faire face à la tempête.
Avec ses 2 800 milliards de dollars, la Chine tiendra, une fois de plus, le haut du pavé sur ce front. Cependant, de nombreux autres pays émergents ne seront pas en reste : 500 milliards de dollars pour la Russie, presque 300 milliards pour la Corée du Sud, l’Inde et le Brésil, ou encore 230 milliards pour Singapour. A l’évidence, la crise sera, une fois encore, une source d’opportunités pour l’ensemble de ces Nations, qui consolideront leur nouveau rôle de locomotives de l’économie mondiale.
En revanche, les pays engoncés dans la croissance molle et/ou disposant de peu de réserves de changes seront, comme en 2008-2009, les grands perdants d’une nouvelle crise internationale. Voilà pourquoi, les pays émergents d’Europe centrale et orientale ainsi que ceux de la zone euro sont aujourd’hui les plus menacés par les dérapages géopolitiques internationaux. Pis, une nouvelle récession réactiverait de plus belle la crise de la dette publique, alimentant par là même la récession européenne, voire mondiale, et suscitant une nouvelle plongée des marchés boursiers.
Tel n’est évidemment pas notre scénario. Néanmoins, le simple fait que cette triste projection puisse se concevoir suffit pour relancer la « Cassandre attitude ». Il faut donc se préparer à une nouvelle phase de vache maigre sur les marchés actions à travers le monde. Mais attention, si le scénario du pire est évité (ce qui reste d’ailleurs notre conviction), la baisse actuelle des marchés constituera un tremplin de choix pour une reprise boursière lors des trimestres à venir.
C’est la raison pour laquelle, en dépit des tensions internationales, qui généreront forcément une période d’intense volatilité, nous maintenons notre objectif d’un Cac 40 à 4 500 points et d’un Dow Jones à plus de 13 000 points d’ici la fin 2011. En attendant, la seule incertitude, certes de taille, réside dans l’issue du conflit libyen, qui focalise toutes les attentions. M. Kadhafi a donc de quoi jubiler puisqu’il est en train de réaliser l’un des rêves les plus chers de la plupart des dictateurs, en l’occurrence peser sur l’avenir du monde… Espérons simplement que cela ne durera pas trop longtemps.
Marc Touati