Banques, Zone euro, Etats-Unis : mi-figue, mi-raisin (E&S n°160)

 

Humeur :

La difficile équation du monde bancaire.

C’était prévisible, pour ne pas dire inévitable : les banques internationales et notamment françaises ont réalisé de bons résultats financiers en 2010. Face à cette réalité, les esprits bien pensants sont évidemment montés au créneau pour dénoncer « l’indécence » du monde bancaire, a priori coupable de la crise, mais qui en sort quasiment indemne, alors que les citoyens sont, comme d’habitude, les dindons de la farce.

Bien entendu, il faut reconnaître qu’il y a une part de vérité dans ce constat simpliste et qu’il serait politiquement correct et surtout très pratique de s’y rallier. Malheureusement, ou plutôt heureusement, la réalité est plus complexe. Certes, les dirigeants de banque ont une responsabilité importante dans la crise de 2007-2009. Et ce, principalement parce qu’ils ont voulu casser la règle de base de l’économie et de la finance, selon laquelle plus le rendement s’accroît, plus le risque augmente. Ainsi, par appât du gain, par cupidité et très souvent par incompétence, ils ont laissé se développer des pratiques qu’ils ne maîtrisaient pas et qu’ils ne comprenaient pas.

Seulement voilà, une fois que le mal est fait, il faut le réparer. Or, ce n’est certainement pas en laissant faire faillite les banques à travers le monde, comme ce fut par exemple le cas en 1929, que la crise aurait été résolue. Bien au contraire, c’est justement parce que les dirigeants internationaux de 2008-2009 n’ont pas fait les mêmes erreurs que leurs homologues de 1929 que la récession des années 1930 a été évitée.

Autrement dit, à l’automne 2008, nous n’avions pas le choix : il fallait sauver les banques. Et si tel n’avait pas été le cas, le monde serait encore dans la récession et peut-être même en guerre. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que les Etats n’ont fait que jouer leur rôle de prêteur en dernier ressort et qu’en plus, ils en ont tiré profit. Et pour cause : ils ont prêté de l’argent aux banques pour augmenter leurs fonds propres à des taux biens plus élevés que ceux auxquels ils s’endettaient sur les marchés. Quant aux Etats qui ont préféré la nationalisation, ils devraient récolter des plus-values particulièrement conséquentes lorsqu’ils se désengageront de ces banques anciennement vouées à la faillite et désormais très profitables.

Le retour au profit de la plupart des grandes banques internationales constitue la preuve qu’en 2008, ces dernières n’étaient pas insolvables mais seulement confrontées à un manque temporaire de liquidités. Il suffisait donc de les aider à traverser ce cap difficile pour repartir de l’avant. Au regard des résultats très satisfaisants des activités de Lehman Brothers revendues notamment à Barclays et à Nomura, on comprend que même la faillite de cette banque aurait pu être évitée. Nous ne reviendrons pas sur l’erreur humaine commise par Henry Paulson, mais tout de même : si la crise était inévitable, elle n’aurait jamais été aussi grave si le secrétaire d’Etat au Trésor américain de l’époque avait été à la hauteur.

Toujours est-il que si l’on peut comprendre la nécessité de sauver les banques, la rapidité avec laquelle ces dernières ont renoué avec les profits élevés peut choquer. Surtout dans un contexte où la croissance économique reste faible et où les situations sociales demeurent très difficiles dans la plupart des pays touchés par la crise. A commencer par la France, où, pour ne rien arranger, la faiblesse de la culture économique permet à des idées aussi extrémistes que simplistes de s’installer dans l’opinion aussi facilement que la grippe en hiver.

Dans ce cadre, les banques françaises ne doivent surtout pas faire la sourde oreille face à ces revendications, même exagérées, car le malaise social est tel dans l’Hexagone que la situation pourrait rapidement dégénérer. Voilà pourquoi, elles doivent faire preuve d’une grande humilité face à leurs profits, mais aussi d’une grande pédagogie pour expliquer que ces derniers ne sont pas le seul fruit d’une « méchante spéculation ». Bien entendu, les banques ne sont pas non plus des philanthropes. Et si elles ont bien gagné leur vie en 2010 c’est principalement grâce au maintien de taux directeurs extrêmement bas, qui leur ont permis de faire de la transformation à bon compte en bénéficiant d’écarts conséquents entre les taux courts et les taux longs. Mais surtout, les banques doivent maintenant prouver qu’après avoir retrouvé leurs forces, elles vont désormais exercer leur vrai métier, en l’occurrence octroyer des crédits et irriguer l’économie.

C’est en cela que les nouvelles règles prudentielles internationales tombent très mal. Car pour les respecter au mieux, les banques vont plutôt être incitées à limiter leurs engagements et à favoriser à tout prix la captation de l’épargne longue. Or, qui dit trop d’épargne, dit faible consommation, donc croissance molle, puis chômage élevé et risques sociaux… Plus que jamais, les autorités de tutelles doivent donc agir avec souplesse pour permettre au monde bancaire de se « racheter » vis-à-vis du grand public, c’est-à-dire les PME, les artisans commerçants et bien sûr les particuliers. Dans le même temps, les banques doivent aussi montrer au monde que leurs profits ne serviront pas seulement à rémunérer grassement leurs dirigeants, mais qu’ils seront surtout utilisés pour augmenter leur offre de crédit. Car, comme le disait le Chancelier allemand Helmut Schmidt dans les années 1970, les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain.

Alors, pour éviter de prêter le flanc à la critique et de laisser tomber l’opinion publique française dans la démagogie, l’extrémisme, puis la crise sociétale, les banques hexagonales doivent arrêter de penser à court terme et, au contraire, montrer l’exemple en favorisant la transparence, la stratégie à longue échéance et le financement de l’économie. Nous pourrons alors dire que la crise que nous venons de vivre aura eu au moins une vertu : faire comprendre à tous, et notamment aux financiers, que c’est l’économie qui doit dicter l’évolution des marchés et pas l’inverse.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

La France et la zone euro toujours condamnées à la croissance molle.


C’est triste à dire, mais les trimestres se suivent et se ressemblent pour l’économie eurolandaise. Bien sûr, la récession est derrière nous. Pourtant, après une baisse historique du PIB en 2009, il aurait pu paraître logique d’observer une forte reprise en 2010. Pourtant, il n’en a rien été. Ainsi, à l’exception de l’Allemagne, du Luxembourg et, à la rigueur de l’Autriche et des Pays-Bas, tous les pays de la zone euro sont restés engoncés dans la croissance molle. Pis, un an après le début de la crise de sa dette publique, la Grèce a continué de sombrer dans la récession, enregistrant son sixième trimestre consécutif de baisse du PIB. Au cours des neuf derniers trimestres, huit ont même été négatifs. Ce qui se traduit par une baisse totale du PIB hellène de 8,9 % !

Grèce : la descente aux enfers continue.

Sources : Eurostat et Datastream

Face à ce marasme, l’évolution du PIB des autres pays eurolandais pourrait presque paraître euphorique. Pour autant, il faut se rendre à l’évidence : la mollesse économique reste de mise. Les variations observées au quatrième trimestre parlent d’elles-mêmes : – 0,3 % pour le Portugal, + 0,1 % pour l’Italie, + 0,2 % pour l’Espagne et bien sûr + 0,3 % pour la France.

Les pays du Sud continuent de tirer la zone euro vers le bas.

Sources : Eurostat et Datastream

Au total, le PIB eurolandais a progressé de 0,3 % au quatrième trimestre et de 1,7 % sur l’ensemble de l’année 2010, ce qui est évidemment loin de rattraper la baisse de 4,1 % enregistrée en 2009. Alors que le PIB des Etats-Unis a déjà dépassé son niveau d’avant crise, celui de la zone euro affiche encore un retard de 2,9 %.

La zone euro toujours très en retard…

Sources : BEA, Eurostat et Datastream

Mais si les contre-performances des pays du Sud étaient attendues, la véritable mauvaise surprise est venue de l’Hexagone. En effet, quelques jours avant la publication des comptes nationaux, Bercy avait cru bon de lancer des rumeurs de bonnes surprises. Malheureusement, ces espoirs se sont avérés vains. Ainsi, la progression trimestrielle de ce dernier est restée molle et identique à celle observée aux premier et troisième trimestres 2010, en l’occurrence 0,3 %.

Certes, la formation de stocks lui a enlevé 0,8 point. Ce qui signifie que, hors stocks, la croissance aurait été de 1,1 %. Mais, à ce jeu de retirer ce qui dérange, il faudrait aussi effacer la contribution positive liée à la baisse de 1,8 % des importations (à savoir 0,6 point).

Autrement dit, il ne faut pas vouloir travestir la réalité : la croissance française du quatrième trimestre et plus globalement de 2010 est décevante. Et ce d’autant qu’avec un niveau de 1,5 % l’an passé, la progression annualisée du PIB hexagonal demeure largement inférieure à celle de l’Allemagne (en l’occurrence 3,6 %).

L’évolution des glissements annuels est encore plus éloquente, puisque celui du PIB allemand a continué d’augmenter pour atteindre 4 % au quatrième trimestre, tandis que celui du PIB français a déjà repris le chemin de la baisse, passant de 1,7 % au troisième trimestre à désormais 1,5 %.

Certes, les écarts qui séparent les PIB allemand et français de leur niveau d’avant crise (c’est-à-dire celui du premier trimestre 2008) sont presque équivalents : respectivement 1,4 % et 1,6 %. Néanmoins, le résultat allemand a été obtenu en réduisant les dépenses et les déficits publics alors que celui de la France a été réalisé en aggravant les comptes publics.

L’Allemagne creuse l’écart…

Sources : INSEE, Bundesbank et Datastream

De plus, la croissance française doit, une fois encore, son salut à la consommation des ménages, qui a progressé de 1,6 % en 2010, en particulier grâce au prolongement de la prime à la casse. En revanche, après avoir déjà chuté de 7,9 % en 2009, l’investissement des entreprises a encore reculé de 1,4 % en 2010. En dépit d’un léger rebond au cours des trois derniers trimestres, cet agrégat déterminant de l’économie affiche encore un repli de 10,3 % par rapport à son précédent sommet du premier trimestre 2008. En d’autres termes, le cercle vertueux de croissance investissement-emploi-consommation, déjà en marche outre-Rhin, est toujours très loin d’être activé dans l’Hexagone.

Bien entendu, compte tenu de l’ampleur du désinvestissement passé, les entreprises françaises vont forcément reprendre le chemin d’un investissement plus soutenu en 2011. Cependant, cette évolution concernera surtout un effort de remplacement des équipements devenus obsolètes, sans générer une dynamique vigoureuse et durable.

Dans ce cadre, après une croissance annuelle moyenne de 1,6 % de 2001 à 2008, puis une récession historique en 2009 et enfin une reprise faible en 2010, l’économie française restera abonnée à la mollesse en 2011. Et ce d’autant qu’elle démarre cette année avec un acquis de croissance de seulement 0,5 %, c’est-à-dire 0,1 point de moins qu’au début 2010. En outre, avec la fin de la prime à la casse et la remontée des taux d’intérêt, la consommation et l’investissement logement des ménages risquent de souffrir cette année.

Les seules lueurs d’espoir résident dans la probable baisse de l’euro et dans le mouvement de réinvestissement évoqué plus haut qui devraient permettre au PIB français de croître d’environ 1,8 % en 2011. Cette prévision demeure néanmoins très fragile car déjà menacée par la future augmentation de la pression fiscale et par un climat social de plus en plus pesant, sans oublier l’entrée en phase pré-électorale et l’attentisme qu’elle va générer. En conclusion, la France et plus globalement la zone euro vont certainement connaître quelques mois de répit avant une fin 2011 et surtout une année 2012 de tous les dangers.

 

Marc Touati



La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés:

Les statistiques américaines continuent de souffler le chaud et le froid sur les marchés

Si les statistiques américaines publiées cette semaine sont pour la plupart inférieures aux attentes du consensus, elles ne remettent nullement en cause la dynamique qui s’instaure outre-Atlantique. En effet; la relative contre-performance de cette semaine statistique s’explique essentiellement par les mauvaises conditions climatiques qui ont touché les Etats-Unis en janvier et affecté de nombreux secteurs d’activité.

 

A commencer par la production industrielle, qui, après avoir progressé de 1,2 % en décembre, a décliné de 0,1% en janvier alors que le consensus attendait une petite hausse de 0,5 %. Faisant suite à une progression de 4,1 % en décembre, la baisse de 1,6 % de la production dans le secteur public est particulièrement significative de l’impact négatif des intempéries climatiques. Il en va de même pour la production dans le secteur de la construction qui a régressé de 0,2 % sur la même période.

 

En revanche, la production de machines progresse de 1,3 %, le secteur électronique & informatique est en hausse de 0,9 % tout comme celui des équipements de bureaux. Enfin, le secteur défense & aéronautique affiche quant à lui une croissance de 1,2 % en janvier.

 

Par ailleurs, si le taux d’utilisation des capacités de production décline légèrement à 76,1 % après 76,2 % en décembre, il n’y a pas de quoi s’alarmer puisqu’il s’agit du premier recul depuis juin 2009.

 

La production industrielle américaine reste solide.