Matières premières, emploi US, euro/dollar : que de volatilité ! (E&S n°158)

 

Humeur :

Flambée des matières premières : inéluctable, mais contrôlable.

C’est reparti ! A l’image du baril de pétrole, qui a dépassé la barre fatidique des 100 dollars dans le sillage des émeutes en Egypte, les matières premières semblent de nouveau vouées à une flambée incontrôlable en 2011. C’est du moins ce qu’annoncent les « experts » -ès pétrole et « commodities » en tous genres. Les mêmes qui prédisaient d’ailleurs en 2008, lorsque le baril flirtait avec les 150 dollars, que ce dernier atteindrait de façon imminente les 250 dollars. En d’autres termes, de la même façon que les agences de notation accordaient un AAA aux dettes subprimes titrisées, il ne faut pas accorder trop de crédit aux anticipations de certains experts qui ne font souvent qu’extrapoler le passé récent.

Certes, il ne faut pas non plus se voiler la face : l’augmentation des cours des matières premières est inévitable et même logique. En effet, à l’inverse de la situation extrêmement spéculative du printemps-été 2008, qui consacrait une flambée du pétrole et autres « commodities » en dépit d’une récession mondiale, la récente inflation des matières premières est justifiée par une croissance mondiale d’environ 5 % en 2010 et qui devrait avoisiner les 4 % en 2011. Or, avec une croissance annuelle du PIB planétaire de 4 %, l’indice CRB (qui synthétise les cours de l’ensemble des matières premières pondéré par le poids de ces dernières dans la consommation mondiale) croît normalement de 10 % en moyenne sur une année.

Parallèlement, la population mondiale augmentera tendanciellement d’environ 1 % par an au cours des deux prochaines décennies. Elle devrait ainsi atteindre 9 milliards d’habitants d’ici 2030. Dans le même temps, le niveau de vie de plus en plus de personnes progresse à travers le monde. On estime par exemple que le nombre de Chinois vivant correctement (c’est-à-dire selon des standards occidentaux) dépasse actuellement les 350 millions, contre 100 millions il y a tout juste dix ans et ils seront au moins 600 millions dans dix ans. Dans ce cadre, les habitudes de consommation changent et réclament de plus en plus de matières premières alimentaires et énergétiques : plus de viandes, plus de blé, plus de pétrole…

Autrement dit, il ne faut pas être grand clair pour comprendre que, sauf en cas de guerre nucléaire ou de pandémie planétaire, la demande mondiale de « commodities » va continuer de croître significativement dans les prochaines années. Dès lors, dans la mesure où celles-ci sont physiquement limitées, il est inévitable que leurs prix continueront de progresser. La question porte donc simplement sur l’ampleur de cette progression. Car, face à cette réalité objective, la spéculation s’est évidemment engouffrée dans la brèche. En effet, n’oublions pas que la spéculation « ne tombe pas du ciel ». Elle connaît toujours un mobile objectif. Le seul problème réside dans le fait qu’une fois ce mobile trouvé et reconnu par tous, elle devient incontrôlable.

A la rigueur, lorsque cette spéculation concerne l’or ou les pierres précieuses, l’économie mondiale peut le supporter. En revanche, lorsqu’elle touche au pétrole, au cuivre et surtout aux biens alimentaires, ses conséquences économiques et sociales peuvent devenir dramatiques. Ainsi, lorsque le cours du baril augmente de 10 % sur une année, cela enlève 0,4 point à la croissance mondiale. Autrement dit, si le baril explose à 150 dollars en moyenne sur 2011, l’économie planétaire replongera dans la récession en 2012. De même, si les cours des biens alimentaires continuent de flamber, la malnutrition, voire la famine, s’imposeront dans de plus en plus de parties du monde émergent, générant des émeutes sociales qu’il sera de plus en plus difficile de contrôler et qui pourront, à leur tour, aggraver la récession mondiale. D’où une nouvelle dégradation des conditions sociales et le cercle pernicieux continuera…

En conséquence, il est urgent de limiter la flambée des cours des matières premières. Pour ce faire, il serait illusoire d’imposer une taxe sur les transactions financières. Comme nous l’évoquions la semaine dernière dans cette même chronique, cela serait contre-productif. Selon nous, la limitation de l’inflation des matières premières doit passer par 2 axes principaux. Le premier consiste à agir directement sur les marchés, en interdisant les ventes à découvert et en limitant l’accès de ces marchés à ses seuls acteurs physiques. En d’autres termes, les fonds d’investissement traditionnels et les hedge funds n’ont rien à y faire et devraient plutôt revenir sur leur « habitat préféré », en l’occurrence les marchés actions et le financement de l’économie.

Mais au-delà de cet ajustement technique, le véritable moyen de freiner la flambée des cours des matières premières est ailleurs. Il réside dans la capacité à innover et à engager le monde dans une double révolution technologique : celle des NTE (Nouvelles Technologies de l’Energie) et celle des NTA (Nouvelles Technologies de l’Agro-alimentaire). Cette double mutation permettra tout d’abord d’optimiser les ressources naturelles et d’accompagner le développement de la planète en réduisant les risques de pénuries. Ensuite, elle assurera une période durable de croissance forte, créatrice d’emplois et de revenus. Enfin, elle se traduira aussi par une réduction des tensions sociales et par un monde moins belliqueux.

Cette réussite à venir réclame néanmoins deux conditions sine qua non. D’une part, de plus grands moyens de recherche-développement dont les applications auront des effets concrets dans la vie quotidienne. Car, comme le disait déjà le Général De Gaulle : « des chercheurs qui cherchent, on en trouve, des chercheurs qui trouvent on en cherche… » D’autre part, elle doit également s’accompagner d’une forte mobilité sectorielle de la main-d’œuvre, à même de mettre en place une « destruction créatrice ». Celle-ci permettra de compenser les destructions d’emplois dans les anciens secteurs d’activité par des créations massives de postes dans les nouveaux.

A l’heure où la planète s’inquiète des tensions géopolitiques et des bruits de bottes ici et là, il serait temps de créer enfin un monde de croissance forte, avec une moindre dépendance au pétrole et sans flambée excessive des denrées alimentaires. Il ne s’agit pas d’un rêve, mais d’une nécessité.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis : la neige refroidit l’emploi.


La publication du rapport sur l’emploi du mois de janvier outre-Atlantique est particulièrement décevante. En effet alors que le consensus s’attendait à ce que la job machine américaine passe à la vitesse supérieure en créant 147 000 emplois, cette dernière n’en a généré que 36 000 en janvier. Petite consolation le chiffre du mois de décembre à été légèrement révisé à la hausse à 121 000 contre 103 000 portant à 421 000 le nombre d’emplois nets créés depuis octobre 2010.

 

Cette déconvenue s’explique essentiellement par les mauvaises conditions climatiques qui ont sévit outre-Atlantique en janvier. En effet la l’abondance de neige a empêché 886 000 travailleurs américains de se rendre sur leur lieu de travail contre une moyenne de 417 000 en tant normal sur cette période.

 

Principalement touché par le mauvais climat le secteur de la construction qui avait détruit 17 000 emplois en décembre, en a supprimé prêt du double en janvier avec 32 000 destructions. Par ailleurs une majorité de secteurs subit un net ralentissement. A commencer par le secteur privé qui en dépit d’une enquête ADP satisfaisante (+187 000) ne confirme pas l’essai puisqu’il n’a généré que 50 000 emplois en janvier contre 139 000 en décembre. De même le secteur des services n’a créé que 32 000 emplois contre 146 000 en décembre. Enfin, les services aux entreprises ont affiché 31 000 créations d’emplois contre 54 000 le mois précédent.

 

En revanche l’industrie manufacturière réalise une belle performance en générant 49 000 emplois nouveaux alors que le consensus n’en prévoyait que 10 000. Pour finir, le secteur du commerce de détail à créé 28 000 postes en janvier contre 3 000 en décembre confirmant que la consommation des ménages continuera à soutenir significativement la croissance outre-Atlantique.

 

Les créations d’emploi ralentissent dans les services mais accélèrent dans l’industrie.

 

Sources : BLS, Datastream

La très bonne nouvelle du mois de janvier concerne le taux de chômage. En effet alors que le consensus attendait une petite hausse à 9,5 % du taux de chômage, ce dernier, qui avait baissé significativement en décembre à 9,4 %, est tombé à 9 % en janvier soit un plus bas depuis avril 2009. Nous sommes donc bien loin de la jobless recovery annoncée par beaucoup.

 

Le taux de chômage au plus bas depuis avril 2009

 

Sources : BLS, Datastream

 

Par ailleurs le glissement annuel de l’emploi affiche une nouvelle hausse à +0,76 % en janvier contre +0,70 % en décembre. Mieux, les bonnes performances des indices «emploi» des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière et dans les services en janvier, nous indiquent que la tendance devrait s’intensifier dans les prochains mois.

 

Les indices ISM «emploi» confirment que la reprise de l’emploi va s’intensifier.

 

Sources : ISM, Datastream

 

La poursuite de la hausse du pouvoir d’achat outre-Atlantique constitue une autre source de réjouissance. Ainsi après avoir progressé en décembre, les salaires ont augmenté en janvier (+0,4 % pour le salaire horaire moyen et +0,1 % pour le salaire hebdomadaire moyen) portant leurs glissements annuels à des niveaux respectifs de +1,9% et +2,5 %.

Par ailleurs, le nombre d’heures travaillées qui s’était stabilisé à 34,3 en décembre a légèrement régressé à 34,2 en janvier.

 

Enfin il faut souligner que l’emploi pourra compter sur la reprise qui s’intensifie outre-Atlantique. En effet, bénéficiant d’un acquis de croissance de 1 % pour 2011, le PIB américain qui devrait croître d’au moins 3,2 % cette année constituera un puissant moteur pour la job machine américaine.

 

Si le climat à malheureusement joué contre l’emploi en janvier cela ne remet bien sur pas en cause notre scénario. En effet alors que le cercle vertueux investissement-emploi-consommation s’intensifie outre-Atlantique, le taux de chômage américain devrait descendre sous la barre des 9 % d’ici le printemps 2011, ouvrant ainsi la porte à une possible hausse du taux objectif des federal funds.

 

 

 

 

 

Jérôme Boué



La météo économique de la semaine écoulée :


Les Marchés:

Euro/Dollar : le yoyo continue.


Depuis trois ans et demi, l’euro/dollar n’a cessé de jouer aux montagnes russes. Dans le sillage du resserrement monétaire de la BCE, il flambe ainsi à 1,60 dollar début juillet 2008. Face à la crise mondiale et à l’écroulement de la croissance eurolandaise, il s’écroule ensuite, pour atteindre 1,25 dollar en novembre 2009, avant de sursauter à 1,45 en décembre lorsque la Fed abaisse son taux des federal funds à 0,25 %, pour finalement repartir à 1,25 en février 2010 devant la gravité de la récession eurolandaise.

Malheureusement, à partir du printemps, le refus de la BCE de baisser son taux refi sous les 1 % va de nouveau relancer l’euro à la hausse, qui finira par se stabiliser autour des 1,50 en octobre-novembre. La crise grecque et, plus globalement, celle de la dette publique eurolandaise vont alors sonner le glas de cette appréciation excessive, ramenant la devise européenne à un niveau économiquement justifié de 1,20 dollar en juin 2010. Mais, cette accalmie ne va pas durer longtemps, puisque les craintes infondées d’une rechute de l’économie américaine vont encore apprécier l’euro à 1,40 dollar en octobre-novembre.

 

Depuis 2008, l’euro/dollar fluctue, mais de moins en moins haut…

Source : Datastream

A ce stade, il faut d’ailleurs noter que les phases d’appréciation de l’euro/dollar s’avèrent de moins en moins extrêmes : 1,60 dollar en juillet 2008, 1,50 à l’automne 2009 et 1,40 un an plus tard.

Le dernier mouvement de yoyo de l’euro/dollar semble confirmer ce sentiment. En effet, après avoir logiquement baissé à 1,30 dollar entre fin novembre et début janvier derniers, l’euro est reparti à la hausse, dans le sillage d’une nouvelle crainte de resserrement monétaire prématuré de la BCE.