PIB, inflation, taux d’intérêt : la hausse tranquille. (E&S n°155)

 

Humeur :

2011 : l’année des bonnes surprises ?

Après une année 2010 de reprise mondiale à plusieurs vitesses, tous les espoirs, mais aussi tous les doutes, se portent sur 2011. Cette nouvelle année va-t-elle se traduire par une homogénéisation de la croissance internationale, par une rechute de certains pays, par un retour massif de l’inflation ou encore par la poursuite de la crise de la dette publique ? Autant de questions auxquelles nous devons apporter nos réponses. Comme tous les ans, ces dernières ne seront pas le fruit du consensus, ni de la pensée unique et encore moins de la spéculation. Non, nos prévisions resteront construites sur la base des fondamentaux économiques et dans la plus grande objectivité possible.

Pour commencer, nous estimons ainsi que la croissance mondiale devrait continuer sur sa lancée et se stabiliser autour du niveau déjà atteint en 2010, à savoir 4 %. Comme l’an passé, voire comme cela s’observe depuis une dizaine d’années, la locomotive de cette dynamique sera la Chine, dont le PIB devrait encore croître d’environ 9,5 %. Plus globalement et en dépit d’un inévitable ralentissement après la forte vigueur de l’an passé, le monde « émergent » demeurera une terre de croissance forte, avec des performances de 6 % pour l’Inde, 5 % pour la Russie et 4 % pour le Brésil, soit un à deux points de moins qu’en 2010. Cette légère décélération sera néanmoins salutaire dans la mesure où elle permettra à la fois de réduire les pressions inflationnistes et de limiter l’augmentation du cours des matières premières. De la sorte, le prix du baril devrait se stabiliser autour des 95 dollars et l’indice CRB de l’ensemble des matières premières devrait croître d’environ 10 % en moyenne sur l’année.

Cette modération sera d’autant plus justifiée que 2011 devrait rimer avec hausse des indices boursiers et remontée du dollar. En effet, grâce à une croissance mondiale de 4 % et à des résultats des entreprises toujours très favorables, les grands indices boursiers devraient progresser d’environ 15 % cette année. Grâce à la poursuite de l’embellie boursière (débutée dès mars 2009), les investisseurs institutionnels pourront donc revenir sur les marchés actions et réduire leur appétence spéculative sur les marchés des matières premières. Et ce, d’autant que le dollar devrait s’apprécier nettement au cours des prochains trimestres.

Cette appréciation sera notamment alimentée par la réalisation d’une croissance américaine d’au moins 3 % cette année et surtout par la baisse du taux de chômage sous les 9 % d’ici l’été prochain et vers les 8 % dans un an. Dans ce cadre, la Réserve fédérale américaine n’hésitera plus à arrêter la planche à billets, puis à remonter progressivement son taux objectif des federal funds, qui avoisinera les 1,5 % d’ici le début 2012. Même s’il sera modéré, ce resserrement monétaire permettra d’entériner définitivement l’appréciation du dollar, tant vis-à-vis du yen que de l’euro. Nous anticipons ainsi que, d’ici la fin 2011, l’euro reviendra vers les 1,20 dollar et qu’il faudra environ 100 yen pour obtenir un dollar.

Face à cet apaisement américain dans la guerre des monnaies, les Chinois n’auront alors d’autre choix que d’apprécier également le yuan, de manière évidemment progressive et modérée, ce qui se traduira par un cours d’environ 6 yuans pour un dollar, contre près de 6,60 actuellement. Comparativement à son niveau de la parité des pouvoirs d’achat (en l’occurrence 3,5 yuans pour un dollar), la devise chinoise restera donc toujours sous-évaluée, mais sa tendance haussière se prolongera doucement, mais sûrement, réduisant par là même les pressions inflationnistes tant en Chine qu’à travers la planète. Un cercle monétaire vertueux pourrait alors s’enclencher, via la poursuite de la normalisation du dollar vis-à-vis des autres devises.

Ce retour des changes vers des niveaux plus en phase avec la réalité économique sera l’une des clés principales de 2011. Non seulement parce qu’il permettra de consolider la croissance mondiale autour des 4 %, mais aussi parce qu’il favorisera une plus grande homogénéité de cette dernière, notamment grâce à l’amélioration de la conjoncture dans la zone euro et au Japon. Ainsi, après avoir été les lanternes rouges de la marche des affaires internationale depuis dix ans, ces deux parents pauvres retrouveront progressivement des couleurs. Cette amélioration est particulièrement indispensable dans la zone euro, puisqu’à l’exception de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg, aucun pays de l’UEM ne présente une croissance économique en valeur (c’est-à-dire augmentée de l’inflation) supérieure à la charge d’intérêts de la dette publique. Et ce, pour la quatrième année consécutive. Pour sortir de cette bulle, ces pays devront donc retrouver une croissance plus forte. Or, à court terme, le seul moyen d’y parvenir réside dans la baisse de l’euro, qui permettra à la fois d’améliorer la progression du PIB et d’accroître légèrement l’inflation. Avec un euro à 1,20 dollar, la croissance eurolandaise pourra ainsi atteindre 2,2 % (2 % en France). En y ajoutant une inflation d’environ 1,5 %, la croissance en valeur avoisinera les 3,7 %, soit 0,5 point de mieux que la charge d’intérêts de la dette. Les pays de la zone euro pourront alors sortir de la crise de la dette publique, assainissant par là même l’ensemble de la sphère bancaire et financière internationale.

Si un tel scénario se réalise, 2011 pourrait donc bien devenir celle des bonnes surprises. Malheureusement, des risques pèsent également sur l’année en cours. Au-delà des traditionnels risques géopolitiques par définition non-maîtrisables, le risque économique majeur réside dans un resserrement hâtif et excessif de la politique monétaire eurolandaise. Dans ce cas de figure désagréable, la baisse de l’euro serait freinée, voire inversée, ce qui réduirait la croissance eurolandaise et empêcherait cette dernière de dépasser la charge d’intérêts de la dette publique. La crise de cette dernière enflerait de nouveau, cassant le peu d’optimisme et de reprise qui tentent de s’installer depuis quelques mois. Le secteur bancaire en pâtirait, entraînant la bourse, puis la croissance mondiale dans son sillage… En d’autres termes, la frontière entre une année 2011 de réconfort et le retour de la crise est bien mince. Espérons simplement que les dirigeants politiques et monétaires de la planète, et en particulier ceux de la zone euro, sauront faire les bons choix.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Un peu d’inflation ne fera pas de mal.


« Au secours, l’inflation revient ! ». Tel est certainement l’une des phrases que vont lancer de nombreux analystes bercés par les sirènes du monétarisme. En effet, après l’augmentation de l’inflation de la zone euro à 2,2 % en décembre, c’est au tour de la France et, dans une moindre mesure, des Etats-Unis, d’afficher une nette augmentation des prix.

Ainsi, dans l’Hexagone, les prix à la consommation ont augmenté de 0,5 % sur le seul mois de décembre et de 1,8 % en glissement annuel. Pourtant, même si l’augmentation de l’inflation est un fait, elle ne doit surtout pas être dramatisée.

Et pour cause : l’essentiel de cette progression s’explique par des facteurs exogènes et non-extrapolables. Il s’agit notamment de la nouvelle flambée de 1,9 % des prix énergétiques en décembre, liée directement à la hausse de 3,2 % des prix pétroliers. Ces évolutions mensuelles se traduisent par des glissements annuels de respectivement + 12,5 % et + 16,5 %. Parallèlement, la remontée des prix de décembre a également été poussée par des facteurs saisonniers, tels que l’accroissement des prix dans les secteurs du tourisme (+20,1 % pour les voyages touristiques) et l’augmentation de 0,7 % des prix dans les transports et les télécommunications.

A l’inverse, en dépit d’une hausse mensuelle de 0,2 %, les prix des produits manufacturés continuent de subir une déflation, affichant un glissement annuel de – 0,2 %. De quoi rappeler que la fragilité de la consommation reste bien présente et limite de facto l’augmentation des prix.

Prolongeant cette analyse, il faut également noter que l’inflation sous-jacente (c’est-à-dire hors éléments volatils et notamment hors énergie et produits alimentaires) reste des plus faibles, avec un niveau annuel de seulement 0,7 %.

Inflation française : ne dramatisons pas !

 

Sources : INSEE et Datastream

Il est donc urgent de calmer les ardeurs des monétaristes, en particulier à la Banque Centrale Européenne. Il s’agit d’ailleurs là d’un des principaux risques du début 2011. Car si, par excès d’orthodoxie, la BCE « s’amuse » à augmenter trop rapidement ses taux directeurs, le peu de reprise économique que connaissent la zone euro et la France depuis environ un an risque de partir en fumée.

Soyons clairs : un peu d’inflation n’a jamais tué personne. Bien au contraire, une inflation comprise entre 2 et 3 % est normale en phase de reprise et peut même dynamiser la consommation, donc la croissance, puis l’emploi. Inversement, si on lutte excessivement contre une inflation limitée, en augmentant inopinément les taux d’intérêt de la BCE, le coût du crédit et l’euro/dollar s’apprécieront, réduisant à néant les chances de la zone euro et de la France de retrouver une croissance proche de 2 % en 2011.

Aux Etats-Unis, l’augmentation des prix est également au rendez-vous.

Ainsi, après avoir augmenté d’un petit 0,1 % en novembre les prix à la consommation ont progressé de 0,5% en décembre. Cette hausse essentiellement due à l’augmentation des prix énergétiques s’est traduite par un glissement annuel de 1,5 % en décembre contre 1,1 % en novembre confirmant le petit regain d’inflation outre-Atlantique. Parallèlement l’inflation sous jacente qui avait atteint un plus bas historique en octobre à +0,6 % pour remonter à +0,8 % en novembre, s’est stabilisée à ce niveau en décembre. En d’autres termes, hors énergie et alimentation, l’inflation demeure très faible aux Etats-Unis.

L’inflation reste sous contrôle outre-Atlantique.

 

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream

Comme en 2010 l’inflation restera largement sous contrôle des deux côtés de l’atlantique puisqu’en moyenne annuelle, cette dernière restera proche des 2 % aux États-Unis et dans la zone euro. Pas de quoi s’affoler…

 

Marc Touati et Jérôme Boué



La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés:

Vers une hausse généralisée des taux directeurs en 2011.


Si de nombreux doutes persistent encore sur l’année 2011 (cf. notre Humeur de la semaine), une évolution de plus en plus en évidente se fait jour : 2011 sera une année de resserrement monétaire des deux côtés de l’Atlantique.

En effet, après plus de plus de trois ans d’assouplissement et deux ans de taux directeurs historiquement bas, la Réserve fédérale américaine ne peut plus continuer sur cette voie. Et ce non par excès d’orthodoxie monétariste, mais tout simplement parce que l’état de la croissance, du marché du travail et de l’inflation aux Etats-Unis ne peut plus justifier des taux des federal funds compris entre 0 et 0,25 %. Certes, la progression du PIB américain n’est pas euphorique. Néanmoins, avec un niveau de 3 % en 2010 et d’au moins autant cette année, l’Oncle Sam est désormais très loin de la récession. Mieux, la reprise de l’investissement des entreprises et celle de la consommation sont à présent installées sur des rails solides et devraient permettre d’engager durablement le cercle vertueux investissement-emploi-pouvoir d’achat.

Avec une croissance économique durablement supérieure à 3 %, la Fed ne peut plus pratiquer des taux zéro.

Sources : BEA, Datastream

Dès lors, si le taux de chômage reste encore élevé à 9,4 %, sa tendance baissière devrait se prolonger et surtout s’accentuer dans les prochains mois. Selon nos estimations, celui-ci passerait sous les 9 % d’ici l’été prochain et se rapprocherait des 8 % en fin d’année.

Cette amélioration confirmée du marché du travail fera alors sauter le dernier verrou qui empêche la Fed d’arrêter sa politique monétaire excessivement accommodante.

Parallèlement, même si une flambée inflationniste paraît peu probable, l’inflation se tendra progressivement vers les 2 % d’ici l’été et les 2,5 % en fin d’année.

 


Même limitée, la remontée de l’inflation imposera à la Fed d’agir.

Sources : ISM, BEA, Datastream

Dans ce cadre, nous anticipons un taux objectif des federal funds de 1 % d’ici la fin de l’été et de 1,5 % dans un an. Il restera donc toujours inférieur au taux Taylor (c’est-à-dire le taux optimal de la politique monétaire en fonction de la croissance et de l’inflation), qui avoisine les 2 % pour 2011.

Face à ce resserrement monétaire américain, il est clair que la BCE ne restera pas indifférente. Et ce d’autant que, comme l’ont montré les déclarations de Jean-Claude Trichet jeudi dernier, la BCE estime que les risques inflationnistes pourraient fortement augmenter dans les prochains mois. Le message est donc clair : pour sa dernière année à la tête de l’Institut de Francfort, le Président de la BCE ne changera pas son fusil d’épaule. Au contraire, il cherchera certainement à partir en beauté en augmentant le taux refi à 1,5 % d’ici la fin de l’été.

La BCE n’attendra pas le retour de la croissance forte pour agir.

Sources : BCE, Bloomberg


Cependant, en matière de valorisation de l’euro/dollar, le plus important réside dans le timing de ce resserrement. En effet, si la BCE laisse la Fed tirer en premier, le dollar reprendra suffisamment de couleurs pour se maintenir autour des 1,20 dollar jusqu’à la fin 2011. A l’inverse, si la BCE ouvre le bal de la hausse des taux, l’euro repartira à la hausse, réduisant par là même la croissance eurolandaise et finissant tout de même par peser à la baisse sur l’euro/dollar.