Et si l’Allemagne sortait de la zone euro ?

 

A force d’imaginer que la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, voire la France pourraient sortir de la zone euro, on a fini par oublier que le pays le plus enclin à claquer la porte de cette dernière pourrait bien être l’Allemagne. Les récentes déclarations des dirigeants allemands ont d’ailleurs de quoi inquiéter. Ainsi, que ce soit les Ministres de l’économie, des Finances ou encore Angela Merkel en personne, tous ne cessent de souligner que la zone euro est bien en crise existentielle, tout en s’interrogeant sur la place de l’Allemagne dans l’Union Economique et Monétaire (UEM).

Pis, ces questions et ces inquiétudes ne sont pas le simple fait des dirigeants politiques, mais elles s’imposent de plus en plus au sein de la population. Un dernier sondage indique même que 57 % des Allemands pensent qu’ils auraient dû conserver le mark. Tout un programme !

Certes, les Allemands oublient un peu trop vite que la zone euro a aussi été une chance pour eux. En effet, elle leur a permis de figer leur monnaie vis-à-vis de celle de leurs principaux partenaires européens, évitant par là même de pâtir d’un taux de change trop élevé. En d’autres termes, il est clair que si l’euro n’existait pas, le deutsche mark se serait fortement apprécié face aux autres devises européennes, pénalisant les exportations et favorisant les importations. A l’inverse, l’Allemagne a aujourd’hui la chance de disposer d’un marché colossal et presque captif, avec un taux de change élevé.

Si cet argument est imparable et montre que l’Allemagne n’aurait pas forcément intérêt à sortir de la zone euro, il doit néanmoins être relativisé. En effet, ce qui permet aux entreprises allemandes d’exporter réside principalement dans la qualité et la technicité de leurs produits. Ainsi, avec un deutsche mark fort, elles auraient tout de même pu continuer à exporter fortement. En outre, n’oublions pas qu’à l’inverse de la majorité de ses partenaires européens, l’Allemagne a su diversifier la destination de ses exportations et miser très vite sur les pays émergents en forte croissance. C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle, les exportations allemandes restent dynamiques en dépit d’un euro trop fort.

Mais, au-delà de ces bons choix stratégiques (tant d’un point de vue sectoriel que géographique), les entreprises d’outre-Rhin bénéficient également d’une forte modernisation de leur économie. Celle-ci s’est notamment traduite par une réduction de l’impôt sur les sociétés (de 35 à 20 %), par un marché du travail plus flexible, par un amoindrissement du coût de la main-d’œuvre et, plus globalement, par une réduction des dépenses publiques. Après avoir avoisiné les 50 % du PIB il y a moins de dix ans, ces dernières n’en représentent plus que 46 % aujourd’hui, contre par exemple 56 % pour la France.

Et c’est sur ce point précis que les Allemands ont de quoi taper du poing sur la table. En effet, après avoir, eux aussi mais avant tout le monde, sombré dans une crise dramatique en 2001-2003, ils ont réussi à prendre le taureau par les cornes et à rompre avec l’atonie économique. Cela a pris dix ans, mais désormais, ils ont retrouvé le leadership de la croissance de la zone euro. Ayant relégué leurs complexes aux oubliettes, les Allemands souhaitent désormais reprendre également leur leadership politique et imposer leur vision du monde à l’ensemble de la zone euro.

Confirmant ce renouveau, le ministre des Finances Wolfgang Schauble n’a d’ailleurs pas hésité lundi dernier à lancer un message clair et cinglant à ses partenaires : « Faites donc comme nous ».

Et c’est bien là que le bât blesse. Car, si depuis l’après-guerre, les Allemands ont constamment avalé des couleuvres et volé au secours de leurs partenaires européens, aujourd’hui, ils ne semblent plus disposés à le faire aussi facilement. Ou du moins à une condition : que les pays eurolandais engagent les même réformes qu’ils ont réussi à mener depuis dix ans. Sinon, à l’image de son comportement à l’égard de la Grèce, voire, dans une moindre mesure, de l’Irlande, l’Allemagne retrouvera le pouvoir de dire « Nein ! ».

A la rigueur, tant que l’intransigeance allemande s’impose aux « petits pays », la zone euro n’est que faiblement menacée. En revanche, si les dissensions commencent à se développer entre l’Allemagne d’un côté, l’Italie et/ou la France de l’autre, l’issue risque d’être beaucoup moins favorable. C’est en cela que les prochaines échéances électorales italiennes et françaises seront déterminantes. Si les futurs dirigeants de ces deux pays réussissent à mener des réformes proches de celles engagées outre-Rhin, la zone euro sera définitivement sauvée. En revanche, si un mouvement inverse est décidé, il est clair que la grogne allemande ira crescendo.

Dans ce cadre, à force d’avoir répété « faites comme nous », sans être suivie, l’Allemagne pourrait tout simplement se retirer de la zone euro et revenir à sa proposition initiale d’une UEM limitée à des pays économiquement et socialement proches (en l’occurrence les Pays-Bas, l’Autriche et le Luxembourg). Une crise sans précédent s’imposerait alors aux autres pays européens. Certes, ces derniers bénéficieraient d’une devise plus faible et d’une inflation plus forte, voire d’une dette publique renégociée à la baisse. Cependant, la question reste de savoir si leur perte de crédibilité ainsi engagée pourrait être rapidement surmontée. Car si l’on sait lorsqu’une révolution commence, on sait rarement quand et surtout comment elle se termine…

Plus que jamais, l’Allemagne a donc bien les cartes du jeu européen entre ses mains. Espérons simplement que ses partenaires en seront conscients et sauront faire les bons choix dans les prochaines années…

Marc Touati