Bourses, Fed , inflation : restons calme (E&S n°144)

 

Humeur :

La Bourse, une valeur refuge ?


Or, matières premières, obligations d’Etat, immobilier français. A en croire de plus en plus d’analystes et de stratégiques, tel serait le carré magique des placements pour les prochains trimestres, voire les prochaines années.

Leur raisonnement est simple : compte tenu de l’incertitude et des risques qui pèsent sur la planète tant d’un point de vue économico-financier que géopolitique, il serait grand temps de se focaliser sur les valeurs refuges. La première d’entre elles serait la pierre, qui constituerait un placement de choix, en particulier en France et plus précisément à Paris où les prix restent encore relativement modérés comparativement aux grandes capitales mondiales. Ainsi, compte tenu de l’ampleur de la crise et des vicissitudes des marchés boursiers, de plus en plus d’investisseurs, notamment français, préfèrent se réfugier sur l’immobilier qui présente notamment l’avantage d’être concret, donc rassurant… Il faudra certainement rappeler cet argument à ceux qui ont acheté des biens immobiliers aux Etats-Unis de 2004 à 2007 ou en France au début des années 90…

Malheureusement, l’homme a souvent la mémoire courte et préfère suivre le consensus plutôt que de prendre des risques tout seul. Un comportement similaire s’observe d’ailleurs sur les marchés obligataires. En effet, en dépit de l’explosion des dettes publiques un peu partout à travers le monde développé, les investisseurs continuent de gonfler la part des obligations d’Etat dans leur portefeuille. Cette stratégie est d’autant plus étonnante que de plus en plus de pays, notamment en Europe, ne réussissent même plus à générer une croissance économique en valeur supérieure à la charge d’intérêts de leur dette publique. Cette situation s’observe même pour la troisième année consécutive dans de nombreux pays, comme par exemple en Grèce, en Espagne, en Italie, au Portugal et en France. Mais rien n’y fait : quand on ne veut voir la vie que dans un sens, il devient difficile de se raisonner.

Et cela est bien dommage, car, compte tenu du laxisme budgétaire prolongé et de la faible capacité de ces pays à moderniser leur économie (l’exemple actuel de la France avec la réforme des retraites en est la parfaite illustration), sans oublier le fort risque d’augmentation rapide du taux refi en 2011, la hausse des taux d’intérêt obligataires devient inévitable. Dès lors, les « adeptes » des « fonds euros » et les « adorateurs » des obligations du Trésor risquent de déchanter fortement dans les prochains mois.

Pour se consoler, ils pourront se dire qu’ils ne sont pas les seuls. Car, à côté du dégonflement de la bulle immobilière qui s’accélérera d’ailleurs forcément avec l’augmentation des taux d’intérêt obligataires, les cours des matières premières devraient aussi connaître de fortes secousses. Pourtant, à l’instar de la pierre et des obligations souveraines, les matières premières sont aujourd’hui sur un nuage… spéculatif. Certes, il est clair que la forte croissance des pays émergents alimente la demande de « commodities » et soutient par là même les cours de ces dernières.

Cependant, cette flambée apparaît excessive au regard des fondamentaux économiques. L’exemple du sucre est particulièrement illustratif : début 2010, tous les éminents spécialistes du sucre ou du moins présentés comme tels annoncent que les récoltes vont être mauvaises et qu’en dépit des sommets historiques atteints, les cours du sucre vont encore flamber. Malheureusement pour eux et surtout pour ceux qui les ont écoutés, ces récoltes ne sont pas si mauvaises que prévu, si bien que les cours se sont effondrés de 50 % en deux mois. Bien sûr, toutes les matières premières « ne sont pas en sucre ». Pour autant, leurs cours actuels appellent à la prudence. Selon nous, avec une croissance mondiale d’environ 4%, l’indice CRB des matières premières devrait croître d’environ 10 % cette année et l’an prochain. Dès que ce niveau est dépassé, il est donc conseillé d’éviter de spéculer à la hausse sur ces marchés. Sauf à aimer les montagnes russes et à accepter de perdre gros.

Enfin, au sommet des bulles actuelles se trouve évidemment l’or. Là aussi, tout semble militer pour la poursuite de l’appréciation du métal jaune : craintes géopolitiques, forte demande en provenance du monde émergent, risque de W… D’aucuns de rappeler les pics de 2 000 dollars l’once (à dollars d’aujourd’hui) atteints en 1980. Ceux-ci oublient simplement qu’à l’époque, la flambée de l’or était justifiée par le trio infernal : récession mondiale, krach boursier international et hyper-inflation. Aujourd’hui, il n’en est rien puisque la planète est plutôt mue par un trio bien plus favorable, en l’occurrence : une croissance mondiale de 4 %, des marchés boursiers résistants et une faible inflation. Or, lorsque ces trois évolutions se sont mises en place à partir de 1982, les cours de l’or se sont littéralement effondrés. Même si l’histoire ne se répète jamais à l’identique et si la demande d’or des pays émergents limitera la chute des cours, il est, là aussi, de notre devoir, de souligner le risque actuel de l’achat massif d’or.

En conclusion, les placements qui ont aujourd’hui le vent en poupe présentent tous les symptômes de la bulle, c’est-à-dire d’un décalage cumulatif et auto-entretenu par rapport à leur valeur réelle. Le seul qui en est pour le moment exclu reste les actions, en particulier dans l’Occident. En d’autres termes, qu’il s’agisse de l’immobilier dans l’Hexagone, des obligations d’Etat (en particulier en Europe), des matières premières et de l’or, la cherté est constamment au rendez-vous. A l’inverse, les seuls qui restent encore abordables, sont les marchés boursiers.

Dès lors, avec une croissance mondiale de plus de 4 %, des profits très appréciables, une inflation limitée, des taux monétaires durablement bas et le retour massif des fusions-acquisitions, les grands indices boursiers internationaux devraient aisément s’apprécier d’environ 20 % d’ici un an. Ce qui se traduira notamment par un Dow Jones à 13 000 points et un Cac 40 à 4 500. Aussi bizarre que cela puisse paraître et bien loin des discours consensuels habituels, les actions pourraient donc bien constituer la véritable valeur refuge. Avouons qu’il serait dommage de s’en priver.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis, Zone euro, France : une inflation trop faible.


La publication des indices des prix à la consommation pour le mois de septembre confirme que l’inflation reste contenue des deux côtés de l’Atlantique.

A commencer par les Etats-Unis où les prix à la consommation n’ont augmenté que de 0,1 % en septembre, maintenant leur glissement annuel à un niveau de 1,1 %, soit bien loin de l’hyper-inflation annoncée par beaucoup. Mieux encore, hors énergie et alimentation, après s’être stabilisé à 0,9 % depuis le mois de mai, le glissement annuel des prix a atteint sont plus bas niveau depuis 49 ans à 0,8 %. Il faut rappeler qu’à l’inverse de la BCE, en matière de stabilité des prix, la Fed se concentre essentiellement sur l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation).

 

Etats-Unis : l’inflation sous jacente au plus bas depuis 49 ans.

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream

Pour cette année l’inflation aux Etats-Unis devrait atteindre 2,4 % en moyenne annuelle soit un niveau tout à fait acceptable pour l’économie de l’oncle Sam.

Par ailleurs, dans la zone euro les prix à la consommation ont progressé de 0,2 % portant leur glissement annuel à 1,8 % en septembre contre 1,6 % en août. Hors produits volatils, l’inflation demeure stable à un niveau de 1 %. L’inflation eurolandaise reste donc largement sous contrôle et devrait atteindre un niveau de 1,8 % en moyenne annuelle cette année.

Parallèlement la déflation est toujours aux portes de la France. A l’heure où certains membres de la BCE n’hésitent pas à évoquer le retour en force de l’inflation dans la zone euro, l’évolution des prix à la consommation en France en septembre 2010 a de quoi calmer leurs ardeurs. En effet, après une légère remontée technique en août (liée à la fin des soldes), ceux-ci ont reculé de 0,1 % en septembre. Leur glissement annuel reste donc particulièrement faible à 1,6 %.

Pis, hors éléments volatils, les prix stagnent et leur glissement annuel se stabilise à 0,8 %. A l’évidence, nous sommes donc plus proche de la déflation que de la forte inflation. Et ce d’autant que le glissement annuel des prix des biens manufacturés est d’ores et déjà de 0 %, en dépit d’une augmentation mensuelle de 0,7 % en septembre (liée à la poursuite de l’effet correctif de la fin des soldes).

 

France : la déflation rode toujours.

Sources : INSEE, Datastream

Dans la mesure où les perspectives de prix demeurent largement contenues, en particulier grâce ou à cause de l’appréciation de l’euro, l’inflation française devrait ainsi avoisiner les 1,5 % en moyenne sur l’année 2010.

Cette faible inflation peut évidemment être perçue positivement dans la mesure où elle permet de garantir un certain pouvoir d’achat aux ménages.

Néanmoins, au-delà de cet avantage de court terme, elle constitue également un témoin de la faiblesse durable de la demande des consommateurs. Si bien qu’en dépit d’une augmentation régulière de leurs coûts, les entreprises et distributeurs ne peuvent pas répercuter cette dernière sur les prix. Dès lors, ils sont contraints de trouver d’autres moyens de réduire leurs frais et notamment sur le front de l’emploi.

Autrement dit, en plus de confirmer la fragilité de la consommation des ménages, cette inflation réduite indique que l’emploi va rester moribond dans l’Hexagone.

Il ne faut donc pas se tromper d’ennemi : le principal danger qui menace la France et la zone euro n’est absolument pas une résurgence de la forte inflation, mais une croissance et un emploi durablement mous. Dans ce cadre, si l’euro reste fort et/ou si la BCE monte trop rapidement ses taux directeurs, l’inflation s’affaiblira encore, déprimant davantage la croissance et l’emploi.

Ne l’oublions pas : une inflation comprise entre 2 et 3 % n’a jamais été nocive à l’économie, puisqu’elle permet au contraire de dynamiser la consommation, en incitant les ménages à ne pas différer leurs achats. A l’inverse, une inflation excessivement faible s’accompagne généralement d’une croissance et d’un emploi déprimé. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’observe en France et dans la zone euro depuis une dizaine d’années. Il est donc grand temps d’en sortir…

          Marc Touati et Jérôme Boué



La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


Les Marchés:

La Fed ne doit pas céder à la panique.


Comme toutes les banques centrales du monde, la Réserve fédérale américaine fait aussi régulièrement des erreurs. Et même si ces dernières sont moins nombreuses que celles de la BCE, elles génèrent des impacts bien plus conséquents. Parmi ces erreurs, on peut par exemple citer la trop forte remontée du taux objectif des federal funds au printemps 2000 (à 6,5 % précisément) qui a transformé le dégonflement de la bulle internet en un éclatement dévastateur.

A l’inverse, la Fed a excessivement abaissé ses taux directeurs en 2003-2004, consacrant un taux des fed funds de 1 %, alors que la croissance américaine dépassait déjà les 3 %. Ce laxisme a alors alimenté la bulle des subprimes, installant ainsi les prémices de la crise de 2007. Et ce d’autant que, début 2006, la Fed va, une nouvelle fois, aller trop loin en augmentant exagérément ses taux directeurs.

Enfin, même si le principal responsable de la faillite sauvage de Lehman Brothers reste l’ancien secrétaire d’Etat au Trésor Henri Paulson, on peut tout de même se demander si la Fed n’aurait pas dû être plus insistante de manière à éviter cet acte qui allait marquer le déclenchement de la plus grave crise financière depuis 1929.

Pour autant, après l’ensemble de ces erreurs, il faut reconnaître que la Réserve fédérale s’est bien rattrapée. Ainsi, qu’il s’agisse de sa forte réactivité en matière de baisse des taux directeurs, de sa gestion de la crise bancaire américaine post-Lehman ou encore de sa fameuse planche à billets, sans oublier des effets d’annonce appropriés, la Fed a quasiment fait un sans faute depuis octobre 2008.

Seulement voilà, chassez le naturel, il revient au galop. Ainsi, en dépit d’une croissance américaine qui se stabilise à 3 % et de taux longs exceptionnellement bas, la Fed semble sur le point d’aller encore trop loin, en se lançant dans une nouvelle phase de « quantitative easing ».

Bien entendu, il faut aussi souligner que la Fed doit remplir plusieurs objectifs et notamment celui du plein-emploi. Dès lors, dans la mesure où l’inflation demeure particulièrement faible et où le taux de chômage peine à baisser significativement, il est possible de comprendre la volonté de la Fed de tout faire pour susciter une diminution du chômage franche et pérenne.

Cependant, la question reste de savoir si un nouvel assouplissement de la politique monétaire américaine pourra produire de nouveaux effets sur la croissance et l’emploi outre-Atlantique. Selon nous, la réponse est négative. En effet, les Etats-Unis se situent déjà dans ce que l’on appelle une « trappe à liquidités ».

Cette dernière signifie simplement que toutes les cartouches actives de la politique monétaire ont été utilisées et que toute action supplémentaire ne reviendra qu’à augmenter la liquidité et l’épargne sans agir significativement sur la croissance. Et ce, principalement parce que cette dernière n’a plus besoin de liquidités supplémentaires, mais du retour de la confiance.

Il est d’ailleurs important de noter qu’avec une croissance de 3 %, une inflation comprise entre 1,5 % et 2 %, le taux optimal de la politique monétaire (dit « Taux Taylor) devrait être actuellement supérieure à 2 %. Autrement dit, la Fed en a déjà fait beaucoup, il serait bon qu’elle se calme…

La Fed doit rester calme