Le « passager clandestin », comme le terme l’indique, est celui qui bénéficie d’une situation favorable, sans avoir à payer le prix. Par exemple, une catégorie professionnelle obtient des avantages financiers, à la suite, d’une manifestation : ceux qui sont restés à la maison tireront le même parti de cette décision que ceux qui auront manifesté, sans en avoir les inconvénients (perte d’une journée de salaire, participation à la grève, etc.) : ce sont des « passagers clandestins ». De même, lorsqu’une entreprise en difficulté voit l’arrivée de fonds d’investissement spécialisés qui vont remettre la société à flot, en pratiquant une politique de réduction des coûts et en changeant le management, on peut considérer que les actionnaires individuels vont profiter de ce retour à meilleure fortune, sans avoir à effectuer le moindre effort : ils sont en quelque sorte des « passagers clandestins ».
Mais ce statut n’appartient pas uniquement aux particuliers. Certaines entités peuvent également en bénéficier. Ainsi, dans le secteur bancaire, le principe du « too big to fail » est une version spécifique de la théorie du « passager clandestin ». En effet, une grande banque pourra tirer parti d’opérations à risque qui en général procurent une plus grande rentabilité ; si le risque se matérialise, l’Etat interviendra et l’aidera pour éviter qu’elle fasse faillite et provoque une panique ou un risque « systémique ». L’illustration en a été donnée par les grandes banques américaines ou européennes qui ont été renflouées par les Etats, au moment de la crise des « subprimes ». « L’individualisation » des gains, tout en « socialisant » les pertes et une application concrète de la théorie du « passager clandestin », où les grandes banques sont « les clandestins » du système bancaire mondial.
En ce qui concerne l’Europe, la traduction de la théorie se vérifie aussi bien au niveau politique qu’au niveau économique. Dans la première catégorie, on fera figurer l’avantage pour les petits pays de l’Union de bénéficier du parapluie de
Ce dernier exemple nous permet de considérer le volet économique, où la théorie s’applique également. C ‘est lorsque l’Islande connait une débâcle bancaire (2008) qu’elle se met à courtiser l’Union Européenne susceptible de l’aider à passer ce cap difficile ! Mais la meilleure illustration économique de la théorie peut être trouvée dans la zone euro. Grâce à la monnaie commune et à l’institution qui la gère (BCE), certains petits pays ont pu profiter de taux d’intérêt extrêmement favorables : on pense bien sûr à
Bien que les fondamentaux (budget, ratio d’endettement) de ce pays se soient progressivement détériorés, l’accès au crédit est demeuré très favorable, les investisseurs étant rassurés par la garantie « implicite » donnée par l’ensemble de la zone euro. Et cela jusqu’à la crise du printemps dernier où le parapluie a soudain cessé d’apparaitre inamovible. Du coup,
La morale de l’histoire, si l’on peut dire, c’est que la théorie du « passager clandestin » met en valeur deux types d’acteurs : les bénéficiaires de la situation d’asymétrie et les victimes (qui paient pour les autres). L’histoire montre qu’à la longue les victimes tendent à se fatiguer d’être « exploitées » et se rebellent. A ce moment-là, les bénéficiaires se retrouvent en grand danger et doivent alors compter d’abord sur eux-mêmes.
Espérons que cette « morale » sera bien comprise des citoyens grecs, portugais, irlandais, etc.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président du Club Finance HEC