Or, Europe, Afrique : changements de cap… (E&S n°139)

 

Humeur :

It’s time for Africa.


Depuis quelques années, une nouvelle réalité mondiale semble s’imposer. La Chine et l’Asie sont devenues les leaders de la croissance mondiale, l’Amérique Latine est en pointe (notamment grâce au Brésil), les Etats-Unis s’accrochent à la première place du PIB planétaire et l’Europe traîne continuellement la patte depuis dix ans. Et l’Afrique dans tout ça ? En effet, habitués à se focaliser sur trois ou quatre continents, les économistes (nous y compris) font souvent l’impasse sur le continent africain. Les raisons sont multiples : manque de statistiques, donc difficulté pour établir des prévisions, faible visibilité en matière de relations économiques et financières, instabilité géopolitique…

Pourtant, en dépit (ou à cause ?) de ces difficultés chroniques, l’Afrique constitue le continent où le potentiel de croissance est certainement le plus fort, car non encore exploité. D’ailleurs, en 2009, c’est-à-dire en pleine crise et alors que la grande majorité des pays de la planète sombraient dans la récession, l’Afrique a été l’une des rares zones de la planète (avec notamment la Chine, l’Inde, l’Australie, le Moyen-Orient, Israël et quelques autres) à ne pas connaître de baisse annuelle de son PIB.

Bien au contraire, après avoir déjà atteint 5,2 % en 2008, la croissance africaine a frôlé les 2,3 % en 2009 et devrait avoisiner les 4,6 % en 2010, selon les prévisions très prudentes du FMI. Bien entendu, cette croissance n’est pas homogène et a notamment bénéficié aux pays disposant de ressources naturelles importantes et/ou réussissant à attirer des capitaux étrangers, notamment en provenance de Chine. Parmi, les champions de la croissance, on distingue ainsi le Nigéria (5,6 % en 2009 et 7 % en 2010), l’Ouganda (7,1 % et 6 %) ou encore la République du Congo (7,6 % et plus de 12 % cette année). Sur l’ensemble de l’Afrique, seuls une dizaine de pays ont subi une baisse de leur PIB en 2009 et notamment Madagascar (- 5 %), les Seychelles (-7,5 %) et l’Afrique du Sud (-1,8 %). Organisateur du Mondial de football, ce dernier a donc peu profité de ses efforts de construction, mais s’est néanmoins refait une santé en 2010 avec la réalisation presque parfaite de la compétition. Selon les plus optimistes, il se serait même produit un effet « coupe du monde » à l’échelle de l’ensemble de l’Afrique qui affiche désormais une image décomplexée et plus crédible.

D’ailleurs, pour 2010 et 2011, le FMI et la plupart des organismes de prévisions sur l’Afrique prévoient qu’aucun pays africain ne connaîtra une baisse de son PIB. Bien entendu, les mauvaises langues diront que, compte tenu du retard accumulé et de la faiblesse du PIB africain, il ne s’agit là que d’un effet de rattrapage. Certes, il faut reconnaître que le PIB de toute l’Afrique n’est que de 2 000 milliards de dollars cette année et que seuls trois pays africains (sur un total de 51) dépassent les 100 milliards de dollars (l’Algérie avec 156 milliards, le Nigéria avec 213 milliards et l’Afrique du Sud avec 329 milliards). A titre de comparaison, le PIB italien dépasse les 2 100 milliards de dollars (2 650 milliards de dollars pour le PIB français) et seuls cinq pays de la zone euro affichent des PIB inférieurs à 100 milliards de dollars (Malte, Chypre, la Slovénie, le Luxembourg et la République Tchèque).

De même, les PIB par habitant reste particulièrement faibles, avec un niveau de 2 400 dollars pour l’ensemble de l’Afrique en 2010, un plus haut de 11 860 dollars pour la Guinée Equatoriale et un plus bas de 172 dollars pour le Burundi, qui constitue également le plus faible PIB par habitant de la planète. Pis, sur les trente pays les plus pauvres du monde (selon ce critère de PIB par habitant), vint-cinq sont africains.

A titre d’information et juste pour se rendre compte de l’écart qui sépare les pays africains de ceux du reste du monde, il faut savoir que le PIB par habitant est d’environ 39 500 dollars dans la zone euro, 47 700 aux Etats-Unis et 107 500 au Luxembourg (estimations du FMI pour 2010). Rassurez-vous, nous ne sommes pas devenus alter-mondialistes du jour au lendemain, mais ces écarts rappellent simplement que, s’ils s’en donnent les moyens, les pays africains disposent d’une marge de croissance considérable.

Ce chemin vers la croissance a déjà été emprunté par la grande majorité des pays d’Asie, par ceux d’Amérique Latine, sans oublier l’Europe qui, il y a encore moins de cinquante ans, comportait également pas mal de pays en voie de développement. Cette accession à la réussite économique ne sera possible que si les pays africains mettent en œuvre une plus grande stabilité politique, des Etats de droit et s’ils favorisent la transparence de leurs systèmes économiques et financiers. Si tel est le cas, comme cela se produit d’ailleurs d’ores et déjà dans certains pays africains, la mondialisation apportera ses fruits.

Car, arrêtons de diaboliser le développement des échanges internationaux. Bien entendu, celui-ci n’est pas parfait et produit toutes sortes de scories et d’inégalités. Néanmoins, la mondialisation permet aussi des transferts de capitaux et de technologies qui sont les seuls capables de permettre la réalisation d’un « grand bon en avant » sur le chemin économique. Les Chinois, les Indiens, les Latino-Américains l’ont bien compris, c’est maintenant aux Africains de franchir le pas. Après avoir été longtemps présentés comme des pays sous-développés, trop dépendants du monde occidental, les pays émergents et notamment ceux d’Afrique sont donc en train de devenir des terres de croissance soutenue qui pourront demain tirer l’économie mondiale vers le haut.

Après l’Europe, l’Amérique, puis l’Asie, l’Afrique attend donc son heure. Il ne reste plus qu’à espérer que ses dirigeants sauront lui garantir un minimum de stabilité économique et sociale pour ne pas « rater le train ». En attendant, du côté de l’Occident et en particulier de la France, l’Afrique et l’ensemble du monde émergent doivent être considérés comme des terres de croissance en puissance, donc des marchés à prendre et par là même des créateurs de richesses et d’emplois. Les Chinois l’ont déjà bien intégré et mis à profit, il serait temps de nous réveiller.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

L’Allemagne tire vers le haut, la France vers le bas.


Il est bien loin le temps la zone euro disposait de deux locomotives permettant de soutenir la croissance eurolandaise à savoir le couple franco-allemand. En effet, alors que l’Allemagne est à la pointe, la France est à la traîne.

Les statistiques publiées cette semaine nous confirment d’ailleurs ce diagnostic. A commencer par les chiffres du commerce extérieur de juillet outre Rhin qui révèlent un excèdent commercial de 13,5 milliards d’euros.

Certes le surplus commercial allemand affiche une petite baisse par rapport au mois précédent mais il ne s’agit que d’un ralentissement logique. En effet, tiré par de solides exportations (+3.7 %), l’excédent commercial avait fait un bon de 4,4 milliards d’euros en juin pour atteindre 14,2 milliards. A l’inverse, une baisse de 1,5% des exportations et de 2,2 % des importations en juillet explique ce petit recul.

Il n’y a toutefois pas d’inquiétude à avoir puisque les exportations allemandes sont structurellement fortes. Très compétitives elles bénéficient d’une très bonne spécialisation sectorielle (50 % de biens d’équipement) et géographique (essentiellement vers les pays à forte croissance comme la Chine). De fait l’Allemagne souffre moins que ses partenaires européens de l’euro fort et le commerce extérieur soutiendra encore fortement la croissance cette année.

Par ailleurs, après avoir progressé de 1,7 % au premier trimestre et de 5,4 % au deuxième trimestre la production industrielle allemande affiche une petite hausse de 0,1 % en juillet portant le glissement à un niveau de 10,9 %.

Balances commerciales : l’Allemagne rit et la France pleure.

Source : Bloomberg

La France en revanche affiche un tout autre tableau. Ainsi, la balance commerciale révèle un creusement du déficit qui passe de 3,7 milliards en juin à 4,2 milliards d’euros en juillet. Alors que les exportations ralentissent fortement (+1,9 % en juillet contre +10,6 % en juin) les importations ont affiché une hausse de 3 % en juillet expliquant le dégradation du déficit commercial.


A l’inverse de l’Allemagne, la France dont le dernier excédent commercial remonte à mars 2004, a des exportations structurellement faibles. En effet ces dernières ont une mauvaise spécialisation sectorielle (seulement 20% de biens d’équipement) et géographique (majoritairement vers la zone euro qui connaît une croissance molle). De fait le commerce extérieur hexagonal souffre particulièrement de la vigueur de l’euro.

 

Par ailleurs en dépit de quelques sursauts, la production industrielle française reste fragile. Ainsi après avoir augmenté de 1,9 % en mai, et chuté de 1,7 % en juin, soit la plus forte baisse depuis mars 2009, cette dernière a affiché une petite hausse de 0,9 % en juillet portant son glissement annuel à un niveau +5,5 %.

 

La production industrielle française reste fragile.

Sources : INSEE, Datastream

 

Toutefois, la production manufacturière qui a progressé de 1,4 % en juillet retrouve temporairement quelques couleurs. Cette bonne performance s’explique principalement par la hausse de la production de matériels de transport (+3,4 %) et d’automobiles (+6,7 %) qui avaient respectivement chuté de 4,9 % et de 6,5 % en juin. En effet, les effets négatifs de la fin progressive de la prime à la casse ont désormais de moins en moins d’impact sur l’activité.

La production industrielle hexagonale qui est bien loin d’avoir rattrapé le retard accumulé pendant la crise devrait toutefois pouvoir bénéficier dans les prochains mois de la baisse de l’euro dont le niveau est actuellement fortement déconnecté des fondamentaux économiques.

Malheureusement la France et l’Allemagne ne jouent désormais plus dans la même cours. Ainsi alors que la croissance devrait atteindre 2,9 % outre-Rhin cette année, le PIB français n’affichera quant à lui q’une petite croissance de 1,6 %.

Jérôme Boué



La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

Les Marchés :

La folie de l’or dure.


Jamais deux sans trois. Après les obligations d’Etat (cf. notre Weekly du 27 août), le Yen et le Franc suisse (cf. notre Weekly du 3 septembre), nous continuons notre tour d’horizon international des bulles, avec, cette semaine : l’or.

A la différence de la bulle obligataire et de celle du franc suisse, celle de l’or n’est pas récente. En fait, elle a commencé dès le début de la récession mondiale en 2008, le test de la barre fatidique des 1 000 dollars l’once entre le 14 et le 17 mars 2008. A l’époque déjà, de nombreux spécialistes financiers annonçaient que l’or allait flamber jusqu’a 2 000 dollars l’once. Le soubassement de cette prévision était simple : à dollars constants (c’est-à-dire en isolant l’inflation), l’once d’or a dépassé les 2 000 dollars l’once en 1980, il serait donc logique qu’elle y revienne.

Et, comme pour chaque bulle, c’est au moment où cette anticipation est devenue consensuelle que l’or est reparti à la baisse, atteignant même les 750 dollars l’once en septembre 2008.

Malheureusement et à la grande satisfaction des investisseurs aurifères, la faillite de Lehman Brothers puis la récession mondiale qui a suivi, ont redoré le blason du métal jaune le propulsant de sommet en sommet. En dépit de quelques mouvements de baisse temporaire, l’once d’or se situe à plus de 1 200 dollars depuis mai dernier, avec des pointes autour de 1 250 dollars (dont un record absolu à 1 256,80 en clôture le 18 juin dernier).

Or : une flambée inextinguible ?

Sources : Bloomberg, calculs Global Equities

La poursuite de cette flambée n’indique pas pour autant que l’or ne fait pas l’objet d’une bulle. Et pour cause : c’est toujours à la fin de la bulle que les mouvements deviennent les plus violents et les plus excessifs.

La question n’est donc pas de savoir si l’or va encore monter à court terme, mais plutôt si sa flambée est justifiée par la réalité économique?

La réponse à cette question est définitivement négative. Certes, le ralentissement logique de la croissance américaine a réactivé le scénario du « W », relançant par là même la vague spéculative sur les « valeurs refuges » que constituent en apparence les obligations d’Etat, le yen, le franc suisse et bien sûr l’or.

Cependant, si de plus en plus d’investisseurs commencent à se rendre compte des excès des trois premiers produits, ils restent beaucoup moins sensibles sur la bulle de l’or. Vieux réflexe humain, le métal jaune rassure.

C’est là qu’une fois encore, il nous faut intervenir pour isoler le spéculatif de l’économique. En effet, le « flight to gold » (ou encore la ruée vers l’or) est normalement justifié par trois évolutions : une récession mondiale et/ou un krach boursier et/ou une hyperinflation. Ces trois phénomènes étaient par exemple réunis au début des années 1980, d’où la flambée, finalement logique, de l’or.

En revanche, ce que disent beaucoup moins les investisseurs qui préconisent l’achat massif d’or, c’est qu’une fois que ces trois évènements s’estompent et a fortiori disparaissent, l’or a plutôt tendance à s’effondrer. Ainsi, du sommet de 850 dollars de janvier 1980, l’once d’or est passée à moins de 400 dollars dès la fin 1981, puis à 330 dollars au printemps 1982, pour ensuite se stabiliser entre 250 et 500 dollars jusqu’en 2006.

Ceux qui ont donc acheté de l’or en janvier 1980, suivant les recommandations de nombreux conseillers financiers de l’époque, ont donc retrouvé leur mise en janvier 2008 ! Vingt huit ans pour simplement faire du sur-place, c’est attrayant… A dollars constants d’aujourd’hui, la douche est encore plus froide, puisque la mise de départ (2 000 dollars l’once) est toujours loin d’être retrouvée…

Pour toutes ces raisons, il nous paraît donc important de souligner que, même si le cours de l’or peut encore monter artificiellement à court terme, ses niveaux demeurent complètement déconnectés de la réalité économique.

Croissance et or cher ne font normalement pas bon ménage.