Depuis quelques années, une nouvelle réalité mondiale semble s’imposer. La Chine et l’Asie sont devenues les leaders de la croissance mondiale, l’Amérique Latine est en pointe (notamment grâce au Brésil), les Etats-Unis s’accrochent à la première place du PIB planétaire et l’Europe traîne continuellement la patte depuis dix ans. Et l’Afrique dans tout ça ? En effet, habitués à se focaliser sur trois ou quatre continents, les économistes (nous y compris) font souvent l’impasse sur le continent africain. Les raisons sont multiples : manque de statistiques, donc difficulté pour établir des prévisions, faible visibilité en matière de relations économiques et financières, instabilité géopolitique…

Pourtant, en dépit (ou à cause ?) de ces difficultés chroniques, l’Afrique constitue le continent où le potentiel de croissance est certainement le plus fort, car non encore exploité. D’ailleurs, en 2009, c’est-à-dire en pleine crise et alors que la grande majorité des pays de la planète sombraient dans la récession, l’Afrique a été l’une des rares zones de la planète (avec notamment la Chine, l’Inde, l’Australie, le Moyen-Orient, Israël et quelques autres) à ne pas connaître de baisse annuelle de son PIB.

Bien au contraire, après avoir déjà atteint 5,2 % en 2008, la croissance africaine a frôlé les 2,3 % en 2009 et devrait avoisiner les 4,6 % en 2010, selon les prévisions très prudentes du FMI. Bien entendu, cette croissance n’est pas homogène et a notamment bénéficié aux pays disposant de ressources naturelles importantes et/ou réussissant à attirer des capitaux étrangers, notamment en provenance de Chine. Parmi, les champions de la croissance, on distingue ainsi le Nigéria (5,6 % en 2009 et 7 % en 2010), l’Ouganda (7,1 % et 6 %) ou encore la République du Congo (7,6 % et plus de 12 % cette année). Sur l’ensemble de l’Afrique, seuls une dizaine de pays ont subi une baisse de leur PIB en 2009 et notamment Madagascar (- 5 %), les Seychelles (-7,5 %) et l’Afrique du Sud (-1,8 %). Organisateur du Mondial de football, ce dernier a donc peu profité de ses efforts de construction, mais s’est néanmoins refait une santé en 2010 avec la réalisation presque parfaite de la compétition. Selon les plus optimistes, il se serait même produit un effet « coupe du monde » à l’échelle de l’ensemble de l’Afrique qui affiche désormais une image décomplexée et plus crédible.

D’ailleurs, pour 2010 et 2011, le FMI et la plupart des organismes de prévisions sur l’Afrique prévoient qu’aucun pays africain ne connaîtra une baisse de son PIB. Bien entendu, les mauvaises langues diront que, compte tenu du retard accumulé et de la faiblesse du PIB africain, il ne s’agit là que d’un effet de rattrapage. Certes, il faut reconnaître que le PIB de toute l’Afrique n’est que de 2 000 milliards de dollars cette année et que seuls trois pays africains (sur un total de 51) dépassent les 100 milliards de dollars (l’Algérie avec 156 milliards, le Nigéria avec 213 milliards et l’Afrique du Sud avec 329 milliards). A titre de comparaison, le PIB italien dépasse les 2 100 milliards de dollars (2 650 milliards de dollars pour le PIB français) et seuls cinq pays de la zone euro affichent des PIB inférieurs à 100 milliards de dollars (Malte, Chypre, la Slovénie, le Luxembourg et la République Tchèque).

De même, les PIB par habitant reste particulièrement faibles, avec un niveau de 2 400 dollars pour l’ensemble de l’Afrique en 2010, un plus haut de 11 860 dollars pour la Guinée Equatoriale et un plus bas de 172 dollars pour le Burundi, qui constitue également le plus faible PIB par habitant de la planète. Pis, sur les trente pays les plus pauvres du monde (selon ce critère de PIB par habitant), vint-cinq sont africains.

A titre d’information et juste pour se rendre compte de l’écart qui sépare les pays africains de ceux du reste du monde, il faut savoir que le PIB par habitant est d’environ 39 500 dollars dans la zone euro, 47 700 aux Etats-Unis et 107 500 au Luxembourg (estimations du FMI pour 2010). Rassurez-vous, nous ne sommes pas devenus alter-mondialistes du jour au lendemain, mais ces écarts rappellent simplement que, s’ils s’en donnent les moyens, les pays africains disposent d’une marge de croissance considérable.

Ce chemin vers la croissance a déjà été emprunté par la grande majorité des pays d’Asie, par ceux d’Amérique Latine, sans oublier l’Europe qui, il y a encore moins de cinquante ans, comportait également pas mal de pays en voie de développement. Cette accession à la réussite économique ne sera possible que si les pays africains mettent en œuvre une plus grande stabilité politique, des Etats de droit et s’ils favorisent la transparence de leurs systèmes économiques et financiers. Si tel est le cas, comme cela se produit d’ailleurs d’ores et déjà dans certains pays africains, la mondialisation apportera ses fruits.

Car, arrêtons de diaboliser le développement des échanges internationaux. Bien entendu, celui-ci n’est pas parfait et produit toutes sortes de scories et d’inégalités. Néanmoins, la mondialisation permet aussi des transferts de capitaux et de technologies qui sont les seuls capables de permettre la réalisation d’un « grand bon en avant » sur le chemin économique. Les Chinois, les Indiens, les Latino-Américains l’ont bien compris, c’est maintenant aux Africains de franchir le pas. Après avoir été longtemps présentés comme des pays sous-développés, trop dépendants du monde occidental, les pays émergents et notamment ceux d’Afrique sont donc en train de devenir des terres de croissance soutenue qui pourront demain tirer l’économie mondiale vers le haut.

Après l’Europe, l’Amérique, puis l’Asie, l’Afrique attend donc son heure. Il ne reste plus qu’à espérer que ses dirigeants sauront lui garantir un minimum de stabilité économique et sociale pour ne pas « rater le train ». En attendant, du côté de l’Occident et en particulier de la France, l’Afrique et l’ensemble du monde émergent doivent être considérés comme des terres de croissance en puissance, donc des marchés à prendre et par là même des créateurs de richesses et d’emplois. Les Chinois l’ont déjà bien intégré et mis à profit, il serait temps de nous réveiller.

Marc Touati