Bourse/Euro, France/Allemagne, Chine/Japon : Divergences… (E&S n°136)

 

Humeur :

France-Allemagne : les écarts se creusent.


Depuis la publication des premières estimations de croissance pour le deuxième trimestre des deux côtés du Rhin, le débat fait rage : et si l’Allemagne était tout simplement en train de reprendre sa place de champion économique européen, loin devant ses partenaires de la zone euro, et en particulier de la France ? En effet, alors que le gouvernement français s’enorgueillit d’une croissance hexagonale de 0,6 % au deuxième trimestre (faisant fi que, hors stocks, cette croissance a été de 0 % : cf. l’Humeur de la semaine dernière), la progression du PIB allemand sur la même période a été de 2,2 %, un record absolu depuis la réunification.

Bien entendu, à l’instar de la situation française, une grande partie de cette flambée s’explique par un effet de restockage massif (c’est du moins ce qu’il est possible de supposer car le détail des chiffres ne sera connu que le 24 août). De même, compte tenu du fait que, pendant la dernière crise, le PIB allemand a beaucoup plus chuté que son homologue français, il est logique que la correction haussière soit plus forte outre-Rhin. Ainsi, sur l’ensemble de la dernière récession, c’est-à-dire du deuxième trimestre 2008 au premier de 2009, le PIB germanique a plongé de 7 %, contre une baisse de « seulement » 3,9 % dans l’Hexagone. Pour autant, la différence entre le rebond spectaculaire de l’Allemagne et la reprise molle de la France a suffi pour relancer les inquiétudes sur le couple franco-allemand qui, en dépit des apparences et des déclarations de ses dirigeants, ne cesse d’accumuler les divergences économiques.

Tout d’abord, il faut noter qu’au sortir du deuxième trimestre 2010, les PIB allemand et français restent tous deux inférieurs à leur niveau d’avant crise, mais dans une proportion quasiment identique : respectivement – 2,7 % et – 2,2 %. Autrement dit, si le gouvernement français a souvent défendu au cours des derniers trimestres que sa politique de soutien à l’activité a été meilleure qu’en Allemagne, ce n’est désormais plus le cas.

Et c’est là que le bât blesse, car, pour parvenir au même résultat, la France a continué d’augmenter massivement ses dépenses publiques, tandis que l’Allemagne a continué de se serrer la ceinture. Ainsi, en 2009, les dépenses publiques représentaient 47,6 % du PIB outre-Rhin, contre 55,6 % dans l’Hexagone. En d’autres termes, la France a déjà utilisé toutes ses cartouches, alors que l’Allemagne a su faire preuve de parcimonie de manière à mieux profiter de la reprise.

Ce comportement n’est d’ailleurs pas nouveau et correspond à la différence de stratégie économique qui s’est installée depuis une dizaine d’années de chaque côté du Rhin. En effet, depuis le début des années 2000 et quelle que soit la couleur politique du gouvernement au pouvoir, les Allemands ont réussi à moderniser profondément leur économie. Ils ont par exemple réduit l’impôt sur les sociétés de 35 % à 20 % et baissé les salaires réels d’un commun d’accord entre le patronat et les syndicats. Ils ont également diminué de nombreuses dépenses inefficaces, ainsi que le montant de nombreuses prestations sociales. Ils ont enfin amélioré la fluidité de leur marché du travail ou encore augmenté l’âge légal de la retraite. Autant de réformes structurelles qui ont permis aux entreprises de continuer d’investir et de rester compétitives face à la concurrence internationale. Dès lors, si la crise a été très difficile pour l’économie allemande, cette dernière paraît désormais mieux armée pour affronter les prochaines années.

Dans le même temps, et là aussi quelle que soit la couleur politique du gouvernement en place, la France a refusé de moderniser son économie et de faire la rupture structurelle tant annoncée depuis des décennies. Ainsi, bien loin de l’esprit de sacrifice et de responsabilité des Allemands, les dirigeants français ont continué de dilapider des deniers qu’ils n’avaient pas, maintenant le pays sous une perfusion certes agréable mais ô combien coûteuse et inefficace. Et pour cause : la gabegie de dépenses publiques n’a absolument pas permis d’éviter la crise, la montée du chômage, l’augmentation des inégalités et de la pauvreté. Pis, plutôt que de s’excuser de ces erreurs stratégiques, les dirigeants français n’hésitent pas à critiquer la politique allemande qui aurait sacrifié la consommation au profit de l’investissement. Madame Lagarde a même été jusqu’à souligner qu’une grande partie des difficultés économiques françaises étaient due à la rigueur allemande. De quoi retourner Jean de La Fontaine dans sa tombe puisque c’est désormais la cigale qui fait des remontrances à la fourmi…

Certes, il faut reconnaître que, dans leur volonté de rigueur, les Allemands ont certainement été un peu loin. Cependant, cette stratégie a été voulue par le peuple, confirmant que ce dernier garde un fort sens de l’abnégation et une vision d’avenir déterminante. D’ailleurs, n’oublions pas que la faiblesse de la consommation allemande n’est pas la seule conséquence de la politique économique gouvernementale mais surtout de la baisse de la population qui s’observe depuis 2005. Réciproquement, la bonne tenue de la consommation française s’explique en grande partie par les perfusions en tous genres mais aussi par la vigueur de la natalité. C’est d’ailleurs là que réside l’un des grands paradoxes du couple germano-français : les uns préparent l’avenir en faisant des réformes, mais font peu d’enfants pour en profiter ; les autres refusent les réformes mais font beaucoup d’enfants qui devront affronter des lendemains difficiles…

Car, ne nous leurrons pas, la différence de stratégies entre les deux côtés du Rhin aura forcément des répercussions conséquentes. L’écart de croissance observé au deuxième trimestre 2010 montre que ces dernières ont déjà commencé. Dès lors, si la France continue de refuser la réalité en appliquant les vaines recettes d’augmentation des dépenses publiques, d’inefficacité de la pression fiscale et de rigidités réglementaires prohibitives, les écarts économiques vont encore se creuser. Celle-ci finira forcément par subir une dégradation de la note de sa dette publique et un discrédit international. Marquée par dix années d’efforts permanents, l’Allemagne risque alors de refuser de payer pour les dérapages français, entérinant un divorce latent du couple franco-allemand et mettant fin par là même à la zone euro. Après vingt ans de poker menteur, la partie est désormais sur le point de se terminer. Le pire n’est pas encore certain, mais, au fil des années, les chances de l’éviter s’amenuisent…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Chine-Japon : la revanche du Dragon.


A l’instar des rivalités séculaires France-Angleterre ou France-Allemagne, la Chine et le Japon sont incontestablement les frères ennemis de l’Asie qui n’ont cessé de se disputer la suprématie du continent. Alors qu’au début du XIXème siècle, la Chine constituait la première puissance asiatique et même mondiale (son PIB représentait environ 33 % du PIB mondial en 1820), sa puissance s’est dégradée avec le temps, pour atteindre les abysses dans les années 1960.

Ainsi, pendant que le monde occidental connaissait les Trente Glorieuses, la Chine s’effondrait et ne représentait plus que 2 % du PIB mondial, malgré une population dépassant le milliard d’habitants.

Dans le même temps, en dépit des séquelles laissées par la seconde guerre mondiale, le Japon repartait de plus belle pour devenir très vite la première puissance économique asiatique et la deuxième mondiale, derrière les Etats-Unis.

Mais, comme disent les marins : le vent tourne. Ainsi, après plus de vingt ans de révolution économique et d’efforts majeurs, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, juste devant le Japon.

La Chine distance le Japon et cela ne fait que commencer…

Source : FMI

Si ce résultat était déjà attendu pour la fin 2009, ce n’est finalement qu’au deuxième trimestre 2010 que le PIB chinois a dépassé celui du Japon : 1 336,9 milliards de dollars, contre 1 288,3. Sur l’ensemble de l’année 2010, le PIB chinois devrait avoisiner 5 365 milliards de dollars, contre 5 272 milliards pour le Japon. Et ce n’est pas tout, puisque, selon les projections du FMI, ces PIB devraient atteindre respectivement 6 700 milliards de dollars et 5 500 en 2012.

En données corrigées des parités de pouvoirs d’achat (PPA), le constat est encore plus flagrant : de 247 milliards de dollars PPA en 1980, le PIB chinois a atteint les 3 000 milliards en 2000, dépassant le PIB japonais dès 2001. Aujourd’hui, le rapport des forces est impressionnant, puisque le PIB chinois avoisine les 9 700 milliards de dollars PPA, contre 4 200 milliards pour le Japon.

En parité de pouvoir d’achat, le PIB chinois représente déjà plus de deux fois son homologue japonais.

Source : FMI

Conséquence logique de ce décalage, le poids du PIB chinois dans le PIB mondial mesuré en parité de pouvoir d’achat (ce qui constitue le seul moyen crédible pour faire des comparaisons internationales) n’a cessé d’augmenter, tandis que celui du Japon a reculé.

De 2 % en 1980, ce poids est passé à 8 % en 2000 et à près de 14 % aujourd’hui. Dans le même temps, la part du Japon dans le PIB mondial en PPA est passée de 7,9 % en 1980 à un sommet de 9,3 % en 1991 pour ensuite s’effondrer à 7 % dès le début des années 2000 et enfin passer sous les 6 % en 2010 (à 5,9 % précisément).

Le malheur des uns fait le bonheur des autres…

Source : FMI

Mais après avoir détrôné le Japon, la Chine ne va évidemment pas s’arrêter là. Son premier objectif sera le plus aisé, à savoir la zone euro. Selon toute vraisemblance et à moins d’une catastrophe en Chine ou d’une « euphorie tombée du ciel » dans la zone euro, le PIB (mesuré en dollars PPA) de cette dernière devrait passer sous celui de la Chine dès 2011. L’Empire du Milieu devrait même représenter plus de 14 % du PIB mondial d’ici 2012, contre 13,8 % pour la Zone Euro.

Pendant ce temps, les Etats-Unis continueront de faire de la résistance, avec une part dans le PIB mondial stabilisée autour de 20 %. Mais que les Américains ne s’y trompent pas : ils sont les prochains sur la liste des Chinois…

Après le Japon, la zone euro et pourquoi pas les Etats-Unis ?

Source : FMI

Bien entendu, ces performances flamboyantes doivent être relativisées par l’évolution du PIB par habitant. Ainsi, en dollars courants, ce dernier n’est que de 4 000 dollars en Chine, contre 41 000 dollars au Japon. Autrement dit, si la croissance chinoise ne fait aucun doute, la qualité de cette dernière, notamment en matières de pauvreté et de répartition des richesses laisse encore à désirer.

Mais n’est-ce pas là le passage obligé de tous les pays en développement ? D’ailleurs, les différences de PIB par habitant entre la Chine et le Japon sont beaucoup moins importantes lorsque celui-ci est mesuré en PPA. En l’occurrence 7 300 dollars dans l’Empire du Milieu, contre 33 400 dollars pour l’Empire du Soleil Levant.

En attendant de réduire encore cette distance (et elle s’en donne de plus en plus les moyens), la Chine continue de creuser l’écart sur l’ensemble des fronts économiques. A commencer par l’excédent de sa balance courante. Certes, la crise est passée par là et l’excédent courant de la Chine n’est plus « que » de 335 milliards de dollars, soit 6,2 % du PIB. A titre de comparaison, il a atteint un sommet absolu de 11 % du PIB en 2007. En dépit de cette légère baisse de régime, qui est d’ailleurs d’ores et déjà en voie de résorption, les résultats chinois demeurent bien supérieurs à ceux du Japon. Et pour cause : l’excédent courant nippon n’est plus que de 149 milliards de dollars, soit 2,8 % de son PIB.


L’arme de la balance courante au service de la Chine.

Source : FMI

Corrélativement à cette bonne santé des échanges courants chinois, les réserves de changes de l’Empire du Milieu s’installent au-dessus des 2 450 milliards de dollars depuis quatre mois. Avec leurs 1 000 milliards de dollars, les réserves de changes japonaises, qui furent pendant plus de vingt ans les plus importantes du monde, font désormais pâle figure.

Enfin, au-delà de ces avantages nominaux, la Chine doit désormais transformer l’essai de l’amélioration du niveau de vie. Même si elle reste encore semée d’embuches, la voie empruntée semble la bonne, puisque l’on recense aujourd’hui environ 400 millions de Chinois vivant selon les standards occidentaux. S’il reste certes 900 millions de personnes qui attendent de prendre le train du bien-être, n’oublions pas qu’il y a à peine dix ans, seuls 100 millions de Chinois vivaient correctement.

Voilà pourquoi la Chine continuera d’apprécier le yuan modérément pour éviter l’erreur du Japon, qui, à la fin des années 80 et dans les années 1990 a laissé le yen s’apprécier trop fortement, sonnant ainsi le glas de sa suprématie économique.

Après la victoire du PIB, la Chine doit donc maintenant emporter le match de la bonne politique économique. Et avouons que, pour le moment, elle paraît bien partie.

 

Marc Touati

 

 

 

 

 

 

 



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