Marchés, dettes publiques, France : un été sous surveillance (E&S n°134)

 

Humeur :

Dette publique française : jusqu’où ?


Lorsqu’il y a environ deux-trois ans, nous évoquions la possibilité d’une dette publique équivalente à 80 % du PIB à l’horizon 2015, on nous répondait généralement : « Mais non ! Vous qui êtes habituellement plutôt optimiste, là vous sombrez dans le pessimisme ! ». Et pourtant ! Cinq ans avant l’échéance de notre prévision qui paraissait excessive il y a peu, la barre fatidique des 80 % est déjà franchie. Ainsi, au premier trimestre 2010, la dette publique française a atteint 1 535,5 milliards d’euros, soit 80,3 % du PIB. Et s’il est souvent tentant de « faire porter le chapeau » de ce dérapage aux collectivités locales et aux assurances sociales, il ne faut pas oublier que 78,5 % de cette dette publique (en l’occurrence 1 206 milliards d’euros au premier trimestre 2010) est du seul ressort de l’Etat.

Pis, si l’usage veut que l’on compare la dette publique au PIB, il nous parait plus opportun de la rapporter aux recettes publiques, histoire de se rapprocher d’un ratio « dette/chiffre d’affaires ». Et là, avant de prendre connaissance de ce chiffre, il faut s’asseoir pour ne pas tomber, car on atteint un niveau de 166 % ! Mais, ce n’est pas tout, car, au-delà de ces chiffres qui donnent le vertige, le vrai danger réside dans l’augmentation presque exponentielle de ces derniers. Ainsi, en 1980, la dette publique n’était que de 20,7 % du PIB et 45,4 % des recettes publiques. Il faut donc noter que, d’ores et déjà, le rapport entre le premier ratio et le deuxième était le même qu’aujourd’hui, à savoir de 1 à 2 environ. Dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1990, la dette publique progresse mais reste encore limitée à 35,2 % du PIB et à 74,8 % des recettes publiques. En 2000, en dépit des efforts réalisés pour entrer dans la zone euro et malgré la croissance forte des années 1998-2000, la dette publique monte à nouveau, pour atteindre 57 % du PIB et 114 % des recettes publiques. Présentés alors comme des sommets, ces niveaux vont pourtant être pulvérisés au cours des années suivantes, pour atteindre les pics actuels qui ne sont malheureusement qu’une étape vers les plus hauts de la montagne de la dette publique française.

C’est en cela qu’au-delà de son stock de dette faramineux, la puissance publique française apparaît durablement fragilisée par au moins quatre facteurs.

Premièrement, le vieil adage selon lequel il suffirait de vendre quelques « bijoux de famille » pour réduire massivement la dette publique n’est plus applicable aujourd’hui dans l’Hexagone. Et pour cause, ces bijoux, en l’occurrence les actions cotées et les OPCVM détenus par les administrations publiques, ne valent plus que 214,4 milliards d’euros. Et quand bien même l’Etat français vendrait tous ses trésors, tels que la Joconde, le château de Versailles et autres actifs non mobilisables, il n’arriverait même pas à rembourser son stocks de dette. Et bien oui, c’est triste à dire mais l’actif net de l’Etat français est négatif.

Deuxièmement, si certains objecteront à ce premier argument que la France n’est pas une entreprise et qu’elle n’aura jamais à rembourser sa dette publique dans sa totalité, il ne faut pas oublier que le ratio le plus dangereux ne se réfère pas au stock de dette par rapport au flux du PIB, mais à celui qui rapporte le flux annuel des intérêts de la dette publique à celui du PIB. Or, en 2010, cette charge d’intérêts devrait avoisiner les 3 % du PIB, soit environ 0,5 point de plus que la croissance en valeur (c’est-à-dire la progression annuelle du PIB augmentée de l’inflation). Autrement dit, ce sera la troisième année consécutive que la France ne générera pas assez de croissance pour simplement couvrir les intérêts de sa dette publique. Pour payer ces derniers, il faudra donc encore augmenter la dette publique qui devient donc auto-entretenue. C’est ce que l’on appelle en langage courant un puits sans fond ou, en langage financier, une bulle de la dette.

C’est alors qu’intervient notre troisième point, à savoir la dépendance du Trésor français vis-à-vis des investisseurs étrangers. Car si, jusqu’à la moitié des années 2000, seules 50 % des OAT (Obligations Assimilables du Trésor) étaient détenues par des non-résidents, cette part est montée à 60 % depuis quelques années et atteint désormais un nouveau record de 69 %. Ce niveau est comparable à celui observé en Grèce est largement supérieur aux 50 % enregistrés en Allemagne, en Espagne ou en Italie.

D’où une quatrième étape bien difficile à négocier, à savoir la notation de la dette publique française. Car si, en dépit de l’évolution dramatique de cette dernière et de la bulle que nous venons d’évoquer, les agences de notation continuent de gratifier les OAT d’un triple A, la question est de savoir combien temps cela va durer. Et pour cause : si avec un AAA, les investisseurs continuent d’acheter des OAT sans rechigner, avec un simple A, ils se feront désirer. D’où une augmentation des taux d’intérêt, ce qui suscitera une baisse de l’investissement, donc moins de croissance, moins d’emplois, plus de déficit et plus de dette.

Il faut donc arrêter de toiser les chiffres de la dette publique en déclarant que la France ne sera jamais en faillite ou encore, comme le font certains, que les caisses publiques ne sont pas vides et qu’il faut encore augmenter les dépenses publiques. Car s’il était encore possible de faire de telles erreurs dans les années 1980 et 1990, quand la dette publique était comprise entre 20 et 40 % du PIB et que la croissance en valeur compensait largement la charge d’intérêts de la dette, un tel discours devient suicidaire aujourd’hui, avec une dette publique de 80 % du PIB et une croissance structurelle en valeur qui n’arrive même pas à couvrir la charge d’intérêts.

Espérons donc que les dirigeants du pays sauront être responsables en réduisant massivement les dépenses de fonctionnement de l’administration publique, qui ont tout de même augmenté de 87 milliards d’euros depuis 2002, soit un peu plus que quelques cigares et déplacements en avion privé… Ils devront également repenser complètement la pression fiscale et réduire les freins réglementaires, de manière à assurer une croissance durablement plus forte. Le chemin est donc connu, reste à savoir si l’électrochoc d’une dette publique à plus de 80 % du PIB sera suffisant pour inciter la France à l’emprunter.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

France : une conjoncture mi-figue mi-raisin.


Encore une mauvaise nouvelle dont la France se serait bien passée : en mai, le déficit s’est creusé de près de 1,3 milliard d’euros pour atteindre 5,5 milliards. Il s’agit là d’un plus haut depuis le record historique de 6,17 milliards atteint en octobre 2008.

Pis, le déficit de mai 2010 constitue le troisième plus mauvais résultat du commerce extérieur français, le deuxième ayant été atteint en mai 2008 à 5,573 milliards. En d’autres termes, après l’accalmie enregistrée de mai à octobre 2009, le déficit extérieur de la France a très vite repris le chemin de la dégradation pour désormais retrouver des sommets historiques.

Un déficit extérieur de crise.

Ce creusement est d’autant plus décevant qu’il est réalisé dans un contexte de rebond du commerce mondial. En clair, la France reste l’un des pays de la planète qui profite le moins du redémarrage économique international. Ainsi, après six mois de hausse corrective, les exportations françaises ont chuté de 5,2 % en mai. Avec un niveau de 29,9 milliards d’euros, elles retrouvent leur niveau de décembre 2009. A l’exclusion des biens agricoles, tous les types de produits exportés enregistrent une nette baisse en mai, à commencer par les biens manufacturés et en particulier les matériels de transports, dont la valeur des exportations baisse d’environ 2 milliards sur un seul mois. D’un point de vue géographique, ce sont principalement les exportations à destination de l’Union européenne qui reculent le plus. Et pour cause : l’Europe reste la lanterne rouge de la croissance mondiale.

Nous retrouvons malheureusement là les deux carences structurelles des exportations françaises. D’une part, une mauvaise spécialisation sectorielle (c’est-à-dire trop peu tournée vers les biens d’équipement, qui représentent par exemple plus de 50 % des exportations allemandes, mais seulement 20 % de celles de la France).

 D’autre part, les exportations françaises souffrent aussi d’une mauvaise spécialisation géographique en étant trop tournées vers l’Europe, terre de croissance structurellement molle, et insuffisamment vers les pays à fort dynamisme, notamment dans le monde émergent.

Mais ce n’est pas tout, car au-delà des difficultés sur le font des exportations, le déficit de mai aurait pu être encore plus dramatique. En effet, son creusement a été limité par la baisse de 1,1 % des importations au cours de ce même mois. Et c’est bien là que le bât blesse. Car, si régulièrement, il est d’usage d’expliquer le creusement du déficit extérieur français par la bonne tenue des importations elle-même liée à la résistance de la demande intérieure et notamment de la consommation, tel n’est désormais plus le cas.

Autrement dit, la France enregistre un vrai déficit de crise, c’est-à-dire qui est dû à une baisse des exportations encore plus forte que celle des importations.

Enfin, en termes de conséquences sur la croissance du PIB français, il est clair que les contre-performances du commerce extérieur en avril et mai vont agir négativement. Ainsi, après avoir reculé de 12,1 % au premier trimestre 2010, apportant 0,4 point à la croissance du PIB au cours de cette même période, le déficit commercial enregistre une augmentation de 27 % en avril-mai par rapport à la moyenne du trimestre précédent.

Même si les chiffres de la balance commerciale sont en valeur alors que le PIB est exprimé en volume (donc à prix constants) et même si une amélioration s’observe en juin, il est d’ores et déjà clair que le commerce extérieur contribuera négativement à la croissance du deuxième trimestre. Après un petit 0,1 % au premier trimestre, cette dernière risque donc de réaliser une « performance » voisine au deuxième trimestre.

Par ailleurs la production industrielle française retrouve temporairement quelques couleurs. Ainsi après avoir reculé de 0,5 % en avril cette dernière enregistre une hausse de 1,7% en mai. Cette progression s’explique essentiellement par un bond de 11,8 % de la production dans l’énergie (électricité, vapeur et air conditionné) en raison de forts écarts de températures en mai.

Constituant également un support de poids, la production automobile augmente pour la première fois depuis janvier 2010 (+ 4,7 %) indiquant que l’effet négatif de la fin progressive de la prime à la casse commence a s’atténuer. A noter aussi une hausse de 2,4 % dans le secteur minier et de 1,1 % dans les matériels de transport.

Enfin, après avoir augmenté de 0,3% en avril la production manufacturière a progressé à nouveau de 0,5% en mai.

Cependant malgré un redémarrage technique lui permettant d’afficher un glissement annuel de 8,2 % en mai, la production industrielle française est loin d’avoir rattrapé tout le retard accumulé pendant la crise.

Néanmoins l’euro qui devrait retrouver un niveau normal (entre 1,15 et 1,20) dans les tous prochains mois, apportera un soutien de poids à l’industrie française en lui permettant de profiter du rebond de la croissance mondiale et de moins souffrir de la concurrence des produits importés.

Industrie française : un redémarrage technique

En conclusion la France devrait voir son PIB croître d’un petit 1,5 % en 2010 à l’instar de l’Allemagne et de la zone euro. Nous somme donc bien loin de 3% de croissance minimum attendus aux Etats-Unis.

 

Marc Touati

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


 

Les Marchés :

Un été sous surveillance.


Depuis quelques mois et plus précisément depuis le début de la crise grecque, nous vivons dans ce que l’on appelle un marché de trading, c’est-à-dire un environnement très court-termiste dans lequel les fortes baisses succèdent aux fortes hausses et réciproquement.

En d’autres termes, la grande majorité des investisseurs se concentre sur une stratégie de très court terme, les investisseurs de long terme ayant délaissés les marchés boursiers, au profit de placements soit disant plus sûrs, en l’occurrence les marchés obligataires.

C’est en cela que la période actuelle reste très paradoxale. En effet, par aversion au risque ou pour se couvrir contre ce dernier, les grands investisseurs (assurances, caisses de retraites, banques…) préfèrent se focaliser sur les obligations d’Etat. Pourtant, compte tenu de leurs cours élevés, ces dernières sont actuellement beaucoup plus dangereuses que les actions qui sont bien souvent sous valorisées.

C’est malheureusement une triste réalité qui sévit structurellement sur les marchés : le consensus a généralement tort, mais la grande majorité des investisseurs préfèrent s’y réfugier. C’est ce que Keynes appelait les animal spirits.

Dans ce cadre et comme cela s’observe depuis 2007, l’été risque d’être chaud pour les marchés boursiers. Mais attention, « chaud » ne veut pas forcément dire « baissier ». Certes, sur les trois dernières années, le Bear Market l’a emporté à deux reprises : en 2007 et 2008. En revanche, en 2009, le Bull Market a repris le dessus. Une question s’ensuit : L’été 2010 marquera-t-il une égalisation du score ?

Pour le savoir, il faudra notamment surveiller les indicateurs susceptibles de faire varier ou non le consensus. Dans la mesure où ce dernier croit de plus en plus à un W aux Etats-Unis, qui n’est absolument pas crédible selon nous (Cf. notre weekly de la semaine dernière), les statistiques déterminantes seront celles du PIB et de l’emploi outre-Atlantique.

Vers une remontée boursière pour l’été 2010 ?

Source : Bloomberg

Ainsi, le vendredi 30 juillet à 14h30, heure de Paris, la publication des comptes nationaux américains du deuxième trimestre sera particulièrement attendue.

Selon nous, du fait de la bonne tenue de la production industrielle, des commandes de biens durables, du revenu et de la consommation des ménages au deuxième trimestre, le PIB des Etats-Unis devrait croître d’environ 3 % en rythme annualisé au cours de ce même deuxième trimestre.

Vers une croissance annualisée de 3 % au deuxième trimestre.

 

Eléments explicatifs de notre prévision d’une progression annualisée de 3 % du PIB américain au deuxième trimestre 2010.

Facteurs positifs* :

– Production industrielle : + 6,8 %

– Revenu des ménages en volume : + 4,4 %

– Consommation des ménages en volume : + 2,5 %

– Commandes de biens durables : +  6 %