Les marchés aiment se faire peur…

 

Décidément, la peur reste accrochée aux marchés comme une arapède à un rocher. Certes, compte tenu de l’ampleur de la crise économico-financière de 2007-2009, cette psychose peut se comprendre. Pourtant, depuis le printemps 2009, puis le redémarrage de l’économie mondiale, non-anticipé par 90 % des économistes à travers la planète, l’espoir était revenu. L’évitement du scénario catastrophe tant annoncé et le retour en grâce de la croissance avaient alors permis aux principaux indices boursiers internationaux de gagner environ 50 % en neuf mois. Si bien que les Cassandre et autres Bearish avaient quasiment disparu de la circulation. Malheureusement, la crise grecque, puis son dérapage incontrôlé et enfin sa transformation en une « crise existentielle » de la zone euro ont relancé la vague de terreur à travers la planète. Dès lors, toute statistique inférieure aux attentes, la moindre tension géopolitique, ou encore les déclarations décalées des dirigeants internationaux (et elles sont ô combien nombreuses) sont montées en épingle et utilisées pour justifier un mouvement de baisse des marchés boursiers.

La semaine écoulée constitue un exemple éloquent de cette fragilité aggravée. Tout a commencé avec la révision baissière d’un indicateur calculé par le Conference Board et censé anticiper la croissance chinoise. Oubliant que cet indicateur ne dispose d’aucune valeur prédictive sur l’économie chinoise, les marchés se sont alors emballés et certaines Cassandre sont montées au créneau pour annoncer l’écroulement de la croissance dans l’Empire du Milieu. Dire qu’il y a à peine quelques mois, ces mêmes Cassandre annonçaient que la Chine était au bord de la surchauffe et que l’hyperinflation allait s’y imposer avant de se répandre à travers le monde ! Heureusement pour eux que le ridicule ne tue pas… Il faut donc arrêter de dire tout et son contraire à quelques semaines d’intervalle au gré de publications statistiques qui sont d’ailleurs loin d’être fiables.

Et quand bien même la Chine connaîtrait une crise (à ce sujet, n’oublions pas que les crises sont inévitables et font tout simplement partie de la vie économique), il faut rappeler qu’elle dispose de deux airbags déterminants. D’une part, une dette publique de seulement 18 % du PIB, ce qui lui permettrait d’actionner l’arme budgétaire sans difficulté en cas de besoin. D’autre part, avant d’avoir recours à cette arme, la Chine dispose de 2 500 milliards de dollars de réserves de changes, c’est-à-dire plus que le PIB français. Comme chacun sait, ces réserves de changes se situent à l’actif du bilan de la Banque Centrale. Elles sont donc immédiatement disponibles et sans frais. L’an passé, la Chine en a d’ailleurs utilisé 300 milliards de dollars pour éviter un trop fort ralentissement. Deux enseignements en découlent. Primo, si cette aide n’avait pas été utilisée, les réserves de changes chinoises avoisineraient les 2 800 milliards de dollars. Secundo, cette stratégie a été efficace, puisque la croissance a atteint 12 % dès le premier trimestre 2010.

Il faut donc arrêter de se faire peur sur la Chine. Nous devrions plutôt nous inquiéter de son pragmatisme et de sa vigueur économique. Car, si après avoir flambé depuis l’été 2009, la croissance chinoise va forcément ralentir, cette décélération sera non seulement la bienvenue pour éviter la surchauffe, mais elle permettra également à la progression du PIB chinois de se stabiliser autour des 10 % au moins jusqu’en 2012.

Voyant donc très vite que le tuyau de la crise chinoise était percé et surtout peu crédible, les Cassandre se sont alors tournées vers l’Oncle Sam. Et cela tombait bien, puisqu’après avoir essuyé quelques revers sur le front de l’activité dans la construction immobilière, l’économie américaine doit désormais faire face à une baisse conséquente de la confiance des ménages. C’est du moins ce qu’indique l’indicateur correspondant calculé par le Conference Board (encore lui !). Il faut reconnaître que, cette fois-ci, le calcul de l’indice est plus crédible que dans le cas chinois. Dès lors, la baisse de quasiment dix points sur un mois semble sonner le glas de la résistance de la consommation américaine. Cette triste anticipation oublie néanmoins que les autres indicateurs avancés de la croissance des Etats-Unis, notamment ceux des directeurs d’achat, demeurent en phase avec une augmentation du PIB d’au moins 3,5 % cette année.

Devant la probable résistance des économies chinoise et américaine, les Cassandre ont alors dû se tourner vers un pari moins risqué : la zone euro. Et, là, bingo ! Car si la peur a du mal à prendre le dessus en Chine et aux Etats-Unis, elle est une seconde nature sur le Vieux Continent. L’origine de la crainte de la semaine était simple : la « facilité de caisse » octroyée par la BCE aux banques eurolandaises qui prenait fin le 1er juillet 2010. Et, comme la BCE a pris la mauvaise habitude de mettre de l’huile sur le feu, la tentation de croire au scénario du pire devenait facile. D’autant plus que la crise de la dette publique eurolandaise est toujours loin d’être résolue.

Fort heureusement, devant l’ampleur de la menace, la BCE a prolongé son aide aux banques eurolandaises, apaisant les pressions baissières qui s’exercent sur les marchés. Mais que l’on ne s’y trompe pas : cet apaisement est temporaire. Le seul moyen de sortir de l’ornière sera de restaurer durablement la croissance. Or, cette dernière avoisinera les 4 % au niveau mondial tant en 2010 qu’en 2011. Et ce, en particulier grâce à la bonne tenue de l’économie outre-Atlantique, en Asie et dans l’ensemble du monde émergent. En revanche, et comme d’habitude, la zone euro restera la lanterne rouge de cette reprise. C’est d’ailleurs ce qui ressort du dernier sommet du G20 au cours duquel les principales puissances de la planète ont compris que la rigueur budgétaire devait être efficace et ne surtout pas casser le redémarrage. Toutes sauf évidemment celles de la zone euro, qui risquent, une fois encore, de sacrifier la croissance sur l’autel du dogmatisme. Seule issue de secours : la baisse de l’euro induite par le comportement des dirigeants eurolandais permettra de soutenir l’activité et de limiter les impacts négatifs de la rigueur.

Au total et en dépit de leur facilité à se faire peur, les marchés boursiers devraient rester sur une tendance haussière au moins jusqu’en 2012. Cependant, ils resteront fragiles et volatils, car, pour limiter leur progression, les Cassandre pourront toujours compter sur des alliés indéfectibles, en l’occurrence les « dirigeants » politiques et monétaires de la zone euro.

Marc Touati