Coupe du monde, France, pétrole : c’est la crise ! (E&S n°132)

 

Humeur :

Une Coupe du Monde de crise.


Il y a quelques semaines nous écrivions ici même une Humeur intitulée « Vivement la Coupe du Monde ». Nous étions alors en pleine crise existentielle de la zone euro (qui n’est d’ailleurs toujours pas terminée) et nous expliquions que le Mondial de football tomberait à pic pour rafraichir les idées et réduire, au moins temporairement, la pression qui sévissait sur les pays eurolandais et plus globalement sur les marchés.

Malheureusement, si le Mondial a bien commencé et a bien apaisé les esprits dans un premier temps, nous étions loin d’imaginer que cette Coupe du Monde de football ne serait finalement que le reflet de la situation économique mondiale. Autrement dit, la crise est partout, même dans le foot. Ainsi, alors qu’il est généralement le théâtre d’un beau spectacle, avec de nombreux buts, des stratégies offensives et des joueurs survoltés qui « mouillent le maillot », le Mondial 2010 est pour l’instant une succession de matchs plutôt fades, avec peu de buts et peu d’enthousiasme. Bref, il est exactement à l’image de la croissance, particulièrement en Europe, c’est-à-dire molle.

Dans le prolongement de cette apathie européenne, le Mondial sud-africain marque aussi l’émergence de nouvelles puissances. Si l’Asie de l’Est et l’Afrique restent encore en retrait (à l’exception de la Corée du Sud et du Ghana), les pays latino-américains sortent du lot. Et pour cause : à l’exception du Honduras, tous les pays d’Amérique du Sud présents se sont qualifiés pour le second tour. Parallèlement et à l’image de leur résistance économique, les Etats-Unis constituent aussi une des grandes surprises de ce Mondial. Ils finissent même premiers d’un groupe pourtant difficile, avec notamment l’Angleterre qui, à l’instar de son économie, a sauvé de justesse les joyaux de la Couronne.

En revanche et à l’image de leur situation économique, les pays européens, et en particulier ceux de la zone euro, souffrent. Alors qu’ils sont déjà les parents pauvres de la croissance mondiale depuis une dizaine d’années, ces derniers prennent désormais la même place sur l’échelle du football international. Ainsi, qu’il s’agisse de l’Espagne ou du Portugal, la douleur prime et leur qualification ne se fera qu’à l’arraché (à l’heure où nous écrivons cet article, nous ne savons pas si l’Espagne s’est qualifiée). Quant à la Slovénie, son entrée dans la zone euro ne lui aura pas porté bonheur pour au moins deux raisons : non seulement, elle a sombré dans une grave récession en 2009 (son PIB a même chuté de 7,3 % l’an dernier et peinera à redémarrer en 2010) et, de surcroit, elle n’a même pas passé le premier tour du Mondial. La Slovaquie a eu plus de réussite, mais au grand dam de l’Italie, qui, bien que championne du monde en titre, ne passera même pas le premier tour. Une claque nationale encore plus dramatique pour la population italienne que leur dette publique, qui n’est pourtant plus passée sous les 100 % du PIB depuis les années 80 et avoisine les 130 % en 2010. Que dire alors de la Grèce qui, après avoir été championne d’Europe des Nations en 2004 et championne du monde de la dette publique depuis bientôt dix ans, n’a également pas réussi à atteindre les huitièmes de finale.

En fait, les seuls pays eurolandais qui ont su se qualifier sans trop de difficultés sont également ceux qui ont su mettre en place des réformes économiques courageuses depuis déjà plusieurs années, en l’occurrence l’Allemagne et les Pays-Bas. Et même si elles ne sont plus aussi flamboyantes que dans les années 70-90, ces équipes restent des valeurs sûres.

Bien loin de ces performances et de cette résistance à l’adversité, la France s’est, une fois de plus illustrée, dans le mauvais sens du terme. Cependant, si l’on savait qu’à l’image de leur symbole, à savoir le coq, les Bleus aiment souvent claironner les pieds dans la boue, ils ont cette fois-ci dépassé les bornes. Pis, leur comportement d’enfants gâtés qui refusent de voir la réalité en face, se tirent dans les pattes et osent fanfaronner apparaît comme un reflet troublant de la société et de l’économie française. En effet, si cette dernière a su être capable du meilleur dans les années 1998-2000, en réalisant une croissance forte, à l’instar des Bleus qui ont emporté le Mondial 1998 et l’Euro 2000, elle peut aussi produire le pire. Depuis 2002, la France est ainsi l’une des lanternes rouges de la croissance eurolandaise et se paie en même temps le luxe d’afficher le troisième plus mauvais déficit public de la zone euro (3,8 % du PIB de 2002 à 2009, juste derrière les 4,2 % du Portugal et les 6,3 % de la Grèce).

Mais comme si cela ne suffisait pas, de nombreux Français, y compris certains dirigeants politiques, restent hermétiques à la réforme et à la remise en question. Et lorsque l’on tape du poing sur la table, par exemple pour réformer la retraite par répartition qui court à sa perte ou pour essayer de relancer une équipe de foot à la dérive en quête de qualification, certains n’hésitent plus à se mettre en grève. A la rigueur, lorsqu’il s’agit d’ouvriers qui ont trimé toute leur vie pour avoir le droit de percevoir une petite retraite, cela peut se comprendre, mais lorsqu’il s’agit de jeunes millionnaires âgés de 20 à 30 ans et qui prendront leur retraite dorée à 35 ans au plus tard, cela a évidemment de quoi choquer. On retrouve là notre fameux « syndrome du pouf » (cf. le Weekly du 18 décembre 2009).

Face à ce désastre, les autorités politiques, jusqu’au sommet de l’Etat, montent évidemment au créneau et promettent que tout va changer. Cela rappelle étrangement les innombrables promesses des dirigeants politiques français qui, depuis des décennies, annoncent qu’ils vont augmenter la croissance structurelle de la France, réduire son taux de chômage, diminuer les inégalités et la pauvreté et ce tout en assainissant les finances publiques. Les résultats sont malheureusement bien connus : une croissance structurelle d’environ 1,5 %, un taux de chômage de 10 %, un taux de pauvreté de 14 %, une dette publique de 80 % du PIB et des dépenses de fonctionnement de la puissance publique qui ont augmenté de 87 milliards d’euros depuis 2002.

C’est certainement là que réside le drame de ce Mondial : alors qu’il devait nous divertir, il nous rappelle cruellement la réalité économique mondiale : une croissance forte dans le monde émergent, une résistance américaine à toute épreuve, une zone euro en déliquescence et une France qui perd. Quelle tristesse…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

La France engoncée dans la croissance molle.


Sauvée par la Coupe du Monde ! Telle pourrait être la synthèse de l’évolution de la consommation des ménages français en mai 2010. En effet, alors que tous les postes de la consommation en produits manufacturés reculent (-0,1 % pour l’automobile, – 1,6 % pour le textile-cuir et – 0,2 % pour les autres produits), seuls les biens d’équipement du logement enregistrent une forte augmentation, en l’occurrence + 7,3 %. Leur glissement annuel atteint ainsi + 14,6 % en mai, un plus haut depuis juillet 2007.

Ce boom s’explique presque exclusivement par la flambée du secteur de l’électronique grand public, en particulier en matière d’achats de téléviseurs. Ces derniers ont été « boostés » par l’approche de la Coupe du Monde de football, par le passage au « tout numérique » en Bretagne et dans les Pays de la Loire, ainsi que par toutes les promotions qui ont accompagné ces deux évènements.

On se souvient par exemple des enseignes annonçant le remboursement des téléviseurs achetés dans le cas où la France gagnait le Mondial. Ces distributeurs ont donc fait coup double : une forte hausse des ventes et une promesse qui passe aux oubliettes grâce à la « performance » des Bleus.

Le Mondial a au moins sauvé la consommation des ménages français en mai.

Sources : INSEE et Datastream

Il s’agit donc bien d’un élément ponctuel qui ne doit pas cacher la forêt d’une consommation française en difficulté. En effet, après avoir bénéficié à plein de la prime à la casse, les achats de voitures ne cessent de reculer depuis la fin (certes progressive) de ce soutien artificiel. Leur glissement annuel atteint désormais – 5,1 % et devrait encore se dégrader dans les prochains mois.

Autre déconvenue, le textile-cuir a pâti d’un printemps « pourri » d’un point de vue climatique, chutant de 1,1 % en avril et de 1,6 % en mai. Les soldes d’été seront donc les bienvenues pour essayer de limiter les dégâts d’une saison catastrophique.

Après avoir soutenu à bout de bras la croissance française, la consommation des ménages devrait donc désormais « vivoter », progressant mollement au gré des promotions et des conditions climatiques et sociales. Selon nous, elle croîtrait d’au mieux 1,5 % cette année. Il n’y a donc pas péril en la demeure, mais la « fièvre acheteuse » restera un vieux souvenir.

Cette croissance molle apparaît également dans les dernières enquêtes de conjoncture de l’INSEE. En effet, après quatorze mois de remontée poussive, le climat des affaires dans l’industrie française est déjà reparti à la baisse.

En perdant deux points en juin, il réalise même sa plus mauvaise performance depuis mars 2009. Certes, avec un niveau de 95, il reste à un niveau appréciable, mais toujours au-dessous de la barre des 100 qui représente sa moyenne de long terme. La dernière fois que cette dernière a été dépassée remonte d’ailleurs à juin 2008 !

En outre, cette baisse s’explique principalement par la chute de l’indicateur des perspectives personnelles de production, c’est-à-dire l’un des meilleurs indicateurs avancés de l’activité industrielle et de la croissance globale. Ainsi, après avoir déjà baissé de trois points en mai, cet indicateur en a encore perdu dix en juin. Avec un niveau de – 7, il se situe à un plus bas depuis décembre 2009.

Le climat des affaires en France repart déjà à la baisse.

Sources : INSEE et Datastream

Autrement dit, en dépit de la baisse de l’euro et du rebond de la croissance mondiale, les industriels français sont toujours à la peine. Cet apparent paradoxe ressort très bien dans l’évolution des carnets de commandes. En effet, alors que les carnets de commandes étrangers gagnent sept points en juin, les carnets de commandes globaux en perdent quatre ce même mois.

Conclusion : la demande intérieure recule fortement, et ce en particulier dans les biens d’équipement et les transports. Deux évolutions qui confirment que l’investissement n’a toujours pas retrouvé le chemin de la croissance et que la fin de la prime à la casse commence déjà à produire ses effets négatifs.

Pis, ces replis tranchent avec la bonne résistance de l’industrie allemande, comme en témoigne la nouvelle augmentation du climat des affaires de l’enquête IFO en juin. Malheureusement, il n’y a pas de recette miracle : l’Allemagne a eu le courage de mettre en place des réformes profondes de son économie et de son industrie, elle en récolte aujourd’hui les fruits. A l’inverse, la France a continué sa fuite en avant, en soutenant artificiellement son économie, sans la réformer et la moderniser, elle reste donc ancrée dans la croissance molle.

L’industrie allemande résiste mieux que son homologue française.

Sources : IFO, Bundesbank et Datastream

Ce triste constat industriel se retrouve d’ailleurs au niveau de l’ensemble des secteurs économiques. Ainsi, en juin, le climat des affaires se replie également dans le commerce de détail et dans les services. De plus, ce retour du pessimisme ne peut évidemment pas être imputable à la catastrophique prestation des Bleus au Mondial, puisque les enquêtes ont été menées avant les frasques de ces derniers.

En revanche, cela doit nous préparer à des enquêtes de juillet encore plus moribondes. Car s’il est clair qu’un bon parcours des Bleus n’aurait pas transformé la croissance molle en une croissance forte, leur comportement dramatique risque d’alimenter le pessimisme ambiant.

Si nous maintenons notre prévision d’une croissance française de 1,5 % cette année et d’environ 2 % en 2011, il s’agit là de plafonds qui pourraient malheureusement être abaissés dans les prochains mois, par exemple si l’euro ne poursuit pas sa baisse et/ou si la crise politique eurolandaise perdure.

Marc Touati

 

 

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


 

Les Marchés :

Un baril à 80 dollars : un cours idéal.


Après une flambée en début d’année, le baril se stabilise depuis quelques mois entre 70 et 80 dollars. Comme nous l’avançons depuis déjà plusieurs années, il s’agit là d’un cours idéal qui bénéficie aux producteurs pétroliers sans casser la croissance mondiale.

En effet, un baril stabilisé autour des 80 dollars, voire 85, permet de limiter l’augmentation des coûts pour les entreprises et de réduire les pressions inflationnistes sur les ménages.

Tout au plus, l’inflation devrait-elle osciller entre 2 % et 3 %, ce qui constitue également un niveau optimal qui permet de garantir un certain dynamisme de la consommation (les ménages refusant de différer leurs dépenses car les prix augmentent significativement), tout en maintenant un pouvoir d’achat appréciable.

Selon nous, et comme nous l’anticipions lorsque le baril valait 150 dollars en juillet 2008 ou 34 dollars début 2009, celui-ci devrait se stabiliser durablement autour des 80 dollars.

Et ce, pour au moins quatre raisons principales.

Primo, un baril à 80 dollars est en phase avec une croissance mondiale stabilisée autour des 4 % tant en 2010 qu’en 2011.

80 dollars le baril pour 4 % de croissance mondiale.

Sources : FMI, Bloomberg, Datastream

Secundo, l’offre mondiale de pétrole reste et restera supérieure à la demande. En effet, les nombreux investissements menés dans le forage et le raffinage dans les années 2000 produisent aujourd’hui pleinement leurs effets positifs. Compte tenu des sommes investies, il est donc peu probable que les robinets soient fermés ou même ralentis, en particulier en Russie et dans le grand Nord canadien.

En outre, il ne faut pas oublier les investissements non encore opérationnels qui constituent une réserve massive de production pour les prochaines années.