Une Coupe du Monde de crise.

 

Il y a quelques semaines nous écrivions ici même une Humeur intitulée « Vivement la Coupe du Monde ». Nous étions alors en pleine crise existentielle de la zone euro (qui n’est d’ailleurs toujours pas terminée) et nous expliquions que le Mondial de football tomberait à pic pour rafraichir les idées et réduire, au moins temporairement, la pression qui sévissait sur les pays eurolandais et plus globalement sur les marchés.

Malheureusement, si le Mondial a bien commencé et a bien apaisé les esprits dans un premier temps, nous étions loin d’imaginer que cette Coupe du Monde de football ne serait finalement que le reflet de la situation économique mondiale. Autrement dit, la crise est partout, même dans le foot. Ainsi, alors qu’il est généralement le théâtre d’un beau spectacle, avec de nombreux buts, des stratégies offensives et des joueurs survoltés qui « mouillent le maillot », le Mondial 2010 est pour l’instant une succession de matchs plutôt fades, avec peu de buts et peu d’enthousiasme. Bref, il est exactement à l’image de la croissance, particulièrement en Europe, c’est-à-dire molle.

Dans le prolongement de cette apathie européenne, le Mondial sud-africain marque aussi l’émergence de nouvelles puissances. Si l’Asie de l’Est et l’Afrique restent encore en retrait (à l’exception de la Corée du Sud et du Ghana), les pays latino-américains sortent du lot. Et pour cause : à l’exception du Honduras, tous les pays d’Amérique du Sud présents se sont qualifiés pour le second tour. Parallèlement et à l’image de leur résistance économique, les Etats-Unis constituent aussi une des grandes surprises de ce Mondial. Ils finissent même premiers d’un groupe pourtant difficile, avec notamment l’Angleterre qui, à l’instar de son économie, a sauvé de justesse les joyaux de la Couronne.

En revanche et à l’image de leur situation économique, les pays européens, et en particulier ceux de la zone euro, souffrent. Alors qu’ils sont déjà les parents pauvres de la croissance mondiale depuis une dizaine d’années, ces derniers prennent désormais la même place sur l’échelle du football international. Ainsi, qu’il s’agisse de l’Espagne ou du Portugal, la douleur prime et leur qualification ne se fera qu’à l’arraché (à l’heure où nous écrivons cet article, nous ne savons pas si l’Espagne s’est qualifiée). Quant à la Slovénie, son entrée dans la zone euro ne lui aura pas porté bonheur pour au moins deux raisons : non seulement, elle a sombré dans une grave récession en 2009 (son PIB a même chuté de 7,3 % l’an dernier et peinera à redémarrer en 2010) et, de surcroit, elle n’a même pas passé le premier tour du Mondial. La Slovaquie a eu plus de réussite, mais au grand dam de l’Italie, qui, bien que championne du monde en titre, ne passera même pas le premier tour. Une claque nationale encore plus dramatique pour la population italienne que leur dette publique, qui n’est pourtant plus passée sous les 100 % du PIB depuis les années 80 et avoisine les 130 % en 2010. Que dire alors de la Grèce qui, après avoir été championne d’Europe des Nations en 2004 et championne du monde de la dette publique depuis bientôt dix ans, n’a également pas réussi à atteindre les huitièmes de finale.

En fait, les seuls pays eurolandais qui ont su se qualifier sans trop de difficultés sont également ceux qui ont su mettre en place des réformes économiques courageuses depuis déjà plusieurs années, en l’occurrence l’Allemagne et les Pays-Bas. Et même si elles ne sont plus aussi flamboyantes que dans les années 70-90, ces équipes restent des valeurs sûres.

Bien loin de ces performances et de cette résistance à l’adversité, la France s’est, une fois de plus illustrée, dans le mauvais sens du terme. Cependant, si l’on savait qu’à l’image de leur symbole, à savoir le coq, les Bleus aiment souvent claironner les pieds dans la boue, ils ont cette fois-ci dépassé les bornes. Pis, leur comportement d’enfants gâtés qui refusent de voir la réalité en face, se tirent dans les pattes et osent fanfaronner apparaît comme un reflet troublant de la société et de l’économie française. En effet, si cette dernière a su être capable du meilleur dans les années 1998-2000, en réalisant une croissance forte, à l’instar des Bleus qui ont emporté le Mondial 1998 et l’Euro 2000, elle peut aussi produire le pire. Depuis 2002, la France est ainsi l’une des lanternes rouges de la croissance eurolandaise et se paie en même temps le luxe d’afficher le troisième plus mauvais déficit public de la zone euro (3,8 % du PIB de 2002 à 2009, juste derrière les 4,2 % du Portugal et les 6,3 % de la Grèce).

Mais comme si cela ne suffisait pas, de nombreux Français, y compris certains dirigeants politiques, restent hermétiques à la réforme et à la remise en question. Et lorsque l’on tape du poing sur la table, par exemple pour réformer la retraite par répartition qui court à sa perte ou pour essayer de relancer une équipe de foot à la dérive en quête de qualification, certains n’hésitent plus à se mettre en grève. A la rigueur, lorsqu’il s’agit d’ouvriers qui ont trimé toute leur vie pour avoir le droit de percevoir une petite retraite, cela peut se comprendre, mais lorsqu’il s’agit de jeunes millionnaires âgés de 20 à 30 ans et qui prendront leur retraite dorée à 35 ans au plus tard, cela a évidemment de quoi choquer. On retrouve là notre fameux « syndrome du pouf » (cf. le Weekly du 18 décembre 2009).

Face à ce désastre, les autorités politiques, jusqu’au sommet de l’Etat, montent évidemment au créneau et promettent que tout va changer. Cela rappelle étrangement les innombrables promesses des dirigeants politiques français qui, depuis des décennies, annoncent qu’ils vont augmenter la croissance structurelle de la France, réduire son taux de chômage, diminuer les inégalités et la pauvreté et ce tout en assainissant les finances publiques. Les résultats sont malheureusement bien connus : une croissance structurelle d’environ 1,5 %, un taux de chômage de 10 %, un taux de pauvreté de 14 %, une dette publique de 80 % du PIB et des dépenses de fonctionnement de la puissance publique qui ont augmenté de 87 milliards d’euros depuis 2002.

C’est certainement là que réside le drame de ce Mondial : alors qu’il devait nous divertir, il nous rappelle cruellement la réalité économique mondiale : une croissance forte dans le monde émergent, une résistance américaine à toute épreuve, une zone euro en déliquescence et une France qui perd. Quelle tristesse…

Marc Touati