Emploi US, Europe, Livre sterling : up and down (E&S n°129)

 

Humeur :

Crise européenne : le feu, ça brûle…


Dans une émission des années 1980, Jacques Martin aurait certainement dit « c’est incroyable, mais vrai ! ». En effet, après déjà dix ans de mauvaise gouvernance économique, d’erreurs en tous genres et après avoir frôlé l’explosion de la zone euro il y a à peine un mois, les dirigeants politiques et monétaires eurolandais ne parviennent toujours pas à calmer le jeu et continuent d’accumuler les bourdes et les déclarations malencontreuses.

On ne s’étendra pas sur les propos déplacés de Martine Aubry qui, pour de simples mobiles électoralistes, n’a pas hésité à comparer les méthodes comptables du Président de la République française à celle de Bernard Madoff. Si le débat de politique politicienne est chargé de déclarations de ce type, il faut reconnaître qu’une telle comparaison dans un contexte où la France peine à réformer sa retraite par répartition et affiche un déficit public et une dette historiquement élevés est particulièrement malvenue. Elle tend à laisser croire qu’à l’instar de ceux de la Grèce, les comptes publics de la France pourraient s’avérer erronés. A la rigueur, une telle déclaration aurait presque pu passer inaperçue sur la scène internationale si quelques heures plus tard, une autre déclaration n’était pas venue jeter définitivement le trouble sur la crédibilité de la politique budgétaire française.

Et, cette fois-ci, il ne s’agit plus de la responsable du premier parti d’opposition, mais du tout nouveau Secrétaire d’Etat au Budget, qui, alors que les braise de la crise de la dette publique sont encore incandescentes, n’a pas hésité à déclarer que “l’objectif du maintien de la note AAA est un objectif qui est tendu”. Patatras ! Est-ce le trac, le sourire charmeur de l’intervieweuse de Canal + ou tout simplement de la naïveté, toujours est-il que le responsable du budget français a laissé entendre que la note AAA de la dette souveraine était menacée.

Bien sûr, quelques heures tard, le cabinet de celui-ci n’a pas manqué de rectifier le tir, en soulignant que par « tendu », il fallait comprendre « exigeant, qui ne se relâche pas ». Ouf ! Pourtant, le mal est fait et notre pauvre Monsieur Baroin va devoir s’expliquer jour après jour pour essayer de faire oublier sa gaffe. Seulement voilà, en voulant se rattraper, très souvent, on s’enfonce davantage et surtout on installe le débat sur la scène médiatique.

Dès lors, si le sujet paraissait hors de propos il y a encore quelques jours, de plus en plus de personnes se posent une double question : la France peut-elle perdre son triple A ? Et, le cas échéant, quelles en seraient les conséquences ? Le simple fait de s’interroger de la sorte fait évidemment froid dans le dos. Tout d’abord, parce que tous les observateurs avertis savent que si les agences de notations adoptaient une lecture très stricte de leurs critères de rating, la dette souveraine française aurait été dégradée il y a déjà plusieurs années. Et a fortiori aujourd’hui, compte tenu de la dégradation avancée des comptes publics hexagonaux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une dette publique supérieure à 80 % du PIB en 2010, un déficit public de 7,5 % du PIB tant en 2009 qu’en 2010 et un déficit annuel moyen de 3,8 % de 2002 à 2009, soit la troisième plus mauvaise « performance » de la zone euro, derrière la Grèce (6,3 %) et le Portugal (4,2 %). Encore heureux que la France n’ait pas engagé son grand emprunt de 100 milliards d’euros…

A titre de comparaison, la note de l’Espagne est passée de AAA à AA, alors que son déficit moyen de 2002 à 2009 n’a été que de 1,5 % et que sa dette publique ne sera « que » de 70 % du PIB en 2010. De plus, l’Espagne a déjà commencé à mettre en pratique des mesures d’assainissement budgétaire, alors que la France en a certes parlé, mais n’a toujours pas joint le geste à la parole… Enfin, n’oublions pas qu’en dépit de la crise, la croissance structurelle de l’Espagne dépasse les 2 %, alors qu’elle n’est que de 1,5 % dans l’Hexagone.

Autrement dit, sur la base des seuls fondamentaux économiques et notamment les résultats de ses comptes publics, la France ne mérite pas son AAA. Si ce dernier est maintenu, c’est principalement pour des raisons géopolitiques, la France étant l’une des deux locomotives de la construction européenne. Sa dégradation reviendrait donc à plonger la zone euro dans un chaos dramatique. De plus, à moins de deux ans des prochaines élections présidentielles, les agences de notations ne souhaiteront vraisemblablement pas s’immiscer dans le débat politique français en retirant le triple A à la France. Les conséquences d’une telle décision seraient effectivement désastreuses : les taux d’intérêt augmenteraient, aggravant la charge d’intérêts de la dette publique, donc le déficit, mais aussi déprimant l’investissement, donc l’emploi, ce qui finirait, là aussi, par creuser le déficit. En outre, un mouvement de contagion s’imposerait encore plus gravement qu’avec la Grèce et pourrait certainement déboucher sur une explosion de la zone euro.

Monsieur Baroin était-il conscient de toutes ces données lorsqu’il prononçait, très à l’aise, son discours sur la notation de la France ? Certes, il ne faut pas non plus faire une tempête dans un verre d’eau, surtout que faire des lapsus en direct, cela peut arriver. D’ailleurs, en temps normal, une telle erreur serait presque passée inaperçue, tant nous en avons l’habitude en France et en Europe. Cependant, dans la phase actuelle d’extrême tension et alors que la zone euro vient tout juste de sortir la tête de l’eau, ces dérapages verbaux ne font que mettre de l’huile sur le feu, alimentant la défiance sur la stabilité de la zone euro et ravivant par là même les flammes du Bear Market.

Et ce d’autant que, deux jours après la gaffe Baroin, la BCE a, elle aussi, décidé d’alimenter l’incendie, en publiant une étude selon laquelle une nouvelle vague de pertes devrait s’observer au sein des banques européennes. S’il est certes du devoir de la BCE de prévenir des dangers qui menacent, il est aussi dans ses prérogatives de contrôler et de garantir la stabilité du système bancaire et financier eurolandais. Or, en entrant dans le camp des Cassandre, il n’est pas sûr qu’elle remplisse ce rôle…

Bref, nous n’allons pas refaire l’histoire des petites phrases, des lapsus, des publications et des décisions qui ont coûté très cher à la stabilité économique et financière de la zone euro, mais une chose est sûre : nos dirigeants politiques et monétaires doivent peser leurs mots et arrêter de prendre la crise eurolandaise à la légère, car, à force d’être attisé, le feu risque vraiment de devenir incontrôlable…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis : 982 000 créations d’emplois nettes depuis le début 2010.


Lorsqu’il y a quelques mois, nous écrivions dans ces mêmes colonnes que les créations d’emplois aux Etats-Unis dépasseraient les 150 000 par mois à partir du printemps, cela paraissait parfois excessif. Or, après avoir déjà créé 208 000 emplois en mars, puis 290 000 en avril, la job machine américaine en a encore généré 431 000 en mai.

Le problème est que, bien loin de leur pessimisme habituel sur l’emploi outre-Atlantique, les marchés s’étaient mis à rêver d’un chiffre mirobolant de plus de 530 000, voire 600 000 selon une grande banque américaine.

Dès lors, avec une performance de « seulement » 431 000, ils apparaissent déçus et font grise mine. Certes, il est clair que cette performance s’explique en grande partie par les 390 000 créations d’emplois publics, notamment dans le cadre du recensement organisé aux Etats-Unis. Autrement dit, on ne relève que 41 000 créations d’emplois dans le secteur privé en mai, contre 218 000 en avril et 158 000 en mars.

Pour autant, il faut reconnaître qu’après deux mois de forte vigueur, un ralentissement était inévitable. Cela n’enlève donc rien au net redémarrage du marché du travail américain qui a tout de même créé 982 000 emplois nets depuis le début de l’année 2010. Nous sommes donc très loin de la jobless recovery (c’est-à-dire la reprise sans emploi). Et ce tant dans l’industrie que dans les services qui, au cours des cinq derniers mois, ont créé respectivement 126 000 et 430 000 emplois nets.

La reprise de l’emploi s’observe dans l’industrie et les services.

Sources : BLS, Datastream

Mais ce n’est pas tout. En effet, les indices « emplois » des enquêtes ISM des directeurs d’achat ont continué de s’améliorer en mai. Dans l’industrie manufacturière, cet indicateur avancé de l’emploi a atteint un niveau de 59,8, un sommet dépassé à seulement trois reprises depuis 1980, la dernière fois remontant à mai 2004. Quant à son équivalent dans les services, s’il est évidemment moins euphorique, il a cependant atteint 50,4 en mai, soit un plus haut depuis décembre 2007.

La reprise de l’emploi est loin d’être terminée.

Sources : BLS, ISM, Datastream

En d’autres termes, la bonne tenue de l’emploi depuis le début 2010 devrait s’intensifier dans les prochains mois. Les indicateurs ISM ci-dessus indiquent même que la job machine devrait créer encore 1 million d’emplois nets d’ici la fin 2010.

En attendant, il faut d’ores et déjà noter qu’après une augmentation intempestive en avril, le taux de chômage est retombé à 9,7 % en mai, contre un sommet de 10,1 % en octobre 2009. Si la baisse du chômage reste encore modérée, elle est cependant bien enclenchée.

Le taux de chômage baisse doucement, mais sûrement.

Sources : BEA, BLS, Datastream

De plus, les salaires ont continué de progresser fortement : + 0,3 % pour le salaire horaire moyen et + 0,6 % pour les salaires hebdomadaires moyens, soit des glissements annuels de respectivement + 1,9 % et + 2,8 %. Cette dynamique devrait donc permettre à la consommation de rester bien orientée et de continuer de soutenir la croissance du PIB. Cette dernière profitera également du fort rebond de l’investissement qui a déjà commencé et qui devrait encore s’intensifier au cours des prochains trimestres, comme le montre la forte hausse des commandes de biens d’équipements depuis le début 2010.

Les Etats-Unis toujours en route vers 4 à 5 % de croissance.

Sources : BEA, ISM, Datastream, Bloomberg


En dépit d’une petite baisse dans l’industrie et d’une stabilisation dans les services en mai, les indices synthétiques des enquêtes ISM des directeurs d’achat confirment d’ailleurs que la croissance américaine devrait bien avoisiner les 4 à 5 % d’ici la fin de l’année.

Les marchés doivent donc arrêter d’être trop pressés et trop gourmands, la croissance et l’emploi sont bien durablement de retour aux Etats-Unis, ce qui ne justifie donc aucunement le retour du pessimisme boursier, comme nous le vivons depuis deux mois.

 

Marc Touati

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

Les Marchés :

Le Royaume-Uni va mieux, la livre sterling aussi.


Après avoir frôlé la parité avec l’euro début 2009, la livre sterling a progressivement remonté la pente l’an passé. Pourtant, compte tenu d’une reprise économique décevante outre-manche, la devise britannique est repartie à la baisse, se rapprochant dangereusement des 0,95 pour un euro à l’automne 2009.

Il aura donc fallu attendre la crise grecque, puis celle de la zone euro et enfin, le retour d’une croissance appréciable au Royaume-Uni, pour voir la devise de sa Majesté retrouver un mouvement haussier.

Ne nous leurrons pas, nos amis britanniques ne sont pas pressés de voir la livre s’apprécier fortement. D’ailleurs, au cours de la dernière campagne électorale, aucun candidat n’a osé se plaindre de la non-appartenance du Royaume-Uni à la zone euro.

Et pour cause : c’est grâce à cette clause d’opting out que nos voisins iliens ont pu utiliser à plein leurs trois armes de politique économique : une relance budgétaire historique, un taux de base de la Banque d’Angleterre abaissé à 0,5 % dès le début 2009 et une livre sterling « de combat ».

La forte baisse des taux et de la livre au service de Sa Majesté.

Sources : UK ONS, Datastream, Bloomberg

Il est clair que si le Royaume-Uni avait intégré la zone euro au cours de la décennie 2000, comme l’avait d’ailleurs promis Tony Blair, la récession aurait été encore plus grave que celle subie en 2009. On comprend dès lors pourquoi, le Royaume-Uni ne fera certainement jamais partie de la zone euro.

Pour autant, cet opting out n’a pas permis à la perfide Albion d’éviter la récession, ni de retrouver rapidement une croissance forte. La raison en est simple : le Royaume-Uni était devenu une économie presque mono-produit, c’est-à-dire trop exclusivement liée à l’industrie financière. A partir du moment où cette dernière a subi une crise sans précédent, l’économie britannique devenait inévitablement la proie des flammes de la récession.

Cependant, conformément à leur réactivité légendaire, les Anglais n’ont pas baissé les bras et ont su relancer progressivement leur machine économique, en particulier grâce à une dépréciation exceptionnelle de la livre sterling.

Dans ce cadre, le PIB britannique a, bon an mal an, retrouvé le chemin de la croissance. D’abord limitée, cette dernière devrait rapidement atteindre, voire dépasser, les 2 %. Il s’agit d’ailleurs là de son rythme structurel.

Dans le même temps, après une année 2008 de forte hausse, le taux de chômage se stabilise depuis l’été 2009, autour des 8 % selon les statistiques du BIT. Au regard des normes anglaises, il a même repris le chemin de la baisse depuis trois mois et atteint désormais 4,7 %, un plus bas depuis mai 2009.

La croissance revient et le taux de chômage se stabilise.