Crise européenne : le feu, ça brûle…

 

Dans une émission des années 1980, Jacques Martin aurait certainement dit « c’est incroyable, mais vrai ! ». En effet, après déjà dix ans de mauvaise gouvernance économique, d’erreurs en tous genres et après avoir frôlé l’explosion de la zone euro il y a à peine un mois, les dirigeants politiques et monétaires eurolandais ne parviennent toujours pas à calmer le jeu et continuent d’accumuler les bourdes et les déclarations malencontreuses.

On ne s’étendra pas sur les propos déplacés de Martine Aubry qui, pour de simples mobiles électoralistes, n’a pas hésité à comparer les méthodes comptables du Président de la République française à celle de Bernard Madoff. Si le débat de politique politicienne est chargé de déclarations de ce type, il faut reconnaître qu’une telle comparaison dans un contexte où la France peine à réformer sa retraite par répartition et affiche un déficit public et une dette historiquement élevés est particulièrement malvenue. Elle tend à laisser croire qu’à l’instar de ceux de la Grèce, les comptes publics de la France pourraient s’avérer erronés. A la rigueur, une telle déclaration aurait presque pu passer inaperçue sur la scène internationale si quelques heures plus tard, une autre déclaration n’était pas venue jeter définitivement le trouble sur la crédibilité de la politique budgétaire française.

Et, cette fois-ci, il ne s’agit plus de la responsable du premier parti d’opposition, mais du tout nouveau Secrétaire d’Etat au Budget, qui, alors que les braise de la crise de la dette publique sont encore incandescentes, n’a pas hésité à déclarer que “l’objectif du maintien de la note AAA est un objectif qui est tendu”. Patatras ! Est-ce le trac, le sourire charmeur de l’intervieweuse de Canal + ou tout simplement de la naïveté, toujours est-il que le responsable du budget français a laissé entendre que la note AAA de la dette souveraine était menacée.

Bien sûr, quelques heures tard, le cabinet de celui-ci n’a pas manqué de rectifier le tir, en soulignant que par « tendu », il fallait comprendre « exigeant, qui ne se relâche pas ». Ouf ! Pourtant, le mal est fait et notre pauvre Monsieur Baroin va devoir s’expliquer jour après jour pour essayer de faire oublier sa gaffe. Seulement voilà, en voulant se rattraper, très souvent, on s’enfonce davantage et surtout on installe le débat sur la scène médiatique.

Dès lors, si le sujet paraissait hors de propos il y a encore quelques jours, de plus en plus de personnes se posent une double question : la France peut-elle perdre son triple A ? Et, le cas échéant, quelles en seraient les conséquences ? Le simple fait de s’interroger de la sorte fait évidemment froid dans le dos. Tout d’abord, parce que tous les observateurs avertis savent que si les agences de notations adoptaient une lecture très stricte de leurs critères de rating, la dette souveraine française aurait été dégradée il y a déjà plusieurs années. Et a fortiori aujourd’hui, compte tenu de la dégradation avancée des comptes publics hexagonaux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une dette publique supérieure à 80 % du PIB en 2010, un déficit public de 7,5 % du PIB tant en 2009 qu’en 2010 et un déficit annuel moyen de 3,8 % de 2002 à 2009, soit la troisième plus mauvaise « performance » de la zone euro, derrière la Grèce (6,3 %) et le Portugal (4,2 %). Encore heureux que la France n’ait pas engagé son grand emprunt de 100 milliards d’euros…

A titre de comparaison, la note de l’Espagne est passée de AAA à AA, alors que son déficit moyen de 2002 à 2009 n’a été que de 1,5 % et que sa dette publique ne sera « que » de 70 % du PIB en 2010. De plus, l’Espagne a déjà commencé à mettre en pratique des mesures d’assainissement budgétaire, alors que la France en a certes parlé, mais n’a toujours pas joint le geste à la parole… Enfin, n’oublions pas qu’en dépit de la crise, la croissance structurelle de l’Espagne dépasse les 2 %, alors qu’elle n’est que de 1,5 % dans l’Hexagone.

Autrement dit, sur la base des seuls fondamentaux économiques et notamment les résultats de ses comptes publics, la France ne mérite pas son AAA. Si ce dernier est maintenu, c’est principalement pour des raisons géopolitiques, la France étant l’une des deux locomotives de la construction européenne. Sa dégradation reviendrait donc à plonger la zone euro dans un chaos dramatique. De plus, à moins de deux ans des prochaines élections présidentielles, les agences de notations ne souhaiteront vraisemblablement pas s’immiscer dans le débat politique français en retirant le triple A à la France. Les conséquences d’une telle décision seraient effectivement désastreuses : les taux d’intérêt augmenteraient, aggravant la charge d’intérêts de la dette publique, donc le déficit, mais aussi déprimant l’investissement, donc l’emploi, ce qui finirait, là aussi, par creuser le déficit. En outre, un mouvement de contagion s’imposerait encore plus gravement qu’avec la Grèce et pourrait certainement déboucher sur une explosion de la zone euro.

Monsieur Baroin était-il conscient de toutes ces données lorsqu’il prononçait, très à l’aise, son discours sur la notation de la France ? Certes, il ne faut pas non plus faire une tempête dans un verre d’eau, surtout que faire des lapsus en direct, cela peut arriver. D’ailleurs, en temps normal, une telle erreur serait presque passée inaperçue, tant nous en avons l’habitude en France et en Europe. Cependant, dans la phase actuelle d’extrême tension et alors que la zone euro vient tout juste de sortir la tête de l’eau, ces dérapages verbaux ne font que mettre de l’huile sur le feu, alimentant la défiance sur la stabilité de la zone euro et ravivant par là même les flammes du Bear Market.

Et ce d’autant que, deux jours après la gaffe Baroin, la BCE a, elle aussi, décidé d’alimenter l’incendie, en publiant une étude selon laquelle une nouvelle vague de pertes devrait s’observer au sein des banques européennes. S’il est certes du devoir de la BCE de prévenir des dangers qui menacent, il est aussi dans ses prérogatives de contrôler et de garantir la stabilité du système bancaire et financier eurolandais. Or, en entrant dans le camp des Cassandre, il n’est pas sûr qu’elle remplisse ce rôle…

Bref, nous n’allons pas refaire l’histoire des petites phrases, des lapsus, des publications et des décisions qui ont coûté très cher à la stabilité économique et financière de la zone euro, mais une chose est sûre : nos dirigeants politiques et monétaires doivent peser leurs mots et arrêter de prendre la crise eurolandaise à la légère, car, à force d’être attisé, le feu risque vraiment de devenir incontrôlable…

Marc Touati