Etats-Unis, Euroland : le découplage (E&S n°127)

 

Vivement la coupe du monde…


Tremblement de terre à Haïti, crise grecque, volcan islandais, marée noire dans le Golfe du Mexique, crise de la zone euro, secousses sur les marchés financiers. Depuis le début 2010, les catastrophes se suivent et focalisent toutes les attentions. A tour de rôle, elles font la une des médias, inquiètent, effraient, puis finissent par se faire oublier, pour peu qu’un nouveau drame vienne prendre leur place sur le devant de la scène. Ainsi va la vie et il ne servirait à rien de s’en plaindre. Pourtant, si les crises passent et s’oublient, elles laissent toujours des traces plus ou moins douloureuses. Dans le cas des catastrophes naturelles, humanitaires ou écologiques, ces traces sont évidemment plus dramatiques que lors des crises économiques. Cependant, s’il est possible de mettre un point final géographique et temporel aux premières, les secondes sont beaucoup plus difficilement maîtrisables. Ainsi, il est clair qu’après onze ans d’erreurs de gouvernance économique et monétaire et quatre mois d’atermoiements qui ont mis le feu au chaudron eurolandais, le plan de sauvetage décidé le 9 mai est enfin venu éteindre l’incendie. Comme nous l’expliquions dans notre « Réaction » du 10 mai, il a effectivement permis de montrer au monde que les dirigeants eurolandais étaient convaincus de la nécessité de pérenniser la zone euro et surtout d’en faire une terre de croissance soutenue. Les deux maîtres-mot de ce plan sont donc bien « solidarité » et « efficacité ».

Le problème est que, vu l’ampleur des dégâts, la confiance est très difficile à restaurer. Et ce, d’autant que les déclarations sans lendemain des dirigeants eurolandais depuis des années font pléthore. Ainsi, dans l’article 2 du Traité de Maastricht, n’est-il pas indiqué que l’Union doit « promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté, une croissance durable et non inflationniste respectant l’environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de vie » ? De même, en 2000, les chefs d’État ou de gouvernement n’ont-ils pas lancé une stratégie dite « de Lisbonne » dans le but de faire de l’Union européenne « l’économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein emploi avant 2010 » ? Au printemps 2009, Angela Merkel ne déclarait-elle pas que l’Allemagne resterait constamment solidaire de la Grèce ? Enfin, le 6 mai 2010, Jean-Claude Trichet n’a-t-il pas annoncé qu’il était hors de question que la BCE achète des obligations de l’Etat grec ? Bref, avec l’Union Européenne, c’est un peu comme avec Pierre et le loup : à force d’agiter les foules en annonçant l’arrivée du loup en vain, Pierre se retrouve tout seul lorsque le loup arrive vraiment, car personne ne le croit. On comprend dès lors pourquoi les annonces historiques des dirigeants européens le 9 mai dernier ont certes généré un mouvement d’enthousiasme et surtout de correction haussière des marchés boursiers le 10 mai, mais n’ont pas pour autant réussi à restaurer la confiance définitivement.

Pis, la dégénérescence de la situation européenne avant le 9 mai a remis en scelle les bearish (c’est-à-dire les Cassandre des marchés boursiers) qui, après de multiples tentatives de retour en 2009, s’étaient finalement résignés à retourner dans leurs pénates. Seulement voilà, c’était sans compter la confusion, le manque de réactivité et le dogmatisme des dirigeants politiques et monétaires eurolandais. Si bien qu’aujourd’hui, en dépit du sauvetage indubitable de la zone euro, les bear market sont redevenus à la mode. Pour les faire fuir une nouvelle fois, il n’y a donc qu’une seule solution : le retour de la croissance. En effet, si les tenants du « krach de 2009 pire que 1929 » ont perdu l’an passé, c’est uniquement parce que la croissance mondiale est revenue vers les 4 % dès le début 2010. Si les Cassandre se sont tus lors des craintes de faillite de Dubaï c’est parce que le grand frère Abu Dhabi a été présent et a su montrer qu’il sauverait Dubaï grâce à sa croissance. Enfin, si les bearish sont revenus sur les marchés avec la crise grecque, c’est parce que la zone euro n’a pas su faire preuve de solidarité et surtout n’a pas su réaliser une croissance suffisamment forte, ne serait-ce que pour rembourser les intérêts de la dette publique.

Ainsi, au-delà du plan de sauvetage de la zone euro, les dirigeants eurolandais doivent surtout confirmer que tout sera fait pour restaurer une croissance forte dans les prochains mois. Pour y parvenir et compte tenu de la nécessité de réduire leurs déficits publics, ils peuvent seulement compter sur une politique monétaire encore plus accommodante. La marge de manœuvre sur les taux directeurs étant réduite, la seule arme reste donc la dépréciation de l’euro/dollar. Aussi, en reculant très prochainement sous les 1,20 dollar, celui-ci permettra à la croissance de revenir vers les 2 à 2,5 % d’ici 2011. La croissance en valeur (c’est-à-dire augmentée de l’inflation) avoisinera les 4 %, soit environ 0,5 point de plus que la charge d’intérêts de la dette publique. La crise de la dette sera alors en voie de résorption et la zone euro sauvée pour au moins quelques années.

Le seul bémol de ce scénario favorable et, selon nous, fort probable, réside dans le fait qu’il ne se dénoue qu’à partir de la fin 2010, voire du début 2011. Or, six mois c’est long. Autrement dit, il ne faut surtout pas que les dirigeants eurolandais déçoivent d’ici là. En fait, l’idéal serait tout simplement que la pression mondiale exercée depuis quelques mois sur la zone euro se réduise progressivement, de manière à dépassionner le débat. Ce qui permettra à la fois d’engager les réformes annoncées et d’éviter de nouveaux mouvements sociaux et de nouvelles vagues spéculatives. Cette prise de recul est d’autant plus nécessaire que les bear market rodent de nouveau et sont prêts à toutes les rumeurs pour retrouver l’ascendant.

La question est donc simple : comment éloigner le spectre de la crise et détourner le prisme médiatique mondial des dirigeants de la zone euro ? Dans une dictature, la réponse aurait été simple, mais comme fort heureusement, nous sommes en démocratie, la seule solution réside dans la réalisation d’un évènement international encore plus fort que les vicissitudes de la zone euro et qui permette enfin de penser à autre chose. Une catastrophe géopolitique n’est évidemment pas souhaitable, non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi parce qu’elle ne ferait que mettre de l’huile sur le feu. Non, le seul évènement qui puisse nous éloigner durablement de la psychose de la crise est forcément sportif pour ne pas dire festif. Et cela tombe bien, car dans moins d’un mois la coupe du monde de football va commencer, occupant les esprits et s’imposant sur la scène médiatique internationale. Les buts, les cartons jaunes, les « ola » et autres coups francs vont donc pouvoir remplacer les déficits publics, la charge d’intérêt de la dette, les déclarations peu amènes d’Angela Merkel ou encore les « méchants spéculateurs ». En trois mots : Vivement le Mondial ! En espérant simplement que les résultats sportifs ne seront pas à l’aune de la réalité économique et que les pays de la zone euro ne seront pas laminés par les pays dits émergents…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Encore une petite croissance dans la zone euro


Comme nous l’avions annoncé la semaine dernière dans nos prévisions hebdomadaires, le PIB de la zone euro a progressé de 0,2 % au premier trimestre 2010 contre 0,1% prévu par le consensus. Ainsi après avoir marqué le pas au quatrième trimestre (0,0 %) faisant suite à une hausse de 0,4%, la petite croissance est de retour dans la zone euro.

Par ailleurs, après cinq trimestres consécutifs en territoire négatif et plancher à -5 % au premier trimestre 2009, le glissement annuel du PIB eurolandais est repassé dans le vert (+0,5 %). On reste toutefois très loin de la performance du PIB américain qui a progressé de 2,5 % sur la même période (+3,2 % en rythme annualisé).

Il est manifeste que la zone euro paye aujourd’hui les effets d’un euro trop fort au regard des fondamentaux économiques mais également des taux d’intérêt trop élevés. En effet, la BCE a commis l’erreur de monter ses taux en 2008 et de ne pas suffisamment les baisser en 2009, contrairement à son homologue américain, générant ainsi une stratégie de carry trade appréciant artificiellement l’euro et cassant la croissance.

D’autre part, après une hausse de respectivement 0,7 % et 0,2 %, le PIB allemand a observé une croissance similaire à celle de la zone euro affichant une croissance de 0,2 % au premier trimestre. Bien que supérieure aux attentes du consensus (+0.0 %), la croissance allemande peine à décoller. En effet, malgré le rebond du commerce mondial, l’économie allemande dont la vigueur est essentiellement basée sur les exportations, paye aujourd’hui la faiblesse de sa demande intérieure.

 

La zone euro et l’Allemagne souffrent toujours

Par ailleurs, l’Espagne et l’Italie dont le PIB avait régressé de 0,1 % au quatrième trimestre, retrouvent le chemin de la petite croissance affichant des progressions de +0,1 % et +0,5 %. Il n’y a pas toutefois de quoi s’enflammer.

De même si le Portugal dont le PIB progresse de 1% au premier trimestre tire son épingle du jeu, la Grèce poursuit sa descente aux enfers. En effet, comme au quatrième trimestre, le PIB hellénique régresse de 0,8% soit un sixième trimestre de baisse consécutif.

Par ailleurs, la France n’a toujours pas retrouvé le chemin de la croissance forte. Ainsi, après avoir baissé de 2,5 % en 2009 (un record historique), le PIB n’a progressé que de 0,1 % au premier trimestre 2010. Pis, cette petite croissance est uniquement due à la bonne performance du commerce extérieur qui, grâce à une hausse de 3,9 % des exportations et à une augmentation de seulement 2,2 % des importations a contribué à hauteur de 0,4 point à la variation du PIB. Autrement dit, hors commerce extérieur, le PIB français a reculé de 0,3 % au premier trimestre 2010.

Cette contre-performance est principalement due à la croissance zéro de la consommation des ménages, elle-même liée à la fin de la prime à la casse et à la déprime des consommateurs au premier trimestre. En outre,

L’investissement a continué de se replier. Qu’il s’agisse de l’investissement logement des ménages ou de l’investissement des entreprises, ces deux agrégats déterminants de l’économie française ont enregistré leur huitième trimestre consécutif de baisse. Sur l’ensemble de cette période, l’investissement des entreprises affiche ainsi un plongeon de 12,9 % et l’investissement des ménages un écroulement de 16 %.

 

Croissance française : tout doucement

 

Autrement dit, même si l’enquête de l’INSEE sur l’investissement industriel, qui vient également d’être publiée, annonce une augmentation de ce dernier de 6 % en valeur pour 2010, le chemin est encore long pour compenser le retard accumulé depuis le début 2008.

Et c’est bien là le problème principal de l’économie française. Car si l’investissement reste moribond, l’emploi ne peut redémarrer, réduisant mécaniquement la consommation et la croissance à venir. Dans ce cadre, après avoir atteint un record de 7,5 % du PIB en 2009, le déficit public devrait au mieux se stabiliser autour de ce niveau en 2010. Dès lors, après avoir également atteint un sommet de 78,1 % du PIB l’an passé, la dette publique devrait avoisiner les 85 % cette année. Ah ! Qu’ils paraissent loin les critères de convergence que ce sont pourtant engagés à respecter les pays de la zone euro, France en tête, dimanche dernier…

En d’autres termes, il n’est plus possible de compter sur le creusement des déficits publics pour soutenir artificiellement la croissance. Le seul espoir de requinquer cette dernière réside donc dans la poursuite de la baisse de l’euro, qui augmentera encore les exportations, réduira les importations et favorisera les investissements étrangers en France tout en limitant les investissements français à l’étranger.

Néanmoins, avec un acquis de croissance de 0,7 % à la fin du premier trimestre, il sera difficile de faire des miracles. Et ce, d’autant que la baisse de l’euro prend environ six mois avant de produire ses effets bénéfiques sur l’activité. Dans ce cadre, et si l’euro converge bien entre les 1,15 et 1,20 dollar d’ici l’automne prochain, la croissance française devrait avoisiner 1,5 % cette année avant de retrouver un niveau plus appréciable proche de 2,5 % en 2011. Il faut donc encore s’armer de patience. En espérant que d’ici 2011, la France et la zone euro sauront éviter les dérapages sociaux et/ou toute nouvelle crise de confiance.

 

Marc Touati et Jérôme Boué

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

Les Marchés :

Bourses : les écarts se creusent.


Certes, la zone euro est une réalisation formidable. Sans elle, les pays européens n’ont aucune chance de pouvoir concurrencer les mastodontes américains, chinois et bientôt indiens ou encore brésiliens.

Pour autant, force est de constater que la zone euro n’a pas été capable de réaliser une croissance économique soutenue. Ainsi, de 1999 au premier trimestre 2010, le PIB de la zone euro a progressé de 17,2 % en volume, contre une hausse de 26,1 % pour le PIB américain sur la même période.

Le PIB de la zone euro décroche….

Source : Bloomberg

Dans le même temps, la part de la zone euro dans le PIB mondial est passée de 18,5 % à 14,5 % en 2010. Si celle des Etats-Unis a aussi été réduite, elle n’a été réduire « que » de 3 points, passant de 23,5 % à 20,5 %.

Au cours de la crise récente, qui était pourtant d’origine américaine, la sanction est encore plus douloureuse, puisque depuis le deuxième trimestre 2008 jusqu’au premier de 2010, le PIB eurolandais recule de 4,2 %, tandis que le PIB américain ne baisse que de 0,7 %.

Enfin, la croissance américaine devrait avoisiner les 3,5 % en 2010, contre environ 1,5 % dans la zone euro.

Conséquence logique de ces différences, l’écart de performance entre les marchés boursiers américains et européens commence à se creuser.

L’écart se creuse aussi sur les marchés actions.

Source : Bloomberg

Ainsi, depuis 2007, cet écart atteint 20 points, le Dow Jones reculant encore de 20 %, contre une baisse de 40 % Pour l’Eurostoxx.

Depuis le début 2009, la hausse des marchés est certes revenue, mais une fois encore à l’avantage du Dow Jones, puisque son écart de performance par rapport à l’Eurostoxx avoisine les 13 points.

Dans la hausse aussi, le Dow Jones surperforme l’Eurostoxx.

Source : Bloomberg

Depuis le début de l’année, la différence se poursuit, puisque le Dow Jones recule de 3,47 %, tandis que l’Eurostoxx 50 recule de 16.35%. Mesurée en dollars, cette baisse atteint même 28,7%.

La réaction des marchés boursiers pendant la crise grecque puis celle de la zone euro a d’ailleurs bien reflété ces écarts, puisque la bourse américaine a bien mieux résisté que les marchés eurolandais.

Pour la suite de l’année, cette tendance devrait se confirmer. En effet, la place de New York devrait bénéficier d’un double avantage&nb