Les Etats-Unis créent des emplois, la zone euro crée des tensions (E&S n°126)

 

Humeur :

Crise européenne : Les dieux sont tombés sur la dette…


Face à la débandade que subit aujourd’hui la zone euro, deux questions s’imposent : comment en est-on arrivé là ? Et comment va-t-on en sortir ? Dans les deux cas, la réponse est malheureusement simple : tout est lié à l’incompétence ou non des dirigeants de la zone euro. Ainsi, au-delà du cas grec, la crise actuelle n’est que la conséquence des multiples et répétitives erreurs de gouvernance de la zone euro.

D’ailleurs, avant même la création de l’Union Economique et Monétaire (UEM) le 1er janvier 1999, le ver était déjà dans le fruit. En effet, il était d’ores et déjà clair que la zone euro ne pourrait fonctionner qu’en devenant une zone monétaire optimale (ZMO), c’est-à-dire une zone parfaitement intégrée entre des pays économiquement très proches. Autrement dit, une zone trop large était inévitablement vouée à l’échec. C’est pourtant cette option qui a été choisie. Conscients de l’aspect bancal de l’UEM, les dirigeants européens ont néanmoins imposé certains critères pour faire partie du club : un déficit public inférieur à 3 % du PIB, une dette publique sous les 60 % du PIB, une inflation limitée, des taux longs contenus et une appartenance d’au moins deux ans au Système Monétaire Européen. Mais là aussi, nouvelle erreur : les critères de convergence sont uniquement des variables nominales et ne reflètent que très peu l’économie réelle des pays concernés (par exemple le PIB par habitant, le taux de chômage…). De plus, bien loin d’être strict dans la lecture des critères, de nombreux pays ont été intégrés dans la zone euro, alors qu’ils ne respectaient pas certaines règles, et notamment celle de la dette publique. Ainsi, en 1998, au moment du choix des pays destinés à entrer dans le premier wagon de la zone euro, seuls le Luxembourg, l’Irlande, la France, le Portugal et l’Allemagne affichaient un ratio dette publique/PIB inférieur ou égal à 60 %. Les autres en étaient bien loin : 115 % en Italie, 117 % en Belgique ou encore 64 % en Espagne. Avec un niveau de 94,5 %, la Grèce n’a certes pas intégré la zone en euro en 1999, mais y est tout de même entrée deux ans plus tard, avec un ratio de… 103 %. Autrement dit, de nombreux pays ont pris le train de l’euro, alors qu’ils auraient dû rester sur le quai pendant encore quelque temps, histoire de faire leurs preuves.

Balayant de la main cet argument irréfutable de la nécessité d’une zone monétaire optimale, les dirigeants européens ont alors inventé un nouveau subterfuge : le pacte de stabilité et de croissance. Ce dernier était censé imposer aux pays de l’UEM de respecter les critères de finances publiques, sous peine de représailles financières. Mais, une fois encore, la règle ne sera jamais appliquée, si bien que de plus en plus de pays de la zone vont prolonger voire accélérer leur laxisme budgétaire. Ils auraient d’ailleurs eu tort de s’en priver : ils bénéficiaient de taux d’intérêt obligataires bas grâce à leur appartenance à la zone euro et ce, sans faire de réformes, notamment en matière d’efficacité de leurs dépenses publiques.

Mais si, de tels dérapages peuvent encore passer inaperçus en phase de croissance, même molle, ils deviennent insupportables en période de crise. Avec la récession de 2008-2009, la prophétie de Milton Friedman selon laquelle, en l’absence de ZMO, la zone euro ne survivrait pas à sa première grave crise est donc logiquement revenue sur le devant de la scène. Et, une fois encore, alors qu’il aurait été possible d’éviter le pire, les dirigeants de la zone euro vont provoquer l’irréparable. Ainsi, dès la fin 2007 et surtout en 2008, ces derniers se sont félicités de la force de l’euro/dollar et l’ont même l’alimentée. Alors que la récession s’installe dès le deuxième trimestre 2008, la BCE augmente son taux refi début juillet, envoyant l’euro vers un sommet historique de 1,60 dollar, et, par voie de conséquence, le baril de pétrole à 150 dollars. Dès lors, la récession a empiré, dépassant largement celle des Etats-Unis.

Prolongeant le massacre et alors que la crise mondiale bat son plein, la BCE a encore refusé de baisser son taux refi au niveau des taux de la majorité des banques centrales occidentales, relançant de nouveau l’euro à la hausse et empêchant la croissance eurolandaise de redémarrer rapidement et fortement. En d’autres termes, rééditant les erreurs accumulées depuis 2002, la BCE a continué de sacrifier la croissance sur l’autel de l’inflation. Bien entendu, elle n’est pas la seule coupable de tous les maux de la zone euro. Ainsi, si les dirigeants eurolandais avaient indiqué aux marchés que l’euro était trop fort, ils auraient pu stopper l’hémorragie. Si, plutôt que de passer leur temps à chercher des boucs émissaires à la crise lors des G20, ils avaient essayé d’orienter ces derniers vers une coopération internationale sur le niveau des devises et notamment de l’euro/dollar, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Car, arrêtons d’être dupes : une monnaie forte n’est pas un gage de croissance soutenue, elle ne peut être que la résultante d’une économique forte. En refusant d’admettre cette évidence, les dirigeants politiques et monétaires eurolandais ont donc alimenté la croissance molle, puis aggravé la récession et enfin empêché une reprise rapide.

Mais, comme si toutes ces erreurs ne suffisaient pas, ils ont ajouté la « cerise grecque » sur le gâteau. En effet, au lieu de faire front commun et de montrer au monde le caractère indéfectible de la solidarité eurolandaise, ils ont laissé la Grèce s’enliser dans la crise et la suspicion, attendant quatre mois pour enfin réagir. Si bien qu’aujourd’hui, la viabilité même de la zone euro est remise en question.

Dans ce cadre, la seule solution à cette crise réside dans l’inversion de toutes ces erreurs. Pour ce faire, les dirigeants eurolandais doivent monter au créneau de façon concertée en déclarant au monde que la zone euro est inaliénable. Ils doivent également s’engager à restaurer la croissance et à utiliser tous les moyens possibles pour y parvenir. La politique budgétaire doit donc réduire ses nombreuses poches d’inefficacité, notamment en diminuant les dépenses de fonctionnement. La BCE doit aussi arrêter de jouer contre l’activité économique, en consacrant un taux refi adapté à la croissance, ce qui imposerait par exemple aujourd’hui que ce dernier soit descendu à 0,5 %. Enfin, la baisse de l’euro, qui a déjà commencé, doit se prolonger jusqu’à 1,20 dollar pour un euro, ce qui permettra de relancer la croissance vers les 2,5 % d’ici le début 2011.

Dès lors, la Grèce et l’ensemble de ses partenaires eurolandais pourront sortir par le haut de cette crise et la zone euro sera sauvée. Du moins temporairement. Car, n’oublions pas que le vrai problème de la dette publique réside dans la faiblesse de la croissance économique. Si cette dernière est favorisée et dépasse largement la charge d’intérêts de la dette, alors la crise actuelle aura été un mal pour un bien. A l’inverse, si nos vieux démons démagogiques et dogmatiques reprennent le dessus, la croissance repartira très vite à la baisse et la crise actuelle ne sera que la genèse d’une catastrophe encore plus grave qui mettra fin à la zone euro dans les prochaines années. Espérons donc qu’une fois n’est pas coutume, nos dirigeants politiques et monétaires sauront être à la hauteur.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

L’Oncle Sam en pleine forme.


Pendant que la zone euro continue de souffrir tant d’un point de vue économique que politique, l’économie américaine s’installe sur le chemin d’une croissance soutenue et d’un emploi dynamique.

Ainsi, après avoir créé 230 000 emplois en mars (contre 162 000 annoncés initialement) la job machine américaine passe à la vitesse supérieure affichant 290 000 créations emplois en avril, soit sa meilleur performance depuis mars 2006.

Parallèlement le secteur manufacturier enregistre son quatrième mois de créations d’emplois avec 44 000 postes en avril soit un plus haut depuis août 1998.

Comme nous l’avions annoncé dans nos colonnes, les créations d’emplois dans les services flambent. En effet après avoir généré 119 000 emplois en mars, les services ont créés 166 000 emplois en avril, soit leur meilleure performance depuis novembre 2006. Et ce notamment grâce aux services aux entreprises qui ont créés 80 000 emplois en avril.

Par ailleurs le commerce de détail confirme sa bonne tenue puisqu’il affiche 12 000 créations d’emplois en avril après en avoir généré 15 000 en mars.

Bien au delà des prévisions du consensus qui attendait 190 000 créations d’emplois dont 20 000 dans le secteur manufacturier, la performance de la job machine américaine nous prouve que l’on est bien loin de la jobless recovery annoncée par beaucoup.

Une petite ombre au tableau subsiste toutefois puisque après s’être stabilisé au niveau de 9,7 % depuis le mois de janvier le taux de chômage repart à la hausse pour atteindre 9,9 %. Cependant alors nous anticipons une croissance du PIB américain de 3,5 % en moyenne annuelle en 2010 le taux chômage devrait retomber au niveau de 9,2 % cette année.

Par ailleurs après avoir régressé en mars les salaires horaires affichent une croissance nulle en avril et progressent de 1,6% sur un an.

Enfin il faut souligner que le nombre d’heures travaillées par semaine continue de progresser à 34,1 soit un plus haut depuis janvier 2009.

En conclusion ces chiffres nous confirment que le marché du travail américain est bien sur la voie de la reprise forte et durable. Cette reprise va d’ailleurs s’intensifier dans les prochains mois comme l’indique la bonne tenue des indices «emploi» des enquêtes ISM des directeurs d’achat dans l’industrie et dans les services.

 


Créations d’emplois : ce n’est qu’un début

Sources : Bloomberg, ISM, BEA

De plus, après la forte augmentation du PIB depuis trois trimestres, les enquêtes ISM des directeurs d’achat dans l’industrie et les services ont continué de s’améliorer.

Certes, dans les services, l’indice synthétique a stagné en avril. Cependant, avec un niveau de 55,4, il reste en phase avec une progression du PIB d’environ 3,5 %.

Mieux, en dépit des sommets déjà atteints au cours des derniers mois, l’indice ISM dans l’industrie manufacturière a encore progressé pour atteindre un niveau de 60,4, un plus haut depuis avril 2004. Un tel sommet laisse imaginer un glissement annuel du PIB supérieur à 4 % dans les tous prochains mois.

Croissance forte : Et ça continue…

Sources : Bloomberg, ISM, BEA

En outre, l’indice ISM relatif aux commandes, c’est-à-dire l’un des meilleurs indicateurs avancés de l’investissement des entreprises, a atteint un niveau de 65,7. Cette évolution laisse envisager qu’après avoir atteint 6,9 % au premier trimestre 2010, le glissement annuel de l’investissement devrait s’installer au-dessus des 10 % au moins jusqu’à la fin 2010.


Déjà en forte reprise, l’investissement des entreprises devrait encore fortement progresser.

Sources : ISM, Datastream

Autrement dit, le cercle vertueux investissement-emploi-consommation est non seulement déjà en marche et devrait s’intensifier au cours des prochains trimestres.

 

Marc Touati et Jérôme Boué

 


 


La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

Les Marchés :

L’euro/dollar à la cave.


Certains (notamment ceux qui n’ont pas cessé d’annoncer l’effondrement du dollar face à l’euro pour 2010, et ils étaient encore très nombreux il y a tout juste quelques semaines) s’offusquent de la baisse de l’euro. Pourtant, cette dernière est certainement la seule bonne nouvelle de la crise grecque.

En effet, nous aurions pu bénéficier de cet euro moins fort il y a déjà un an.  Malheureusement, le refus de la BCE d’abaisser son taux refi au niveau de la plupart des taux directeurs des banques centrales occidentales a empêché ce bienfait de se produire.

La dérive de l’euro…

Sources : Bloomberg, Global Equities

Il aura donc fallu attendre une crise eurolandaise sans précédent pour obtenir l’inévitable, à savoir un euro sous les 1,30 dollar.

Autrement dit, la baisse de l’euro aurait pu être obtenue dans la douceur, mais à cause du dogmatisme et de l’incompétence de nos dirigeants politiques et monétaires, elle s’est produite dans la douleur.

Depuis 2008, l’euro fort tranche avec la faiblesse économique.

Sources : Bloomberg, Eurostat, Datastream

Cette dépréciation devrait d’ailleurs se poursuivre dans les prochains mois, jusqu’à un niveau de 1,20 dollar selon nos prévisions. Ce palier serait idéal puisqu’il constitue le niveau d’équilibre de l’euro/dollar selon la théorie du Natrex (taux de change naturel en fonction des fondamentaux économiques que sont la croissance, l’inflation, l’épargne, le solde de la balance courante).

L’euro/dollar revient enfin vers des niveaux normaux.

Sources : Bloomberg, Calculs Global Equities

Pour les plus « gourmands », on pourrait également évoquer le niveau de la parité des pouvoirs d’achat qui se situe autour des 1,15 dollar pour un euro.