Crise européenne : Who’s next ?

 

Tout un symbole ! Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, qui n’a cessé de vanter les mérites de la zone euro et de sa soi-disant supériorité sur l’économie américaine, vient de réaliser un virage à 180° en déclarant que la fin de l’euro était devenue possible. Une telle perspective, qui paraissait inimaginable au plus grand nombre il y a encore quelques semaines, est donc bien en train de s’installer.

La raison en est malheureusement simple : en laissant la zone euro s’enliser dans la récession dès 2008, puis en l’empêchant de redémarrer fortement fin 2009 et enfin en laissant la crise grecque dégénérer, les autorités eurolandaises ont atteint un point de non-retour. Et, de la même façon que l’annonce du plan de sauvetage de la Grèce il y a presque un mois n’avait pas été prise au sérieux, sa concrétisation il y a deux jours est loin d’avoir convaincu les marchés. Pis, ces derniers en ont déduit que non seulement la crise grecque était loin d’être finie, mais surtout qu’elle pourrait bientôt entraîner des dérapages similaires dans d’autres pays de la zone euro.

Pourquoi tant de haine ? Pourrait-on penser. En fait, il ne s’agit pas de haine mais plutôt de bon sens. En effet, plus les mois passent, plus la Grèce ressemble à l’Argentine des années 1998-2002. A l’époque, au lendemain de la crise asiatique, l’Argentine plonge dans la récession, notamment parce qu’elle est bloquée par un taux de change surévalué de 1 peso pour 1 dollar. En 2000, elle demande et obtient l’aide du FMI, mais en échange d’un plan de rigueur sans précédent. La récession empire si bien que, dès le début 2002, l’Argentine est contrainte de dire « non » aux injonctions du FMI. Elle supprime donc son plan de rigueur, puis laisse sa devise se déprécier fortement et enfin renégocie un moratoire de sa dette. Autrement dit, il n’a servi à rien de vouloir éviter l’inévitable : dès le début de la crise, la seule sortie de secours de l’Argentine résidait dans la dévaluation de sa devise. Avoir voulu refuser l’évidence s’est finalement traduit par une crise sociale catastrophique qui a finalement imposé dans la douleur la solution qui aurait pu être pratiquée dans la douceur quatre ans plus tôt.

La situation grecque est malheureusement très proche : en engageant un plan de rigueur de 30 milliards d’euros, soit 12,6 % de son PIB, la Grèce s’est condamnée à une récession insurmontable, sachant qu’elle est déjà au bord de la crise sociale. De plus, en augmentant son taux de TVA de 21 % à 23 %, elle va certainement accroître son économie parallèle, qui est pourtant son fléau numéro un.

Autrement dit, comme d’habitude et en dépit des erreurs du passé, les dirigeants du FMI et de la zone euro ont encore agi par dogmatisme, faisant fi des réalités économiques. Car s’il était important de permettre à la Grèce de financer sa dette sans faire appel aux marchés, il était encore plus déterminant de restaurer la croissance de la Grèce et plus globalement, celle de la zone euro.

Car ne l’oublions pas, le problème central de la dette publique des pays eurolandais réside dans le fait que la charge d’intérêts que doivent payer chaque année ces derniers sur leur dette publique est supérieure à leur croissance économique.

Dès lors, tant qu’une croissance forte et durable ne sera pas assurée, la crise de la dette eurolandaise se prolongera. Avec une question simple : Who’s Next ? Portugal, Espagne, Italie, France, tous ces pays sont concernés. Car, ne nous leurrons pas, avec des dépenses publiques qui excèdent les 50 % du PIB (55,6 % pour la France), des déficits publics qui oscillent autour des 8 %, une charge d’intérêt de la dette de plus de 3,2 % du PIB et une croissance économique d’au mieux 1,5 % cette année, nous sommes tous un peu grecs…

Il faut donc agir vite, par exemple, avec une baisse du taux refi de la BCE à 0,5 %. L’euro, qui a déjà bien baissé, ira alors rapidement vers les 1,20 dollar. La zone euro pourra alors profiter à plein de la reprise de la croissance mondiale, tout en limitant ses importations, rendues plus chères par la dépréciation de sa devise. Quant au cours du pétrole, pas d’inquiétude, puisque plus le dollar montera, plus la hausse des prix pétroliers sera limitée. Enfin, pour sauver définitivement la zone euro, elle devra forcément devenir une zone monétaire optimale. « Rêve pieux » diront certains. Peut-être, mais si nous n’y arrivons pas, il faudra se faire à l’idée de la disparition de l’euro dans les prochaines années.

 

Marc Touati