La zone euro aux abois et la caravane américaine passe (E&S n°125)

 

Humeur :

Zone euro : la fin d’un rêve ?


Lorsqu’il y a un an dans ces mêmes colonnes ou dans le livre « Krach, boom et demain ? », nous évoquions que la Grèce pourrait être incitée ou contrainte de sortir de la zone euro, nous étions loin d’imaginer qu’un tel cas de figure deviendrait envisageable en si peu de temps. Certes, nous n’en sommes pas encore là et nous espérons que nous réussirons à éviter une telle issue. Pourtant, il ne faut pas être dupe. Les tensions actuelles ne se cantonnent pas à la Grèce, ni même aux PIIGS (Portugal, Ireland, Italy, Greece, Spain), mais elles reflètent une crise beaucoup plus profonde et plus générale : celle de la zone euro.

Evidemment, certains n’hésitent pas à avancer que cette crise est uniquement le fruit des attaques de « méchants spéculateurs ». Si cet argument du bouc-émissaire est évidemment facile, elle n’en est pas moins erronée. En effet, si un mouvement spéculatif sur la dette grecque existe, il n’est pas tombé du ciel du jour au lendemain. Bien au contraire, il est simplement la conséquence des erreurs de gouvernance économique et monétaire de la zone euro tant au cours des derniers trimestres que depuis une dizaine d’années. Ainsi, dès la rédaction, puis la ratification du Traité de Maastricht, les règles étaient claires : la zone euro n’étant pas une zone monétaire optimale, elle ne peut fonctionner que si elle est très vite prolongée par une union plus politique, avec notamment une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, un marché du travail unifié, ainsi qu’un budget fédéral conséquent. En l’absence de ces évolutions indispensables, il était d’ores et déjà clair que la zone euro ne pourrait pas fonctionner efficacement et durablement.

Pourtant, en dépit de cette condition sine qua non, les dirigeants eurolandais ont très vite oublié leurs engagements, préférant se focaliser sur l’élargissement de l’Union Européenne, puis sur celle de la zone euro. De plus, la seule institution supranationale ayant un pouvoir au sein de la zone, en l’occurrence la Banque Centrale Européenne, n’a cessé de favoriser une stratégie contre-productive. En effet, faisant fi de l’article 105 du Traité de Maastricht qui lui donne la possibilité de soutenir la croissance et l’emploi, la BCE s’est focalisée sur un seul objectif, à savoir la stabilité des prix. Ainsi, à force de vouloir lutter contre des risques inflationnistes devenus structurellement faibles à l’échelle de la planète, elle a constamment sacrifié la croissance sur l’autel de l’inflation.

Les seuls exemples des années 2007-2009 sont particulièrement éloquents. En 2007, alors que la crise des subprimes débute, elle augmente son taux refi. Quelques mois plus tard, alors que la Fed commence à baisser ses taux directeurs pour essayer d’éteindre l’incendie, elle refuse de baisser les siens. Elle alimente alors la hausse de l’euro, donc la baisse du dollar et la flambée des prix pétroliers. Mieux, ou plutôt pire, en juillet 2008, alors que la récession eurolandaise a déjà commencé, elle remonte son taux refi, annihilant les chances de rebond et propulsant l’euro à 1,60 dollar et le baril de brut à 150 dollars. Enfin, alors que toutes les banques centrales du monde développé ont baissé leur taux directeur principal entre 0 et 0,5 %, la BCE se distingue encore en refusant d’abaisser son taux refi sous les 1 %. La devise européenne repart alors à la hausse et flambe à 1,50 dollar, creusant encore le fossé entre le redémarrage américain et la récession eurolandaise. Dès lors, les pays les plus fragiles et les moins vertueux, budgétairement parlant, continuent leur descente aux enfers, Grèce en tête. Autrement dit, il est clair que si la BCE avait baissé son refi à 0,5 % il y a un an, l’euro aurait baissé à 1,20 dollar, la croissance eurolandaise aurait alors nettement rebondi et la crise actuelle aurait certainement été évitée.

Car, il ne faut pas se tromper d’enjeu. Bien sûr, l’envolée de la dette publique et l’absence de réformes sur le fonctionnement de la dépense publique sont des points inquiétants. Pour autant, l’essentiel réside dans le fait que la croissance de la quasi-totalité des pays de la zone euro est insuffisante pour payer les intérêts de la dette publique. En d’autres termes, plus qu’une rigueur aveugle qui ne ferait qu’aggraver la récession grecque, la vraie solution à la crise se trouve dans la restauration de la capacité de la Grèce et plus globalement de la zone euro à dégager une croissance forte et durable. Sinon, la crise grecque ne sera que la première d’une longue série qui finira forcément par faire exploser la zone euro.

C’est pourquoi, il faut très vite reprendre les choses en main. Tout d’abord, il est indispensable d’éteindre l’incendie grec au plus vite, quitte à demander le soutien direct au FMI en cas d’intransigeance renouvelée de l’Allemagne. Là aussi, si l’Allemagne et la BCE avaient laissé le FMI agir dès le début 2010, nous n’en serions pas là. Ensuite, une fois l’hémorragie stoppée, il faut panser la plaie pour l’empêcher de s’ouvrir à nouveau. Pour ce faire, il faut absolument restaurer la croissance dans la zone euro. Cela pourrait, par exemple, passer par une baisse du taux refi à 0,5 % et par la dépréciation de l’euro qui en suivra. La zone euro profiterait alors à plein de la reprise de la croissance mondiale, tout en limitant ses importations, rendues plus chères par l’appréciation de la devise. Quant au cours du pétrole, pas d’inquiétude, puisque plus le dollar montera, plus la hausse des prix pétroliers sera limitée. Enfin, pour sauver définitivement la zone euro, elle devra forcément devenir une zone monétaire optimale. « Rêve pieux » diront certains. Peut-être, mais si nous n’y arrivons pas, il faudra alors se faire à l’idée de sa disparition d’ici 2020 au plus tard.

Et c’est peut-être là le plus dramatique de cette crise. Car si, selon toute vraisemblance, on réussira, cette fois-ci encore, à éviter le pire, l’idée de la fin de la zone euro a commencé à faire son chemin. Pis, en dépit de ce risque, les marchés boursiers s’en sont à peine émus. Certes, à l’instar de la crise de Dubaï, ils se sont inquiétés des conséquences qu’un défaut partiel de la Grèce pourrait avoir sur les banques européennes. Dans ce cadre, ils ont donc logiquement pris une bonne douche froide. Pourtant, même si l’incertitude demeure, cette correction n’a finalement été qu’une phase de prise de bénéfices. Et oui, c’est triste à dire : les marchés et les investisseurs se soucient de moins en moins de la zone euro. Ce qui compte c’est avant tout la dynamique de la croissance américaine et chinoise, voire brésilienne. Quant à la zone euro, elle recèle encore de belles pépites et présente toujours une richesse appréciable, mais elle semble désormais cantonnée aux seconds rôles.

C’est certainement là son plus grand échec : la zone euro a été créée pour concurrencer les Etats-Unis et les autres puissances montantes telles que la Chine. Malheureusement, par dogmatisme idéologique et par manque de courage politique, elle est devenue la lanterne rouge de la croissance mondiale et fait désormais figure de « nain géopolitique » qui a même besoin du FMI pour résoudre ses problèmes internes. Quel gâchis !

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Et la caravane américaine de la croissance avance…


C’est malheureusement devenu une habitude : pendant que les Européens se déchirent et que la zone euro est aux abois, la caravane américaine de la croissance avance.

Ainsi, après déjà deux trimestres consécutifs de fort rebond (respectivement + 2,2 % et + 5,6 % aux troisième et quatrième trimestres 2009), le PIB américain a encore progressé de 3,2 % (en rythme annualisé) au premier trimestre. Son glissement annuel atteint désormais 2,5 %, un plus haut depuis le quatrième trimestre 2007.

Autrement dit, la rechute, le W et autres scénarii catastrophes n’ont pas eu lieu. Bien au contraire, la croissance s’est installée et vraisemblablement pour longtemps.

Certes, l’investissement logement est reparti à la baisse, confirmant que le secteur de la construction immobilière est toujours très fragile. Néanmoins, l’augmentation récente des permis de construire et des mises en chantier indique qu’un rebond durable devrait désormais s’installer.

A part ce bémol relatif, les moteurs de la croissance du premier trimestre restent très encourageants. Il s’agit en premier lieu de la consommation des ménages, qui a flambé de 3,6 %, accélérant donc le pas, après son augmentation de 2,8 % au troisième trimestre 2009 et de 1,6 % au quatrième.

Une reprise en V tant pour le PIB que pour la consommation et l’investissement des entreprises.

Sources : BEA, Datastream

Deuxièmement, en dépit d’un inévitable ralentissement, après sa progression de 19 % au quatrième trimestre 2009, l’investissement productif des entreprises continue de croître massivement : + 13,4 %. Autrement dit, le cercle vertueux investissement-emploi-consommation est bien en marche, éloignant pour longtemps les risques de rechute.

Troisièmement, après deux trimestres d’amélioration, mais tout en restant négative, la formation de stocks est redevenue positive pour la première fois depuis le premier trimestre 2008. Avec un niveau de 31 milliards de dollars (au prix de 2000), elle atteint même un plus haut depuis le quatrième trimestre 2006. Les quelques pessimistes qui refusent toujours d’admettre la reprise américaine ne manqueront pas d’utiliser cet argument pour avancer que, compte tenu de ce restockage, les marges d’amélioration de la croissance de l’Oncle Sam sont épuisées.

Mais il n’en est rien. En effet, le niveau actuellement atteint par la formation de stocks reste encore loin des sommets des années 2005-2006 (81 milliards de dollars) et a fortiori de 2000 (101 milliards). Autrement dit, la marge de restockage n’est pas terminée. En outre, ce restockage montre que les entreprises américaines ont bien retrouvé le chemin de la confiance.

La reprise est forte, mais n’est pas terminée.

Sources : BEA, Datastream

Mieux, les indicateurs avancés des directeurs d’achat dans l’industrie et les services ou encore la confiance des ménages montrent que ces espoirs ne devraient pas être déçus et que la croissance américaine devrait continuer son bonhomme de chemin autour des 3,5 % tant en 2010 qu’en 2011.

Le détail sectoriel du PIB américain indique d’ailleurs que si l’industrie a déjà retrouvé une croissance très forte (à quasiment + 10 % en glissement annuel), les services ont encore de beaux jours devant eux.

L’industrie au top, les services en ordre de marche…

Sources : BEA, Datastream

D’ailleurs, compte tenu de la performance du premier trimestre 2010, le PIB américain dispose déjà d’un acquis de croissance de 2,1 %.

Plus fondamentalement, cette reprise américaine montre que lorsque la politique économique (budgétaire et monétaire) est réactive et efficace, la croissance est bien au rendez-vous.

Un déficit public créateur de croissance.

Sources : BEA, Datastream, Prévisions Global Equities

Ainsi, un déficit public n’est pas forcément dramatique pour peu qu’il produise plus de croissance que le coût annuel de la dette. C’est exactement le cas des Etats-Unis, puisqu’en 2010, les intérêts de la dette publique devraient avoisiner les 2,7 % du PIB, tandis que la croissance en valeurs dépassera les 5 %.

La Fed va forcément réagir dans les tous prochains mois.

Sources : BEA, Datastream

En conclusion, sans être flamboyante, la croissance américaine est solide et permettra de soutenir durablement la croissance mondiale et les marchés boursiers par la même occasion. Parallèlement, cette bonne santé imposera à la Réserve fédérale d’augmenter modérément son taux objectif des federal funds à partir de l’été prochain.

 

Marc Touati

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

Les Marchés :

Australie, Brésil, Canada : le nouvel ABC des marchés (2re partie)


Comme nous l’avons expliqué il y a deux semaines avec la Chine et la semaine dernière avec l’Australie et le Brésil, la crise financière de 2008-2009 a définitivement modifié le rapport de forces au sein de la planète économique. Pour terminer ce tour d’horizon (non-exhaustif) des nouveaux « grands » de la croissance mondiale, il nous faut désormais détailler le cas du Canada.

A la différence de la Chine ou du Brésil, le Canada n’est pas un pays émergent. Il fait d’ailleurs partie du G7 depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Pourtant, à cause d’une grave dégradation de ses finances publiques dans les années 80-90, sa puissance économique a été considérablement affaiblie. A l’instar du Mexique dans les années 80, de l’Argentine dans les années 2000 ou de la Grèce aujourd’hui, le Canada a même été parfois présenté en situation de quasi-faillite. C’est d’ailleurs à partir de ce moment que les Canadiens ont décidé de reprendre leur destin en main et ont mené une réforme (ou plutôt une rupture pour reprendre un terme cher au candidat Sarkozy de 2007) draconienne de leur économie. Ainsi, les dépenses publiques ont été fortement abaissées, le marché du travail a été fluidifié, la réglementation a été réduite et améliorée. Une fois cet assainissement passé, le Canada a alors pu se lancer dans de grands projets d’investissements, notamment en matière d’exploitation de ses matières premières, mais aussi de technologies d’avenir.

Les résultats sont éloquents : De 101,7 % en 1996, le ratio dette publique/PIB a été ramené à 82 % dès 2000, puis à 64 % en 2007. Pour y arriver, le poids des dépenses publiques dans le PIB est passé de 53 % au début des années 90 à 39 % à partir de 2004. Dès lors, le solde des comptes publics est passé d’un déficit de 9 % du PIB au début des années 90 à un équilibre budgétaire quasiment continu de 1997 à 2008.

Conséquence logique de ces efforts draconiens, la confiance et les investisseurs sont revenus et le PIB canadien a progressé de 62 % de 1992 à 2008 (en volume, c’est-à-dire sans inflation bien entendu). A titre de comparaison, la progression du PIB français en volume sur la même période n’a été que de 35,5 %.

Les réformes ? Quand on veut, on peut.