Lorsqu’il y a un an dans ces mêmes colonnes ou dans le livre « Krach, boom et demain ? », nous évoquions que la Grèce pourrait être incitée ou contrainte de sortir de la zone euro, nous étions loin d’imaginer qu’un tel cas de figure deviendrait envisageable en si peu de temps. Certes, nous n’en sommes pas encore là et nous espérons que nous réussirons à éviter une telle issue. Pourtant, il ne faut pas être dupe. Les tensions actuelles ne se cantonnent pas à la Grèce, ni même aux PIIGS (Portugal, Ireland, Italy, Greece, Spain), mais elles reflètent une crise beaucoup plus profonde et plus générale : celle de la zone euro.
Evidemment, certains n’hésitent pas à avancer que cette crise est uniquement le fruit des attaques de méchants spéculateurs. Si cet argument du bouc-émissaire est évidemment facile, elle n’en est pas moins erronée. En effet, si un mouvement spéculatif sur la dette grecque existe, il n’est pas tombé du ciel du jour au lendemain. Bien au contraire, il est simplement la conséquence des erreurs de gouvernance économique et monétaire de la zone euro tant au cours des derniers trimestres que depuis une dizaine d’années. Ainsi, dès la rédaction, puis la ratification du Traité de Maastricht, les règles étaient claires : la zone euro n’étant pas une zone monétaire optimale, elle ne peut fonctionner que si elle est très vite prolongée par une union plus politique, avec notamment une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, un marché du travail harmonisé, ainsi qu’un budget fédéral conséquent. En l’absence de ces évolutions indispensables, il était d’ores et déjà clair que la zone euro ne pourrait pas fonctionner efficacement et durablement.
Pourtant, en dépit de cette condition sine qua non, les dirigeants eurolandais ont très vite oublié leurs engagements, préférant se focaliser sur l’élargissement de l’Union Européenne, puis sur celle de la zone euro. De plus, la seule institution supranationale ayant un pouvoir au sein de la zone, en l’occurrence la Banque Centrale Européenne, n’a cessé de favoriser une stratégie contre-productive. En effet, faisant fi de l’article 105 du Traité de Maastricht qui lui donne la possibilité de soutenir la croissance et l’emploi, la BCE s’est focalisée sur un seul objectif, à savoir la stabilité des prix. Ainsi, à force de vouloir lutter contre des risques inflationnistes qui étaient devenus structurellement faibles à l’échelle de la planète, elle a constamment sacrifié la croissance sur l’autel de l’inflation.
Les seuls exemples des années 2007-2009 sont particulièrement éloquents. En 2007, alors que la crise des subprimes débute, elle augmente son taux refi. Quelques mois plus tard, alors que la Fed commence à baisser ses taux directeurs pour essayer d’éteindre l’incendie, elle refuse de baisser les siens. Elle alimente alors la hausse de l’euro, donc la baisse du dollar et la flambée des prix pétroliers. Mieux, ou plutôt pire, en juillet 2008, alors que la récession eurolandaise a déjà commencé, elle remonte son taux refi, annihilant les chances de rebond et propulsant l’euro à 1,60 dollar et le baril de brut à 150 dollars. Enfin, alors que toutes les banques centrales du monde développé ont baissé leur taux directeur principal entre 0 et 0,5 %, la BCE se distingue encore en refusant d’abaisser son taux refi sous les 1 %. La devise européenne repart alors à la hausse et flambe à 1,50 dollar, creusant encore le fossé entre le redémarrage américain et la récession eurolandaise. Dès lors, les pays les plus fragiles et les moins vertueux budgétairement parlant continuent leur descente aux enfers, Grèce en tête. Autrement dit, il est clair que si la BCE avait baissé son refi à 0,5 % il y a un an, l’euro aurait baissé à 1,20 dollar, la croissance eurolandaise aurait alors nettement rebondi et la crise actuelle aurait certainement été évitée.
Car, il ne faut pas se tromper d’enjeu. Bien sûr, l’envolée de la dette publique et l’absence de réformes sur le fonctionnement de la dépense publique sont des points importants. Pour autant, le fait déterminant réside dans le fait que la croissance de la quasi-totalité des pays de la zone euro est insuffisante pour payer les intérêts de la dette publique. En d’autres termes, plus qu’une rigueur aveugle qui ne ferait qu’aggraver la récession grecque, la vraie solution à la crise se trouve dans la restauration de la capacité de la Grèce et plus globalement de la zone euro à dégager une croissance forte et durable. Sinon, la crise grecque ne sera que la première d’une longue série qui finira forcément par faire exploser la zone euro.
C’est pourquoi, il faut très vite reprendre les choses en main. Tout d’abord, il est indispensable d’éteindre l’incendie grec au plus vite, quitte à demander le soutien direct au FMI en cas d’intransigeance renouvelée de l’Allemagne. Là aussi, si l’Allemagne et la BCE avaient laissé le FMI agir dès le début 2010, nous n’en serions pas là. Ensuite, une fois l’hémorragie stoppée, il faut panser la plaie pour l’empêcher de s’ouvrir à nouveau. Pour ce faire, il faut donc absolument restaurer la croissance dans la zone euro. Cela pourrait, par exemple, passer par une baisse du taux refi à 0,5 % et par la dépréciation de l’euro qui en suivra. La zone euro profitera alors à plein de la reprise de la croissance mondiale, tout en limitant ses importations, rendues plus chères par l’appréciation de la devise. Quant au cours du pétrole, pas d’inquiétude, puisque plus le dollar montera, plus la hausse des prix pétroliers sera limitée. Enfin, pour sauver définitivement la zone euro, elle devra forcément devenir une zone monétaire optimale. « Rêve pieux » diront certains. Peut-être, mais si nous n’y arrivons pas, il faudra alors se faire à l’idée de sa disparition d’ici 2020 au plus tard.
Et c’est peut-être là le plus dramatique de cette crise. Car si, selon toute vraisemblance et pour éviter une nouvelle crise financière, à peine un an après la précédente, on réussira, cette fois-ci à éviter le pire, l’idée de la fin de la zone euro a commencé à faire son chemin. Pis, en dépit de ce risque, les marchés boursiers s’en sont à peine émus. Certes, à l’instar de la crise de Dubaï, ils se sont inquiétés des conséquences qu’un défaut partiel de la Grèce pourrait avoir sur les banques européennes. Dans ce cadre, ils ont donc logiquement pris une bonne douche froide. Pourtant, même si l’incertitude demeure, cette correction n’a finalement été qu’une phase de prise de bénéfices, avant un nouveau mouvement de hausse. Et oui, c’est triste à dire : les marchés et les investisseurs se soucient de moins en moins de la zone euro. Ce qui compte c’est avant tout la dynamique de la croissance américaine et chinoise, voire brésilienne. Quant à la zone euro, elle recèle encore de belles pépites et présente toujours une richesse appréciable, mais elle semble désormais cantonnée aux seconds rôles.
C’est certainement là son plus grand échec : la zone euro a été créée pour concurrencer les Etats-Unis et les autres puissantes montantes telles que la Chine. Malheureusement, par dogmatisme idéologique et par manque de courage politique, elle est devenue la lanterne rouge de la croissance mondiale et fait désormais figure de « nain géopolitique » qui a même besoin du FMI pour résoudre ses problèmes internes. Quel gâchis !
Marc Touati