Humeur :
La retraite en France : plus fort que Madoff !
La scène se passe il y a un peu plus d’un an dans le bureau du juge Denny Chin chargé de l’affaire Madoff : le premier demande au second : « mais tout de même Monsieur Madoff, quelle mouche vous a piqué ? Qui vous a donné l’idée de réaliser une telle carambouille : faire payer les anciens cotisants par les nouveaux arrivants ». Bernard Madoff reste calme et répond : « c’est très simple, j’ai observé le système de retraite par répartition en France et j’ai fait pareil… ».
S’il s’agit évidemment d’une blague que l’on raconte sur les marchés financiers depuis un an, elle retrouve aujourd’hui une acuité cuisante dans le cadre du retour du débat sur le financement des retraites en France. Cette question n’est effectivement pas nouvelle puisque le premier Livre blanc sur les retraites françaises date de 1974. A l’époque, on comptait 3,14 actifs pour un retraité. Le financement du système de retraite par répartition consistant à faire payer les retraités par les actifs ne posait donc aucun problème. Pourtant, on savait déjà que ce « système Ponzi » finirait forcément par exploser à partir du moment où les effets du baby-boom de l’après-guerre s’inverseraient. « Dans les années 2010 » disait-on à l’époque et cela paraissait bien loin.
Vingt-sept ans plus tard, conscient de la proximité de l’échéance, le gouvernement Rocard commandait un nouveau Livre blanc sur la retraite. Mais comme la plupart des Livres blancs, il fut très vite rangé dans un placard et ne donna lieu à aucune réforme. Jusqu’en 2000, une dizaine de rapports gouvernementaux sur le même sujet furent alors rédigés, mais avec quasiment les mêmes conséquences, c’est-à-dire le statu quo et la démagogie. La tentative puis la reculade du gouvernement Juppé en 1995 confirmaient même que le problème du financement de la retraite par répartition était devenu tabou dans l’Hexagone. Ce n’est finalement qu’en 2003, qu’une réforme des retraites fut enfin engagée. Appelée loi Fillon, du nom du ministre du travail de l’époque, cette loi était censée tout résoudre. Pourtant, pour boucler son modèle de financement, elle tablait sur deux hypothèses draconiennes : une croissance économique de 3 % par an et un taux de chômage stabilisé autour des 4,5 %. Bien entendu, ces prévisions « audacieuses » n’ont pas été vérifiées. Loin s’en faut, puisque les niveaux structurels de la croissance et du taux de chômage de la France sont respectivement de 1,8 % et 8,5 %. Et ce, avant même la crise de 2008-2009. Autrement dit, si cette dernière n’a évidemment pas arrangé les choses, soutenir qu’elle est à l’origine du trou des retraites est un mensonge absolu.
Toujours est-il que face à ces manquements économiques, le problème du financement de la retraite par répartition n’a absolument pas été résolu par la loi Fillon. Or, la fameuse échéance des années 2010-2020, qui paraissait lointaine en 1974 et 1991, a désormais commencé. Et la réalité est sans appel : on ne recense plus que 1,51 actif pour un retraité. A l’instar du système Madoff qui s’est donc effondré lorsque les nouveaux cotisants n’étaient plus suffisamment nombreux par rapport aux anciens (qui, en plus, réclamaient leur dû), le système de retraite par répartition à la française est donc voué à l’explosion. Souligner une telle réalité ne relève pas de la politique, ni même de l’économie, mais tout simplement de la mathématique.
Pourtant, en dépit d’une telle évidence, une grande majorité des Français, du moins selon les sondages, continue de vouloir maintenir le statu quo. Et chacun y va de son argument : pour les uns, la retraite à soixante ans est un acquis social qu’il est impensable de casser, pour d’autres il suffit de créer un nouvel impôt pour tout résoudre (cf. notre humeur de la semaine dernière sur l’impôt de trop qui finira par faire déborder le vase), pour certains enfin les chiffres avancés par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) sont exagérément pessimistes. S’il est clair que de telles prévisions sont forcément sujettes à caution, il faut néanmoins souligner que celles du COR sont tout sauf pessimistes. En effet, ce dernier continue de penser que le taux de chômage français va tendre progressivement vers 4,5 % ou, au pire des cas, vers 7 %. Avec un niveau actuel de 10 %, la route paraît donc longue… En d’autres termes, les déficits annuels des retraites prévus par le COR (40 milliards à partir de 2015, de 60 milliards à partir de 2020 et de 115 milliards en 2050) sont loin d’être des plafonds mais constituent au contraire des planchers.
En outre, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de déficits annuels qui se cumuleront donc avec le temps et pourraient avoisiner les 2 600 milliards d’ici 2050. Compte tenu d’une dette publique qui atteint déjà 1 500 milliards d’euros et qui va encore augmenter indépendamment des déficits des retraites, il est donc clair que si la question du financement de ces dernières n’est pas résolue au plus vite, la note de la dette publique française sera très vite mise sous surveillance et ensuite dégradée dans de brefs délais. D’où une augmentation des taux d’intérêt, donc moins de croissance, plus de déficits, plus de trous des retraites et de la sécu et, finalement, la distance entre Paris et Athènes sera subitement raccourcie…
Autrement dit, sans vouloir jouer les rabat-joies, la résorption du trou des retraites est un enjeu national. Néanmoins, plutôt que de se lancer dans une nouvelle querelle de chiffres, avec des colmatages de brèches en tout genre, des saupoudrages de mesurettes, des nouveaux impôts, etc…, il nous paraît déterminant d’avancer que la solution passe simplement par une plus grande responsabilisation des Français face à leur retraite. Pour ce faire, il faudrait que chaque Français connaisse officiellement et chaque année le montant de ses cotisations retraites, ainsi que le montant des prestations retraites auxquelles elles lui donnent droit. Ensuite, il devra pouvoir choisir : partir tôt ou tard à la retraite et, en fonction de son choix, recevoir plus ou moins de pensions. Dans le même temps, il faudra forcément aider le système par répartition avec une retraite par capitalisation qui permettra aux retraités de pouvoir toucher l’ensemble des sommes collectées pendant leur vie active, soit d’un seul coup, soit sous forme de rente.
Les deux mots clés du sauvetage de la retraite française sont donc Responsabilité et Liberté. Il n’est plus possible de continuer à entretenir la déresponsabilisation des Français à l’égard de l’économie en général et des systèmes sociaux en particulier, en trouvant constamment des boucs-émissaires à nos problèmes et en défendant qu’il suffit d’augmenter les impôts pour résoudre les questions difficiles. Chaque individu est capable de comprendre que s’il vit plus longtemps (et c’est tant mieux), il doit forcément cotiser plus s’il veut garder le même niveau de prestations retraites qu’avant. En revanche, il doit aussi avoir la certitude que ces cotisations supplémentaires ne serviront pas simplement à entretenir le « mammouth » ou à payer des personnes qui ont beaucoup moins cotisé que lui. Les Allemands, les Belges, les Anglais, les Italiens et beaucoup d’autres à travers le monde l’ont compris, il n’y a pas de raison que les Français n’y parviennent pas.
Marc Touati
Quid de l’économie cette semaine ?
Etats-Unis : un scénario idéal.
C’est bien un scénario idéal que connaît aujourd’hui l’économie américaine : la croissance s’intensifie mais l’inflation ne dérape pas. Cette situation tranche effectivement avec les prévisions consensuelles qui se sont succédé depuis plus d’un an. D’abord, le consensus tablait sur une récession de plusieurs années. Ensuite, face au rebond de l’économie américaine dès l’été 2009, il s’est mis à annoncer un W, c’est-à-dire une rechute au moins aussi grave que la baisse d’activité née de la crise financière de l’automne 2008. Enfin, devant le prolongement et surtout l’accélération de la croissance fin 2009, le consensus a annoncé le retour imminent de la forte inflation. Mais, non. Tous ces prévisionnistes bien pensants qui n’ont cessé d’annoncer le pire pour l’économie américaine depuis deux ans se sont à chaque fois trompés. Les statistiques publiées cette semaine outre-Atlantique viennent une nouvelle fois de le confirmer.
Certes, attendue en augmentation de 0,7 % en mars, la production industrielle n’a finalement progressé que de 0,1 %. Néanmoins, cette hausse modérée doit être relativisée. Tout d’abord, parce qu’elle fait suite à huit mois consécutifs de hausse, ce qui appelait donc forcément une correction. A ce sujet, il faut noter que pour retrouver une phase de neuf mois consécutifs d’augmentation de la production industrielle aux Etats-Unis, il faut remonter à 1999-2000. De quoi rappeler que la phase actuelle de reprise industrielle reste particulièrement vigoureuse.
5 % de croissance pour la production manufacturière, vers 4 % pour le PIB.
Sources : BEA, Federal Reserve, Datastream
Ensuite, il faut aussi souligner que l’augmentation de seulement 0,1 % enregistrée en mars est due à une baisse exceptionnelle de la production de gaz et d’électricité (respectivement – 10,1 % et – 5,7 %). Ainsi, la seule production manufacturière a progressé de 0,9 % au mois de mars. Son glissement annuel retrouve des sommets de 5 %, ce qui laisse augurer d’un niveau de 4 % pour le glissement annuel du PIB d’ici l’été prochain.
De plus, notons que sur l’ensemble du premier trimestre, la progression annualisée de la production avoisine les 7,5 % tant pour l’industrie totale que pour le seul secteur manufacturier. De quoi anticiper une croissance annualisée du PIB américain largement supérieure à 3 % au premier trimestre.
La reprise industrielle n’est pas encore terminée.
Sources : ISM, Federal Reserve, Datastream
Enfin, comme le montre le graphique ci-dessus, l’orientation récente de l’indice « production » de l’enquête ISM des directeurs d’achat dans l’industrie indique que la remontée de la production industrielle est encore loin d’être terminée. Autrement dit, le rebond est déjà fort, mais devrait encore s’intensifier dans les prochains mois.
Et ce, d’autant que la demande des ménages continue de s’améliorer, y compris dans le secteur de la construction. En effet, après déjà un an de reprise en dents de scie, les mises en chantier transforment désormais l’essai. Ainsi, après avoir dépassé la barre symbolique des 600 000 en rythme annualisé en janvier 2010, celles-ci ont atteint un niveau de 626 000 en mars, un plus haut depuis novembre 2008. Depuis leur plancher d’avril 2009 à 479 000, elles réalisent une progression de 30,7 %. Sur le seul premier trimestre 2010, elles enregistrent une augmentation de 10,4 %, c’est-à-dire encore un bon signe pour la croissance du PIB.
Immobilier : la sortie de crise se confirme.
Sources : BEA, Census Bureau, Datastream
Mieux, après une petite baisse en janvier, les permis de construire (c’est-à-dire l’indicateur avancé des futures mises en chantier) ont repris le chemin de la hausse dès février et ont accéléré le pas en mars, via une augmentation mensuelle de 7,5 %. Avec un niveau annualisé de 685 000, elles atteignent désormais un point haut depuis octobre 2008.
Même si les niveaux observés lors de la bulle immobilière de 2000-2005 sont évidemment très loin, cette remontée confirme néanmoins que le secteur de la construction est bien sorti de la crise.
Mais ce n’est pas tout, car, à côté de la bonne tenue de l’industrie et du retour en grâce de la construction, la consommation continue de surprendre positivement.
Etats-Unis : la fièvre acheteuse est bien de retour.
Sources : BEA, Census Bureau, Datastream
Ainsi, après déjà un an de rattrapage, dont six mois de fort rebond, les ventes au détail ont encore flambé de 1,6 % en mars. Leur glissement annuel atteint désormais + 7,6 % (en données CVS), un plus haut depuis janvier 2006. Comme le montre le graphique ci-dessus, un tel niveau indique que la consommation des ménages au sens des comptes nationaux devrait progresser d’au moins 4 % sur un an d’ici l’été prochain.
D’ailleurs, dès le premier trimestre 2010, les ventes au détail affichent une variation annualisée de 8,3 %. Dans la mesure où les prix n’ont augmenté que de 1,5 % en rythme annualisé sur la même période, cela signifie donc que la progression annualisée de la consommation des ménages pourrait avoisiner les 7 % au premier trimestre. De quoi encore confirmer qu’après déjà deux trimestres très favorables, le PIB américain pourrait croître d’au moins 3 % au premier trimestre 2010. En outre, si le secteur automobile continue de tirer la consommation vers le haut, il faut aussi noter que les ventes au détail hors automobile continuent de progresser fortement : + 0,6 % en mars, après + 1 % en février, soit un glissement annuel de + 6,4 %, un plus haut depuis juillet 2006.
Plus globalement, l’accélération de la consommation confirme qu’après avoir profité des perfusions publiques, la croissance est bien en train de devenir autonome. Et ce, d’autant que l’amélioration de l’emploi va continuer de soutenir les dépenses des ménages.
Mieux, s’il était possible de craindre que la relance budgétaire génère une flambée inflationniste, il n’en est rien. En mars, les prix à la consommation n’ont augmenté que de 0,1 % soit un glissement annuel de 2,3 % sur un an. Hors énergie et produits alimentaires, l’inflation est même encore plus sage puisqu’elle n’était que de 1,1 % en mars (en glissement annuel), contre 1,3 % en février. Il s’agit désormais d’un plus bas depuis janvier 2004. Autrement dit, si la Fed doit forcément augmenter ses taux directeurs pour accompagner la reprise économique, elle pourra le faire en douceur, de manière à pérenniser cette dernière.
L’inflation sous-jacente au plus bas depuis janvier 2004.
Sources : BLS, Datastream
Les résultats de l’économie américaine pour 2010 devraient donc être les suivants : une croissance économique supérieure à 3 %, une inflation inférieure à 2,5 % et un taux de chômage sous les 9 % à partir de l’automne prochain. Pas mal pour une économie en déclin…
Marc Touati
La météo économique de la semaine écoulée :
Les Marchés :
La Chine prête pour une nouvelle appréciation du yuan.
Fin 2009, nous annoncions dans ces mêmes colonnes que la Chine engagerait un mouvement d’appréciation du yuan courant 2010. A l’époque, une telle prévision faisait sourire. Les observateurs consensuels soulignaient effectivement que la Chine continuerait de refuser d’apprécier sa devise à cause des faiblesses cachées de son économie. D’aucuns, souvent les mêmes qui prévoyaient un écroulement de l’économie chinoise en 2009, annonçaient même une rechute imminente de la croissance chinoise.
Bien loin de ces sombres prévisions, l’économie chinoise a non seulement évité la récession, mais a aussi très vite retrouvé le chemin de la croissance forte.
Ainsi, après avoir déjà atteint 10,7 % au quatrième trimestre 2009, le glissement annuel du PIB chinois a frôlé les 12 % au premier trimestre 2010, à 11,9 % précisément. Le record des 13 % atteint au premier trimestre 2007 n’est donc plus très loin.
Dans le même temps, après une petite baisse corrective en février, le glissement annuel de la production industrielle chinoise est reparti à la hausse, atteignant un niveau de 18 % en mars.
Une croissance vertigineuse.
- La France : “Etat des lieux”
- Une semaine calme des deux côtés de l’Atlantique.