La scène se passe il y a un peu plus d’un an dans le bureau du juge Denny Chin chargé de l’affaire Madoff : le premier demande au second : « mais tout de même Monsieur Madoff, quelle mouche vous a piqué ? Qui vous a donné l’idée de réaliser une telle carambouille : faire payer les anciens cotisants par les nouveaux arrivants ». Bernard Madoff reste calme et répond : « c’est très simple, j’ai observé le système de retraite par répartition en France et j’ai fait pareil… ».
S’il s’agit évidemment d’une blague que l’on raconte sur les marchés financiers depuis un an, elle retrouve aujourd’hui une acuité cuisante dans le cadre du retour du débat sur le financement des retraites en France. Cette question n’est effectivement pas nouvelle puisque le premier Livre blanc sur les retraites françaises date de
Vingt-sept ans plus tard, conscient de la proximité de l’échéance, le gouvernement Rocard commandait un nouveau Livre blanc sur la retraite. Mais comme la plupart des Livres blancs, il fut très vite rangé dans un placard et ne donna lieu à aucune réforme. Jusqu’en 2000, une dizaine de rapports gouvernementaux sur le même sujet furent alors rédigés, mais avec quasiment les mêmes conséquences, c’est-à-dire le statu quo et la démagogie. La tentative puis la reculade du gouvernement Juppé en 1995 confirmaient même que le problème du financement de la retraite par répartition était devenu tabou dans l’Hexagone. Ce n’est finalement qu’en 2003, qu’une réforme des retraites fut enfin engagée. Appelée loi Fillon, du nom du ministre du travail de l’époque, cette loi était censée tout résoudre. Pourtant, pour boucler son modèle de financement, elle tablait sur deux hypothèses draconiennes : une croissance économique de 3 % par an et un taux de chômage stabilisé autour des 4,5 %. Bien entendu, ces prévisions « audacieuses » n’ont pas été vérifiées. Loin s’en faut, puisque les niveaux structurels de la croissance et du taux de chômage de
Toujours est-il que face à ces manquements économiques, le problème du financement de la retraite par répartition n’a absolument pas été résolu par la loi Fillon. Or, la fameuse échéance des années 2010-2020, qui paraissait lointaine en 1974 et
Pourtant, en dépit d’une telle évidence, une grande majorité des Français, du moins selon les sondages, continue de vouloir maintenir le statu quo. Et chacun y va de son argument : pour les uns, la retraite à soixante ans est un acquis social qu’il est impensable de casser, pour d’autres il suffit de créer un nouvel impôt pour tout résoudre (cf. notre humeur de la semaine dernière sur l’impôt de trop qui finira par faire déborder le vase), pour certains enfin les chiffres avancés par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) sont exagérément pessimistes. S’il est clair que de telles prévisions sont forcément sujettes à caution, il faut néanmoins souligner que celles du COR sont tout sauf pessimistes. En effet, ce dernier continue de penser que le taux de chômage français va tendre progressivement vers 4,5 % ou, au pire des cas, vers 7 %. Avec un niveau actuel de 10 %, la route paraît donc longue… En d’autres termes, les déficits annuels des retraites prévus par le COR (40 milliards à partir de 2015, de 60 milliards à partir de 2020 et de 115 milliards en 2050) sont loin d’être des plafonds mais constituent au contraire des planchers.
En outre, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de déficits annuels qui se cumuleront donc avec le temps et pourraient avoisiner les 2 600 milliards d’ici 2050. Compte tenu d’une dette publique qui atteint déjà 1 500 milliards d’euros et qui va encore augmenter indépendamment des déficits des retraites, il est donc clair que si la question du financement de ces dernières n’est pas résolue au plus vite, la note de la dette publique française sera très vite mise sous surveillance et ensuite dégradée dans de brefs délais. D’où une augmentation des taux d’intérêt, donc moins de croissance, plus de déficits, plus de trous des retraites et de la sécu et, finalement, la distance entre Paris et Athènes sera subitement raccourcie…
Autrement dit, sans vouloir jouer les rabat-joies, la résorption du trou des retraites est un enjeu national. Néanmoins, plutôt que de se lancer dans une nouvelle querelle de chiffres, avec des colmatages de brèches en tout genre, des saupoudrages de mesurettes, des nouveaux impôts, etc…, il nous paraît déterminant d’avancer que la solution passe simplement par une plus grande responsabilisation des Français face à leur retraite. Pour ce faire, il faudrait que chaque Français connaisse officiellement et chaque année le montant de ses cotisations retraites, ainsi que le montant des prestations retraites auxquelles elles lui donnent droit. Ensuite, il devra pouvoir choisir : partir tôt ou tard à la retraite et, en fonction de son choix, recevoir plus ou moins de pensions. Dans le même temps, il faudra forcément aider le système par répartition avec une retraite par capitalisation qui permettra aux retraités de pouvoir toucher l’ensemble des sommes collectées pendant leur vie active, soit d’un seul coup, soit sous forme de rente.
Les deux mots clés du sauvetage de la retraite française sont donc Responsabilité et Liberté. Il n’est plus possible de continuer à entretenir la déresponsabilisation des Français à l’égard de l’économie en général et des systèmes sociaux en particulier, en trouvant constamment des boucs-émissaires à nos problèmes et en défendant qu’il suffit d’augmenter les impôts pour résoudre les questions difficiles. Chaque individu est capable de comprendre que s’il vit plus longtemps (et c’est tant mieux), il doit forcément cotiser plus s’il veut garder le même niveau de prestations retraites qu’avant. En revanche, il doit aussi avoir la certitude que ces cotisations supplémentaires ne serviront pas simplement à entretenir le « mammouth » ou à payer des personnes qui ont beaucoup moins cotisé que lui. Les Allemands, les Belges, les Anglais, les Italiens et beaucoup d’autres à travers le monde l’ont compris, il n’y a pas de raison que les Français n’y parviennent pas.
Marc Touati