C’est bien connu : les Français ne savent pas faire des réformes, mais seulement des révolutions. C’est en défendant cet adage d’un autre temps que, depuis trois décennies, les différents gouvernements de l’Hexagone ont refusé d’engager la réforme en profondeur et la modernisation de nos structures économiques. Il est vrai que, pour les inciter à ne rien faire, ils étaient également aidés par le fameux cycle électoral et la succession infernale des diverses élections. Ainsi, que ce soient les conseillers en tout genre, les sondages ou tout simplement la volonté effrénée d’être réélus, il y avait toujours une bonne raison pour ne pas brusquer les Français et pour continuer de leur laisser croire que tout finirait par s’arranger en augmentant les dépenses publiques.
Pourtant cette stratégie électoraliste du court-termisme et, disons-le, de l’irresponsabilité, a souvent connu des échecs cuisants, non seulement en termes d’efficacité économique, mais également en matière de politique politicienne. Ainsi, l’abandon par le gouvernement Juppé de la réforme des retraites en 1995 n’a pas empêché le parti du Président Chirac de perdre les élections législatives en 1997. De même, le refus du gouvernement Jospin d’utiliser la croissance forte des années 1998-2000 pour retrouver un équilibre budgétaire, mais au contraire de dépenser la soi-disant « cagnotte » n’a pas empêché Lionel Jospin d’être battu dès le premier tour des élections présidentielles un fameux 21 avril 2002…
Plus proche de nous, l’absence de rupture économique pourtant promise pendant la campagne présidentielle 2007 n’a pas permis à l’UMP d’éviter l’effondrement aux élections régionales 2010. Si bien que, comme cela avait d’ailleurs déjà été annoncé avant même le scrutin, les réformes sont d’ores et déjà enterrées. Et pour cause : si ces dernières n’ont pas été menées dans les six mois suivant la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 et alors que la cote de popularité de ce dernier était au plus haut, il n’y a pas de raison qu’elles le soient aujourd’hui, au lendemain d’une défaite majeure et alors que le Président n’a jamais été aussi bas dans les sondages.
Bien entendu, la crise pourrait constituer une circonstance atténuante. Mais c’est bien là le problème : il y a toujours des « bonnes » raisons pour retarder les réformes. A la décharge du Président et du gouvernement Fillon, il faut aussi reconnaître que certaines réformettes ont été menées ici ou là, mais rien à voir cependant avec la rupture annoncée.
A force de vouloir faire plaisir à tout le monde, l’actuelle majorité a donc réussi à ne satisfaire personne. Son électorat de base est évidemment déçu par l’absence de rupture et son électorat ponctuel n’a pas adhéré au peu de réformes qui ont été pratiquées. Quant à ceux qui étaient déjà dans l’opposition en 2007, ce n’est certainement pas l’absence de rupture qui les a fait changer de camp.
Dès lors, les élections régionales sont venues confirmer qu’une large majorité des Français ne voulait plus des réformes prônées par Nicolas Sarkozy. Le problème est que, sur la scène internationale, la France s’était justement engagée à les mener au plus vite, de manière à se mettre à niveau vis-à-vis des pays qui les ont déjà mis en place, à commencer par l’Allemagne. Autrement dit, l’écart qui existe déjà entre la rigueur et la volonté de modernité des Allemands et le laxisme budgétaire des Français risque de se creuser davantage.
Certes, diront certains, les Français ne sont pas les seuls à vouloir augmenter les dépenses publiques. La preuve : le gouvernement Obama a réussi à faire passer sa réforme de l’assurance sociale qui va mécaniquement se traduire par une augmentation du rôle de l’Etat dans l’économie. La nuance entre la situation américaine et celle de l’Hexagone est néanmoins de taille : avant la crise, la part des dépenses publiques dans le PIB n’était que de 35 % outre-Atlantique, contre déjà 54 % en France. A partir de 2010, cette part devrait donc être portée aux alentours des 45 %, ce qui restera donc toujours largement inférieur aux 57 % que nous avons certainement atteints en 2009.
D’où une question : comment va-t-on pouvoir continuer à faire financer 57 % du PIB de dépenses publiques par les 43 % restant dans le secteur privé ? Quatre réponses sont possibles : augmenter les impôts, réduire les dépenses, accroître le déficit ou favoriser la croissance. Dans la mesure où les Français ont clairement voté pour des Présidents de régions qui n’ont cessé d’augmenter les dépenses publiques, ils ont donc implicitement donné un blanc seing à leurs dirigeants régionaux pour continuer d’augmenter les impôts.
Aussi, il faut être clair : si ce choix d’alourdissement de la pression fiscale est également favorisé au niveau national, les conséquences seront particulièrement lourdes : déjà fragile, la croissance sera encore diminuée, les fuites de capitaux et de cerveaux seront augmentées. D’où une augmentation des déficits publics, donc plus de dette, des taux d’intérêt en hausse, puis moins de croissance, plus de déficit…
Autant d’évolutions qui ne manqueront pas d’aggraver le chômage et de susciter une crise sociale, voire une révolution, qui imposera alors aux dirigeants du pays, quels qu’ils soient, d’engager enfin ce dernier dans une véritable rupture. Nous y voilà donc : toutes les erreurs pour ne pas dire les errements politiques que nous subissons depuis trente ans approchent de leur but : la révolution, qui constituerait donc le seul moyen de réformer en profondeur le pays.
Seul hic, mais il est de taille : une révolution, on sait quand elle commence, mais on ne sait pas quand et surtout comment elle se termine. Plutôt que d’en arriver là, il serait donc beaucoup plus opportun d’engager le pays dans de véritables réformes, en les expliquant aux Français avec pédagogie et indépendamment des partis pris politiciens. La question reste simplement de savoir si les hommes et femmes politiques français en ont la volonté et/ou le courage…
Marc Touati