Minority Report II

En 2002, dans une chronique intitulée Minority Report, votre serviteur avait souligné qu’en matières de prévisions et à l’instar du film de Steven Spielberg du même nom, la majorité avait très souvent tort et qu’à l’inverse, le rapport minoritaire était généralement le meilleur. Ainsi, à l’époque, le consensus de marché anticipait un W, c’est-à-dire un scénario selon lequel le rebond de 2002 ne serait que de très courte durée et serait suivi par une récession durable. Bien loin de cette prophétie et malgré la guerre en Irak, l’économie américaine a poursuivi sa reprise en 2003, pour ensuite retrouver une croissance de 4 % dès le début 2004.

Aujourd’hui, rien n’a malheureusement changé. Ainsi, il y a encore quelques mois, le consensus annonçait une récession américaine et mondiale extrêmement grave qui ne prendrait pas fin avant 2011. Pis, devant le rebond du PIB des Etats-Unis au troisième trimestre 2009, ce même consensus prédisait une rechute magistrale dès le quatrième trimestre. Et tout ça en vain. Devant de tels échecs cuisants, le consensus a donc logiquement viré de bord. Ainsi, alors qu’il y a encore quelques mois, la majorité des prévisionnistes annonçaient à tort que l’économie américaine, les marchés et la croissance mondiale ne redémarreraient pas avant bien longtemps, un nouveau consensus semble désormais s’imposer. Selon ce dernier, relayé notamment par le FMI ou encore lors du sommet de plus en plus inutile de Davos, la croissance mondiale va retrouver progressivement les 3 %, celle des Etats-Unis les 2 % et la progression des marchés boursiers devrait avoisiner les 5 à 10 % cette année. En d’autres termes, c’est maintenant qu’il faut vraiment s’inquiéter…

En effet, de la même façon que les annonces tonitruantes du FMI et consorts sur l’horrible récession mondiale en 2009 nous rassuraient, celles faisant état actuellement d’une reprise molle et généralisée nous inquiètent particulièrement. Car, une fois encore, le consensus aura forcément tort. Pour autant, ne sombrons pas dans le pessimisme. Ainsi, n’oublions pas que le consensus peut se tromper dans les deux sens : le pire, mais aussi le meilleur. Autrement dit, si le scénario d’une reprise molle a toutes les chances d’être invalidé par la réalité, nous devrions plutôt assister à l’une des deux situations extrêmes suivantes : la rechute liée à un événement impromptu, ou alors un rebond bien plus fort que celui généralement anticipé actuellement. Aussi, même si nous penchons vers le second cas de figure, il nous paraît opportun de dresser les conditions de ces deux perspectives opposées, qui, quoi qu’il arrive, disposent d’une probabilité bien plus élevée que celle du consensus mou.

En fait, la variable clé qui devrait faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre porte un nom, en l’occurrence l’emploi. Ainsi, en fonction du redémarrage ou non de l’emploi, la rechute économique et boursière devient impossible ou inévitable. La question est donc de savoir ce qui pourrait favoriser l’une ou l’autre des alternatives.

Bien entendu, il est clair que des catastrophes géopolitiques ou financières du type des attentats du 11 septembre 2001 ou de la faillite sauvage d’une grande institution financière américaine susciteraient forcément un W. Ce dernier serait d’ailleurs dramatique, car si en 2002 et en 2009, les autorités monétaires et budgétaires internationales disposaient d’une marge de manœuvre conséquente pour relancer la machine, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Elles ont effectivement utilisé l’essentiel de leurs cartouches, signifiant par là même qu’elles ont besoin du retour de la croissance pour reconstituer leurs forces d’action. Si la reprise disparaît dès le début 2010, il est donc clair que la rechute sera encore plus douloureuse que la chute. Pour autant, dans la mesure où nous ne sommes ni devins ni Cassandres, il ne serait pas sérieux d’établir des prévisions sur la base de telles hypothèses extra-économiques et « non maîtrisables ».

En fait, le seul véritable risque économique d’une rechute réside dans un resserrement monétaire trop rapide des deux côtés de l’Atlantique ou dans la faillite d’un pays du G20 à cause de sa dette publique. Mais là aussi, tant la Fed que la BCE ou encore la Banque d’Angleterre n’ont pas l’intention de resserrer trop rapidement et trop fortement leurs taux directeurs, permettant par là même de pérenniser la reprise. Quant aux dettes publiques, si elles deviennent de plus en plus dangereuses, on voit mal comment les Etats ne s’entendraient pas entre eux pour éviter une catastrophe moins d’un an après la sortie de récession. Cela signifie d’ailleurs que si l’explosion de la crise de la dette publique n’est pas pour 2010, elle finira forcément par se produire une fois que la croissance mondiale sera normalisée, c’est-à-dire après 2011.

Le seul moyen de la contrecarrer sera de générer d’ici là une croissance plus forte dans l’ensemble des pays excessivement endettés. C’est donc là qu’intervient le deuxième cas extrême, à savoir, la réalisation d’une croissance américaine et mondiale non pas entre 2 et 3 %, mais proche des 4 %. Si ce cas de figure peut paraître fou aujourd’hui, à l’instar d’ailleurs de la reprise dès 2009 il y a un an, il est cependant tout à fait envisageable. En effet, après avoir excessivement licencié pendant la crise, les entreprises, notamment américaines, pourraient désormais profiter d’une reprise plus forte que prévu pour réembaucher massivement. De la sorte, le taux de chômage baisserait significativement dès le printemps 2010, avec hausse du pouvoir d’achat à la clé, ce qui ne manquerait pas d’alimenter la reprise économique et boursière, d’où une nouvelle vague d’embauches mais aussi une réduction des déficits publics encore plus forte qu’annoncé. La bulle de la dette se dégonflerait alors et l’économie mondiale s’installerait dans un nouveau cycle de croissance jusqu’en 2015. Et ce, d’autant que de la même façon que la révolution des NTIC a engendré un boulevard de croissance forte de 1992 à 2000, celle des NTE (Nouvelles Technologies de l’Energie) devrait en faire autant dans les prochaines années.

Scénario idyllique, angélique ou encore fantaisiste ? Peut-être. Néanmoins, gardons à l’esprit deux leitmotivs. D’une part, le consensus ayant généralement tort, la prévision d’un rebond modéré en 2010 sera certainement invalidée. 2010 sera donc soit l’année du pire, soit l’année du retour de la croissance forte. D’autre part, si les scénarii catastrophistes et le pessimisme paraissent généralement plus crédibles que les prévisions optimistes, rien ne permet d’aller scientifiquement et concrètement dans ce sens. Les reprises de 1994, 1999, 2003 et 2009 sont autant d’exemples qui montrent que la croissance et l’optimisme peuvent largement l’emporter sur la récession. Si la géopolitique ne vient pas tout casser, c’est une nouvelle fois ce qui devrait s’imposer en 2010. Don’t forget the minority report…

Marc Touati