Parmi les nombreuses suggestions concernant un renforcement de la régulation bancaire, 3 pistes reviennent fréquemment : l’imposition d’une version modernisée du fameux « Glass-Steagall Act » ; une taxation renforcée des bonus des traders ; de nouvelles limitations réglementaires ou prudentielles des activités « à risque » effectuées par les banques.
Analysons la première proposition. Le principe du « Glass Steagall Act », en vigueur aux Etats-Unis, de 1934 à 1990, consiste à séparer juridiquement les activités de crédit et les activités de marché que les banques peuvent effectuer ; la version primitive du texte législatif américain imposait même une indépendance capitaliste totale entre les banques des 2 catégories d’activités : de ce fait, la banque Morgan, par exemple, avait dû être scindée en deux : Morgan Stanley, la banque d’affaires et Morgan Guaranty, la banque de détail, la même chose s’étant appliquée aux autres banques américaines.
Lors de l’actuelle crise financière, on a accusé les banques devenues « universelles », c’est à dire « multimétiers » d’être responsables des dérives des marchés, les opérations de crédit et la collecte de dépôts de particuliers de la banque de détail permettant en quelque sorte de financer les spéculations sur les produits dérivés ou les titrisations d’actifs. Cet argument est fallacieux : en effet, Northern Rock, qui a été nationalisée en urgence par le gouvernement britannique, pour éviter une faillite certaine était un « pure player » (uniquement banque de détail) et Lehman Brothers, aux Etats -Unis, liquidée en septembre 2008, uniquement une banque d’affaires ! Quant à AIG, l’autre victime de la crise, c’était une compagnie d’assurance. Il est préférable de laisser aux dirigeants des banques l’initiative de choisir les métiers que leur banque veut exercer, compte-tenu de la multiplicité de ceux-ci (gestion collective, banque privée, activités de détail, banque d’affaires, etc) ; ils porteront la responsabilité de leur choix, face à leurs actionnaires.
Quant à ceux-ci, il leur revient de pouvoir également choisir entre : investir dans une banque spécialisée ou dans une banque «universelle ». D’un point de vue économique, les deux profils se justifient : la banque spécialisée comporte plus de risques « cycliques » et témoigne donc d’une plus forte volatilité, mais en général fournit une meilleure rémunération : la banque multimétiers bénéficiant d’une certaine « diversification » limite donc ses risques, mais au prix d’une rémunération en moyenne plus faible.
En ce qui concerne la taxation des bonus, elle est légitime, mais doit rester raisonnable ; sinon les banques trouveront des contournements plus discrets (on peut faire confiance aux spécialistes des ressources humaines)(1). Il faut comprendre que l’existence « d’incitations substantielles » est indispensable à la réalisation des performances des traders, compte-tenu des caractéristiques particulières de ce métier où le savoir- faire est difficilement transmissible d’une personne à une autre (ce qui veut dire qu’un trader n’est pas « substituable » à un autre), dans un contexte extrêmement concurrentiel, compte-tenu de la surenchère des places asiatiques telles Singapour ou Hong-Kong. Par contre, il est tout à fait possible de rendre plus « acceptable » le versement de bonus, en le référençant sur des performances pluriannuelles, en prenant en compte également les pertes éventuelles, et en favorisant le paiement en titres plutôt qu’en cash, avec limitation du droit de revente, etc.
Enfin, la mise en place de nouvelles règles en matière de fonds propres paraît la mesure la plus réaliste. En effet, il s’agit d’obliger les banques à mobiliser des capitaux propres proportionnels aux risques réels pris par les différentes activités. Celles ayant trait aux marchés devront mobiliser des garanties, sous forme de fonds propres, en relation avec les risques de pertes maximales, ce qui aura pour effet de freiner les velléités de spéculation échevelée.
Quant à l’idée saugrenue de limiter les opérations des banques au compte d’autrui (ce qui revient à éliminer celles réalisées sur « compte propre ») et à les transférer à des institutions spécialisées ou à des « hedge funds », cela revient à transférer les plus grands risques à des entités plus opaques et moins bien « contrôlables » que les banques (et souvent localisées dans des « paradis fiscaux »).
(1) On peut citer, par exemple : la hausse de la part fixe des salaires ou le paiement sous forme « d’honoraires », au titre de services de consultant.
Rappelons-nous le désastre créé par L.T.C.M. (hedge fund) ou la débâcle provoquée par A.I.G (compagnie d’assurance). C’est encore le secteur bancaire qui pour l’instant fait l’objet de la surveillance prudentielle et réglementaire la plus stricte, parmi les métiers de la finance.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC PARIS
Président du Club Finance HEC